L’ancien patron de l’Agence française du développement (AFD) et chroniqueur, Dov Zerav, est résolument optimiste pour l’avenir de la Tunisie
Depuis janvier 2011, la Tunisie est régulièrement sur le devant de l’actualité. Avec le départ de Ben Ali, les Tunisiens ont initié le mouvement des« printemps arabes » qui va toucher d’autres pays, l’Egypte, la Syrie, la Lybie, le Yémen, ou Bahreïn. C’est ensuite en octobre 2011 l’arrivée au pouvoir des islamistes d’Ennhada. Plus exceptionnel, leur retrait expliqué notamment par leur incapacité à faire face aux défis économiques et par les pressions de la société civile.
Point d’orgue de ce processus démocratique, l’adoption le 26 janvier 2014 de la constitution remarquable à plus d’un titre. Le préambule dispose que le pays a « un régime républicain démocratique et participatif dans le cadre d’un Etat civil et gouverné par le droit et dans lequel la souveraineté appartient au peuple qui l’exerce sur la base de l’alternance pacifique à travers des élections libres, et du principe de la séparation et de l’équilibre des pouvoirs ».
Certes, le premier article précise que l’islam est la religion de la Tunisie, mais il n’est nullement fait référence à la charia. La loi islamique n’est pas mentionnée comme source de droit, et le second article vient préciser que « La Tunisie est un Etat à caractère civil, basé sur la citoyenneté, la volonté du peuple et la primauté du droit. Il n’est pas permis d’amender cet article. » Plus, l’article 6 reconnait les libertés de croyance et de conscience, ce qui exclut la pénalisation des atteintes au sacré.
Tous les droits fondamentaux sont garantis : l’égalité des citoyens et citoyennes, le droit à la vie, la protection de la dignité de la personne, l’interdiction de la torture, le droit à la vie privée et à la confidentialité des correspondances, des communications et des données personnelles, la présomption d’innocence et le droit à un procès équitable, les libertés d’opinion, de pensée, d’expression, d’information et de publication, le droit d’accès à l’information et aux réseaux de communication, la liberté de constitution des partis politiques, des syndicats et des associations, le droit syndical, la liberté de rassemblement et de manifestation pacifiques… Toutes les libertés individuelles et collectives sont protégées d’autant que la précaution est prise de prévoir qu’aucun amendement constitutionnel ne peut toucher les acquis en matière de droits et libertés.
Ce texte apparaitra avec le temps comme un texte aussi fondateur que le préambule de la déclaration d’indépendance des Etats-Unis de 1776, ou la déclaration française des droits de l’homme et du citoyen de 1789.
L’article 46, consacre les droits des femmes, et protège les acquis de la femme, le principe de parité et la lutte contre les violences faites aux femmes.
Premières déclinaisons de cette constitution, les élections législatives, puis l’élection présidentielle, toutes deux conduites dans des conditions démocratiques incontestables. Pour la première fois en Tunisie, il y aura un second tour dimanche prochain.
Comment expliquer un tel résultat ?
Certes, le rôle de la société civile, et notamment du syndicat UGTT, l’Union générale des travailleurs tunisiens. La semaine dernière, la fondation Jacques Chirac a distingué la blogueuse tunisienne Amira Yahyaoui. Cela s’explique aussi par l’histoire de la Tunisie. Mais, l’explication réside surtout dans le modèle de développement initié par le Président Habib Bourguiba en 1960.
La Tunisie est un pays avec des ressources naturelles modestes : certaines cultures comme l’olivier, la vigne ou l’alpha, l’exploitation des phosphates, du pétrole en quantités limitées par rapport aux potentialités des voisins… Rien de caractéristique ! Partant de ce constat, le président Habib Bourguiba va consacrer toutes les capacités d’investissement du pays sur le capital humain, sur les infrastructures d’éducation et de santé, refusant les dépenses militaires et somptuaires.
La Tunisie va connaître ses trente glorieuses !
Quelques exemples.
En 1994, le pays compte 4 200 écoles primaires contre 121 en 1957, ce qui signifie la création pendant trente ans de plus d’une centaine d’écoles par an. En 1994, 85 institutions universitaires forment 100 000 étudiants, 40 fois plus qu’au lendemain de l’indépendance.
Au cours de cette période, chaque année enregistre la mise en chantier annuelle de quatre hôpitaux. Le nombre de médecins a été multiplié par dix.
Parallèlement à ces orientations systémiques, le Président Habib Bourguiba a été plus pragmatique en matière de gestion macroéconomique. Après les années 1962-1968 de socialisation accélérée sous la férule du Premier ministre, Ahmed Ben Salah, les résultats économiques catastrophiques conduisent le Président Habib Bourguiba à mettre fin à l’expérience. En 1970, il choisit M. Hédi Nouira qui en dix ans va révolutionner le pays en acclimatant l’économie de marché et l’ouverture au commerce mondial. La Tunisie va connaître une croissance économique continue de plus de 5% par an.
Ce modèle économique va entrainer une amélioration constante du niveau de vie, et la constitution d’une classe moyenne confortée par la libération de la femme et un début de sécularisation de la société. Il faut rappeler que le Président Habib Bourguiba n’a pas hésité dans les années soixante à apparaître à la télévision en train de manger en plein ramadan.
C’est cette société civile qui va constituer le fer de lance de la révolution, et le rempart contre tous les extrémismes.
Après avoir montré la voie du développement économique, la Tunisie montre aujourd’hui le chemin de la démocratie.
Il y a une véritable exception tunisienne !