Profitant du retard pris par la transition qui ne pourra finalement pas s’achever dans le délai des dix-huit mois initialement prévu, Mahamat Idriss Deby avance dans sa stratégie de garder le pouvoir, avec la complaisance de la communauté internationale.
Un article de Francis Sahel
Personne n’en parle pour l’instant mais tout le monde le sait : la transition au Tchad ne s’achèvera pas dans les six prochains. Tant sont encore nombreux les grands dossiers en suspens un an après la mort brutale en avril 2021 du président tchadien Idriss Deby Itno et la prise du pouvoir par la force par son fils le général Mahamat Idriss Deby Itno à la tête du Conseil militaire de transition (CMT).
Stratégie de l’enlisement
Après avoir mis rapidement les organes de la transition (Gouvernement, Conseil national de transition), la transition s’est enlisée et n’a guère vraiment avancé sur les autres points importants dont le dialogue inclusif, la réconciliation nationale, la préparation des prochaines élections.
« Au vu de tous les points encore sur l’agenda, le délai de 18 mois me semble hors de portée. Le pays va devoir se résoudre à une prolongation dont ne peut pas à ce stade prévoir la durée et les modalités », pronostique le journaliste tchadien Eric Topona Mocgna, auteur d’un remarquable ouvrage intitulé « Essai pour la refondation du Tchad » paru en février 2022 chez l’Harmattan.
Censées être un des temps forts du dialogue inclusif national, les négociations directes entre le pouvoir tchadien et les organisations politico-militaires viennent seulement de commencer à Doha, sous l’égide du Qatar, qui a été désigné comme médiateur par les deux parties.
Même s’il a été accueilli avec espoir, le pré-dialogue de Doha ne portera pas sur des questions de fond mais principalement sur les garanties de sécurité pour les chefs des groupes politico-militaires qui vont rentrer à N’Djamena pour le dialogue inclusif prévu en mai prochain.
Deby fils avance ses pions
En attendant, Deby utilise une stratégie de conservation du pouvoir à son seul bénéfice en jouant sur différents registres. Mahamat a ainsi négocié directement le retour à N’Djamena de plusieurs opposants irréductibles à son père. Certains d’entre eux ont été nommés conseillers à la présidence, d’autres ont intégré le Conseil National de Transition qui joue le rôle de parlement de transition.
Outre la stratégie de débauchage d’opposants, Mahamat Idriss Deby joue à fond la carte de l’infiltration des mouvements politico-militaires et des organisations de la société civile. Des groupes politico-militaires satellites du pouvoir ont été envoyés à Doha pour jouer la stratégie du nombre et faire passer les positions du Conseil militaire de transition.
Beaucoup d’observateurs redoutent que cette stratégie du nombre soit utilisée dans le cadre du dialogue national inclusif afin de mettre en minorité les vrais opposants du pouvoir et battre en brèche la volonté de changement.
Signe évident de sa volonté de garder toutes les cartes en mai, Mahamat Idriss Deby est resté sourd aux revendications de Wakit-Tama, une organisation de la société civile tchadienne, et du parti « Les transformateurs » d’obtenir la révision de la Charte de la transition pour y inscrire l’impossibilité pour les dirigeants de la période transitoire d’être candidats aux prochaines élections. « Tout l’enjeu pour le Tchad sera d’arriver à organiser des élections libres transparentes et démocratiques. Le pays a besoin de sortir de cette fatalité qui veut que les alternances au pouvoir ne se réalisent que par les armes. Tous les Tchadiens doivent contribuer à ce changement de paradigme », insiste Eric Topona Mocgna, journaliste indépendant et défenseur des droits humains déja emprisonné par le régime et réfugié désormais en Allemangne. Pour lui, il est important que le Tchad ne rate pas « cette occasion historique » de se refonder.
Le Tchad n’est pas le Mali
Alors que tout semble indiquer que le délai de dix-huit mois de transition ne pourra pas être tenu, aucun signe d’inquiétude n’émane de la communauté internationale. Si le silence de la Communauté économique des Etats d’Afrique centrale (CEEAC), organisation sous-régionale moribonde, peut se comprendre, l’absence de réaction de l’Union africaine et de la France paraît plus surprenante.
Après avoir adoubé la succession dynastique après le décès d’Idriss Deby, la communauté internationale, si prompte à exiger un calendrier de transition avec un chronogramme des élections au Mali, ne pipe mot sur l’absence de visibilité au Tchad.
Mahamat Idriss Deby n’est pas Assimi Goïta, le Mali n’est pas le Tchad. A chacun son traitement !
Tchad (volet 3), la réconciliation nationale … à reculons