Au Palais de la Présidence à El-Mouradia, sur les hauteurs d’Alger, la bataille fait rage pour la succession de « Boutef » entre Tayeb Belaiz et Ahmed Ouyahia. A l’arme lourde
En Algérie, l’échiquier politique a connu ces derniers jours une nouvelle configuration qui risque de faire chambouler les rapports de force entre les différentes composantes du régime algérien. Derrière cette apparence de tranquillité, de solidité du régime algérien, un véritable combat pour la succession d’Abdelaziz Bouteflika se joue en coulisses. Et la récente nomination de Tayeb Belaiz, l’ex ministre de l’Intérieur, au Palais de la Présidence à El-Mouradia, sur les hauteurs d’Alger, marque un tournant majeur dans cette lutte pour la succession de Bouteflika.
Si Tayeb : de la cour d’Oran au Palais d’El-Mouradia
«Tayeb Belaiz n’a jamais été considéré comme un simple et ordinaire ministre. C’est l’un des hommes les plus proches de la famille Bouteflika. Il bénéficie de leur confiance et de leur estime notamment depuis qu’il a présidé le Conseil Constitutionnel. Aujourd’hui, il est le pilier du clan présidentiel et il pourrait jouer un rôle majeur dans la succession de Bouteflika», nous explique un haut commis de l’Etat algérien qui est un ami proche de Belaiz. Un proche qui insiste beaucoup sur le «rôle majeur» que va jouer Si Tayeb, comme l’appelle affectueusement ses amis et son entourage.
Il faut dire que le communiqué de la Présidence de la République au sujet de l’avenir de Tayeb Belaiz en dit beaucoup sur l’importance que revêt l’ancien ministre de l’Intérieur et des Collectivités locales aux yeux d’Abdelaziz Bouteflika. « Conformément aux dispositions des articles 77 et 78 de la Constitution, M. Abdelaziz Bouteflika, président de la République, a pris ce jour un décret présidentiel portant nomination de M. Tayeb Belaiz, ministre d’Etat, conseiller spécial auprès du président de la République », lit-on dans ce communiqué.
« Beaucoup ont pensé qu’il s’agit d’une voie de garage. Ils se sont lourdement trompés», nous confie un officier du DRS, le service de renseignement algérien. «Tayeb Belaiz présente de nombreux atouts aux yeux de la famille Bouteflika et les autres membres du clan présidentiel qui veulent préserver leurs intérêts. Il connait parfaitement les rouages de la justice, car il était ministre de la Justice en 2003. Il a fait le travail nécessaire à la tête du conseil constitutionnel pour permettre à Bouteflika de briguer facilement un 3e mandat. Il est originaire de Maghnia dans la wilaya de Tlemcen, le berceau des Bouteflika. Il est en bonne santé et il peut mener les conciliabules et faire attention aux magouilles», explique notre interlocuteur.
L’homme qui a dit non à Sellal
En plus de ces atouts, Belaiz a réussi à effacer Abdelamalek Sellal avec lequel il entretient une relation compliquée. Belaiz n’a jamais apprécié Sellal et sa manière de gérer le Premier ministère. Il lui a reproché à maintes reprises son manque de sérieux et son populisme qui nuit à l’Etat. Il a, d’ailleurs, exprimé son désaccord avec Sellal à Abdelaziz Bouteflika. En septembre 2014, il a effectué une visite d’inspection à Oran, la capitale de l’ouest du pays, en prenant sous son aile plusieurs autres ministres du gouvernement. Sellal était absent et Belaiz a tout fait pour le remplacer sur le terrain ! La symbolique était très forte et Belaiz avait réussi à s’émanciper de l’autorité de Sellal. Un mois plus tard, en octobre 2014, lors de la prière de l’Aïd el-Fitr, Tayeb Belaiz boycotte cette cérémonie religieuse, mais aussi politique à laquelle assistent tous les hauts cadres de l’Etat algérien. Une cérémonie diffusée en direct par la Télévision publique algérienne.
Aujourd’hui, Belaiz a mis un pied à la Présidence de la République. Il a été placé sous les ordres d’Abdelaziz Bouteflika, son protégé qui a fait de cet ancien président de la cour d’Oran l’un des hommes clés du régime algérien. Mais au Palais d’El-Mouradia, Tayeb Belaiz n’est pas seul à occuper le terrain. Il se retrouve dans le même de bataille qu’Ahmed Ouyahia, l’ancien Chef de gouvernement, nommé directeur de cabinet à la présidence depuis mars 2014.
Ahmed Ouyahia, le favori des militaires
A 62 ans, Ahmed Ouyahia, est l’autre requin de la scène politique algérien. S’il a toujours été victime de la méfiance d’Abdelaziz Bouteflika, il bénéficie en revanche du respect et de l’appui de plusieurs décideurs militaires tels que le général Toufik, le patron du puissant DRS. Sa nomination à la Présidence, un mois avant le scrutin présidentiel d’avril 2014, avait fait l’objet d’intenses tractations entre le clan présidentiel et l’establishment militaire et du renseignement. C’est le général Ali Boudaoud, l’ex attaché militaire à l’ambassade d’Algérie à Paris propulsé en 2013 à la tête de la Direction de la Sécurité Intérieure (DSI) du DRS à la place du fameux général Tartag, qui a négocié la nomination d’Ahmed Ouyahia à la Présidence de la République avec Abdelaziz Bouteflika et ses proches. L’arrivée d’Ouyahia à la Présidence était le compromis exigé par le général Toufik pour qu’il cautionne le 4e mandat, nous confirment de nombreuses sources très bien informées.
A chaque clan son homme de main pour la succession de Bouteflika. Tayeb Belaiz contre Ahmed Ouyahia pourrait être le futur match qui déterminera en partie, la très délicate problématique du remplaçant de Bouteflika. A moins que les militaires sortent de leur chapeua le nom d’un « outsider », comme ils l’ont ait à plusieurs reprises.
Seule une vague de contestations populaires, surfant sur le mécontentement général et la crise des hydrocarbures, pourraient bousculer le scénario algérien classique de la succession, arbitré par l’Armée et les services secrets.