Tandis que le deuil s’installait aussitôt dans tout le niger après l’attaque du 10 décembre, les autorités se préparaient à enterrer 71 soldats à Inatès près de la frontière malienne.
Il a fallu la journée d’hier, faute de réseau téléphonique dans la zone depuis plus d’un an, pour que l’attaque sans précédent contre le détachement du poste militaire de reconnaissance d’Inatès, à la frontière nigéro-malienne, fasse entendre son écho puissant à Niamey, la capitale, à 250 km de là.
Cette localité est située sur la ligne de front occidentale du Niger, non loin de bois et de pâturages où l’armée d’Abou Walid Sahraoui s’est installée depuis plusieurs années maintenant, au centre de ce califat qui prend insensiblement forme. Selon le communiqué de l’armée nigérienne lu hier soir sur la télévision publique par son porte-parole, le colonel Boubacar Hassane, « le poste a fait l’objet d’une attaque perpétrée par des terroristes lourdement armés, estimés à plusieurs centaines. » Et de préciser; « Un combat d’une rare violence, combinant des tirs d’artillerie et l’emploi de véhicules kamikazes par l’ennemi sur la position, s’en est suivi, de 15 à 19h00. Les renforts dépêchés sur la position ont permis de stabiliser la situation qui est actuellement sous contrôle », ajoute le communiqué.
Deja 18 morts en juillet dernier
Selon le journal L’Evénement, les installations de communication de la zone auraient été sabotées avant l’attaque contre les trois positions des forces de défense et de sécurité. Le camp aurait ensuite été entièrement saccagé et pillé par les assaillants, avant l’arrivée des renforts, plusieurs heures plus tard. L’alerte aurait été donnée, à leur arrivée à Ayorou, à 34 km de là, par des soldats s’étant repliés à bord de plusieurs véhicules.
Le commandant touareg Hassan Anoutab, qui commandait la base, est mort les armes à la main, ainsi que son adjoint. Son portrait circule depuis hier sur les réseaux sociaux comme une icône, à côté de force drapeaux, musiques militaires et prières. Des invocations collectives ont lieu aujourd’hui pour demander la protection du pays.
Mais parallèlement, des voix critiques se font aussi entendre. Beaucoup de Nigériens s’interrogent sur la vulnérabilité d’une base qui avait déjà perdu 18 hommes dans une attaque en juillet dernier. Du côté officiel, le carnage d’Inatès produit aussi ses effets. Le président de la République du Niger, Mahamadou Issoufou, a écourté son déplacement en Egypte hier pour accompagner son pays dans l’épreuve. Il a réuni ce matin le Conseil National de Sécurité.
Le report du sommet de Pau
Le sommet prévu le 16 décembre à Pau par Emmanuel Macron pour une clarification des positions des chefs d’Etat du G5 concernant l’engagement militaire de la France, dans un contexte de progression forte du sentiment anti-français grandit au Sahel, a été reporté à début 2020 à la demande de Mahamadou Issoufou. De même, le président burkinabé Roch Christian Kaboré a annoncé que le sommet extraordinaire du G5 Sahel, qui devait avoir lieu à Ouagadougou le 15 décembre, se tiendrait finalement à Niamey, en solidarité avec le Niger.
L’opinion publique nigérienne se demande, au mieux, à quoi sert l’armée française, ses drones, ses bases et ses moyens militaires. « Ne sont-ils pas capables de repérer des colonnes des véhicules ou des motos en temps réel ? », s’interrogent certains internautes. L’importance des moyens engagés par les djihadistes nourrit aussi la suspicion, le nombre de combattants et de véhicules. Comment se fait-il qu’une colonne de cette taille n’ait pas été repérée, aperçue ? Au pire, des internautes se disent convaincus que la France est complice de l’attaque. Qui d’autre avait les moyens de saboter les transmissions de la base, se demandent-ils. « Barkhane ne vaut rien » peut-on lire.
Les forces militaires interpellées
Le débat rebondit sur la gouvernance de l’armée nigérienne. Moussa Tchangari, leader de la société civile (Alternative), interpelle sur sa page facebook : « nos forces de défense et de sécurité ne sont pas mieux gérées que d’autres secteurs. On le voit tous, l’argent qui y afflue en quantité ne les a pas rendues plus performantes. (…) Mais ce n’est pas seulement de ça qu’il faut se préoccuper, il faut se préoccuper surtout de la vie des personnes qui y sont engagées. Dieu seul sait que nous avons perdu des hommes, en l’espace de quelques années. Mais jamais des voix ne se sont élevées pour demander des comptes (…) Les chefs militaires nous doivent, pourtant, des explications. Nous avons le droit de savoir. »
La libération des officiers incarcérés dans le cadre de complots contre le président de la République est réclamée, pour qu’ils viennent combattre aux côtés des forces de défense et de sécurité, ainsi que les militaires «en détachement dans les ambassades. » D’autres demandent la tête du ministre de la Défense, du chef d’état-major ou du chef du renseignement.
La France prise à partie
Le président de la République n’est pas épargné, supposé complice des Français pour avoir « joué le jeu de la France sur le terrorisme pour nous déstabiliser, tandis que la France continue à brader la richesse du Niger. »
L’association « Tournons la Page » qui milite pour l’alternance démocratique en Afrique, a annoncé aujourd’hui le maintien de la marche qui était prévue le 15 décembre pour protester contre la convocation du président du Niger par Emmanuel Macron mais elle sera placée sous le signe du deuil . La population est invitée « à se vêtir de blanc, couleur d’espoir et de paix. »
« Cette manifestation sera l’occasion de dire aux terroristes que nous resterons debout pour notre nation (…)de demander des comptes aux responsables en charge de la sécurité nationale, que la lumière soit faite sur cette tragédie et que nos frères ne soient pas morts en vain (…)de dénoncer la présence inutile et d’exiger le départ sans condition des bases militaires étrangères qui n’ont rien pu faire pour éviter ce massacre. »
On n’en sort pas, décidément.