Nul ne doute que la nouvelle constitution promise par le président Abdelamajid Tebboune pour enterrer l’ère Bouteflika sera unanimement adoptée par les députés de l’ancien système qui ont retourné leurs vestes pour garder leur siège de « représentants » de la nation
A la question que veut faire le président Tebboune pour son pays, on cherche encore un début de réponse huit mois après son installation à la tête de l’Etat. Ce n’est pas que le nouveau président algérien soit un taiseux, mais il manie l’art de ne rien dire du tout tout en parlant beaucoup. A la télé il enchaîne les mots rassurants, promet des changements importants tout en restant vague, trouve des comparaisons toujours flatteuses pour l’Algérie et, en donnant quelques exemples, il tousse beaucoup comme un grand fumeur. « L’Algérie, c’est mieux que la Libye et la Syrie et le Liban réunis », dit-il en substance. On respire !
« Prenez soin de vous »
Le président sait par ailleurs dispenser quelques recommandations tel un vieil instituteur en cours d’éducation civique (prenez soin de vous, ne vous rassemblez pas en pleine pandémie) et a tendance à implorer souvent Dieu avant de demander encore un peu plus de patience à ses concitoyens, à la manière d’un sage imam en costume s’adressant à des adolescents turbulents en tutus.
Parfois le président prend un air grave et gronde ceux qui ne se rendent pas compte à quel point le pire a été évité grâce au « salvateur » Hirak. Car, aussi hallucinant que cela puisse paraître, tout en emprisonnant les figures emblématiques du mouvement de protestation pacifique, le président Abdelmajid Tebboune s’en réclame. C’est gonflé, même si c’est bien le hirak – et sa gestion par les chefs militaires- qui lui a permit d’accéder au Palais d’El-Mouradia.
Comédie à l’algérienne
S’il n’a pas grand chose de concret à dire aux Algériens, Mr Tebboune insiste pour leur offrir une énième constitution. C’est devenu un gag, pardon une « constante nationale »: à chaque nouveau président l’Algérie change de constitution. Le gouvernement tente par tous les moyens de faire passer cette réforme voulue par Tebboune comme un évènement politique d’envergure. Mission quasi impossible, cela n’intéresse visiblement personne en Algérie cette histoire de révision de la constitution. Et pour cause, chaque algérien sait qu’aucun des présidents qui se sont succédés depuis 1962 n’a respecté sa propre charte ou constitution.
Pour le café du commerce, au moins ce dernier projet de révision de la constitution a un caractère burlesque inédit. Il intervient alors que se déroulent les procès des anciens ministres et hauts gradés de l’administration d’Abdelaziz Bouteflika – et des bandes mafieuses de son frère Saïd, procès médiatisés par le pouvoir en place. Or tous les comptes-rendus d’audience mettent en lumière la corruption des « députés ». L’ancien « élu »député FLN à Annaba Baha Eddine Tlibaa , poursuivi pour «blanchiment d’argent, dans le cadre d’une organisation criminelle» et «trafic d’influence pour l’obtention d’indus avantages» a avoué au tribunal que les deux enfants de l’ex-patron du FLN, Djamel Ould Abbès, lui ont demandé 70 millions de dinars pour être tête de liste à Annaba.
En rappelant au passage que la pratique d’achat de siège à l’Assemblée était courante. En s’obstinant à vouloir faire avaliser sa constitution par une Assemblée considérée comme le dernier bastion des corrompus de l’ère Bouteflika, le président Tebboune est en train de devenir un sujet de plaisanterie. Les Algériens qui s’intéressent un peu à l’affaire rient sous masque.
Il faut rappeler que l’alliance majoritaire à l’Assemblée est composée du FLN -dont les deux précédents secrétaires généraux sont en prison, le RND dont l’ex-secrétaire général est en prison, le TAJ dont le président est en prison et enfin du MPA dont le président est aussi en prison, et ceci expliquant cela comme dirait le chroniqueur Chawki Amari, cela n’empêche pas les élus de soutenir la nouvelle Algérie.
« Pourquoi ne pas dissoudre l’Assemblée ? L’argumentaire du Président est simple : «Il est impératif de procéder au préalable à une révision constitutionnelle», car, pour lui, «il est inconcevable de renouveler les instances élues avec des lois rejetées par le peuple». Il a dû se tromper, il fallait faire la phrase à l’envers, il est inconcevable de renouveler des lois avec des instances «élues» rejetées par le peuple » écrit l’impertinent chroniqueur d’El Watan.
Une sorcière au bucher
Les députés de l’ancienne Algérie s’apprêtent donc à avaliser la constitution de la nouvelle Algérie. Mis à part que le poste de vice-président est supprimé et que les mandats présidentiels re-plafonnés à 3 mandatures, le reste du texte est quasi-identique.
Parmi les députés qui ont retourné leurs vestes- ou leurs hidjabs, le cas de la députée islamo-populiste Naïma Salhi est d’un burlesque abracadabrantesque. Connue pour avoir tenu des propos mêlant régionalisme, démagogie, bigoterie et racisme, celle qui a longtemps joué pour le président Bouteflika le rôle tenu par Nadine Morano pour le président Sarkozy, déclare aujourd’hui avoir été « ensorcelée ces trois dernières années ». Peine perdue, la sulfureuse députée qui déclaré, entre autres sottises, qu’elle était prête à tuer sa fille si celle-ci s’aventurait à «parler kabyle» a été convoquée par la Gendarmerie Nationale pour répondre à des plaintes déposées à la faveur du Hirak. Parions que le ministre de la justice va bientôt décider de la levée de son immunité parlementaire. De toute évidence le régime veut se débarrasser d’elle. Naïma Salhi va aller au bûcher, et personne ne va la pleurer. Même pas ses collègues du parlement qui s’apprêtent à lever la main, comme d’habitude, pour approuver la nouvelle constitution de Mr Tebboune.