Les luttes féroces au sein de la gendarmerie algérienne dont le patron a été écarté début aout et dont une douzaine de colonels ont été évincés témoignent d’un délitement de l’armée algérienne, seul rempart pourtant contre l’effondrement d’un État sans marges de manoeuvre politiques et financières.
Depuis sa création au lendemain de l’indépendance, la gendarmerie algérienne (GN), forte de 180000 hommes et d’une police judiciaire très puissante, représente une institution sécuritaire décisive. Du fait de son implantation dans les zones rurales et péri-urbaines dans un pays grand comme quatre fois et demie la France et fragilisé par les forces politiques centrifuges dans plusieurs régions (Kabylie, sud algérien), ces officiers représentent un maillon central du contrôle territorial pour une armée qui a toujours revendiqué une proximité avec le peuple algérien.
La plupart des hauts cadres de ce corps d’élite auront été souvent fort bien formés en France par l’excellente école des officiers de la gendarmerie nationale de Melun, une coopération initiée dès l’Indépendance, malgré l’hostilité de Boumedienne contre Paris, par le Colonel Ahmed Bencherif, le premier patron de la GN. La solidité de l’institution a été renforcée par la longévité de la plupart des patrons de ce corps d’élite dont au moins quatre ont été nommés plus de dix ans. Qu’il s’agisse par exemple du Colonel Bencherif de 1962 à 1977, dont le mandat durera quinze ans au général Ahmed Boustila, nommé pour quinze ans en l’an 2000 et dont l’action restera associée à une féroce répression en Kabylie- ce qui ne l’a pas empêché de s’éteindre quelques années plus tard paisiblement à Paris.
Un panier de crabes!
Or depuis le départ de l’ex président Bouteflika en 2019 et alors que de nombreuses purges ont miné la cohésion de l’armée algérienne, on a vu défiler cinq hauts gradés (quatre généraux et un un colonel) à la tète du renseignement militaire (ou DCSA), le coeur du réacteur sécuritaire, et pas moins de trois généraux pour diriger le commandement de la Gendarmerie Nationale.
En 2018, le très consensuel Ghali Belksir remplace Menad Touma qui s’entend fort mal avec la Présidence tenue par Bouteflika et son frère Saïd. Hélas, le malheureux Belksir qui s’implique fans des affaires douteuses avec son épouse, une juge toute puissante du tribunal de Tipaza, est écarté un an plus tard pour corruption. Depuis, ce haut gradé, muni du passeport du Vanuatu, s’est retiré à Paris où il s’est refait une santé en racontant, dit-on, à ses amis français au sein des services les nombreuses turpitudes dont il a eu connaissance (1).
Son départ fut là l’occasion pour Gaïd Salah, chef d’état major puis après le départ de Bouteflika, patron tout puissant de l’Algérie, de nommer à la tète de la GN Abderrahman Aâraâr, un de ses proches qui sera finalement viré lui aussi en août 2020, et également pour corruption! De quoi ternir l’image de la gendarmerie! D’autant que ces accusations contre les chefs de la gendarmerie sont d’autant plus mal venues que le puissant service de police judiciaire de la Gendarmerie qui convoque les suspects dans les bureaux de la cellule de Bab Djdid, en haut de la Casbah d’Alger, est devenu le bras armé de l’État major dans sa mise en cause des corrompus de l’ère Bouteflika.
Nordine Gouasmia aux commandes…pour un an
C’est ainsi qu’en aout 2020 est nommé à la tête de la gendarmerie Nordine Gouasmia, dont la proximité est connue avec le général Benali Benali, chef de la puissante garde présidentielle de 15000soldats aguerris, mais aussi le plus gradé des gradés algériens qui bénéficie l’image d’un nationaliste pur et dur, d’une absence totale de mise en cause pour malversations et d’un vrai charisme auprès des chefs de région et des cadres intermédiaires. De quoi faire de ce militaire très âgé, mais intransigeant, un sérieux contre poids au chef d’état major, le général Chengriha, qui tend à écarter toute opposition au sein d’une armée traditionnellement collégilae.
Lorsque, le 4 août dernier, le protégé de Benali Benali à la tête de la Gendarmerie est écarté brutalement de ses fonctions et interdit de quitter le territoire, c’est clairement lui qui est visé..
Bien qu’ayant été mis à la retraite d’office le 3 juillet 2019 pour corruption, le général Yahia Ali Oulhadj avait été nommé « chef d’état-major du « commandement de la Gendarmerie nationale », c’est à dire le numéro deux du corps, par son ami Chengriha, nommé en janvier 2020 à la tète de l’armée. Discrètement, ce gradé réalisait une enquête à charge contre son chef, le général Gouasmia. Et il le faisait à la demande de l’actuel chef d’état major, le général Ghengriha, auprès duquel il avait travaillé au sein de la troisième région militaire algérienne, face à la frontière marocaine.
Peu importe que deux autres généraux de la gendarmerie, Bourennane Sid Ahmed et Bejaoui Khaouas, présentaient toutes les qualités requises pour devenir patron de la gendarmerie. Or durant l’été, c’est le général Yayia Ali Oulhadj qui est choisi pour occuper ces fonctions en raison de sa proximité avec Chengriha ainsi que de la réputation répressive que ce kabyle a acquis au fil des années.
Une douzaine de colonels évincés
Plus impressionnante encore que cette rotation accélérée des grands patrons de l’institution militaire, c’est la purge qui, cet été, a touché une douzaine de chefs de région et de hauts cadres de la gendarmerie..
Dans le cadre des nominations qui interviennent dans l’armée le 5 juillet, fête de l’Indépendance le général Gouasmaia avait procédé dans la plupart des wilayas à la nomination de quelques dizaines de chefs régionaux, des postes particulièrement sensibles au contact de la population. Or courant juillet, une douzaine de ces promus, la plupart des colonels, ont été avertis qu’ils n’avaient pas à rejoindre leurs nouvelles fonctions notamment à Blida, Sétif, Djelfa, Bouira, Ghardaia ou encore la banlieue d’Alger.
Quelques jours après, les décrets portant leur nomination sont annulés. Depuis, le patron de la gendarmerie a été évincé. D’autres cadres ont été nommés courant Aoüt, mais dans le plus grand secret. Pour l’instant, personne ne connait l’identité des nouveaux promus. Autant dire que l’ensemble du corps a été véritablement décapité, pour permettre au chef d’état major de centraliser tous les pouvoirs en confiant les responsabilités, même à un niveau intermédiaire, à des affidés ou des courtisans. Au détriment du moral des troupes qui vient fonctionner une pure cooptation au détriment d’une armée qui restait en Algérie une des rares écoles de la réussite .
Répression toute !
Le prédécesseur du général Yaya Ali Oulhadj, le général Nordine Gouasmia, ne voulait pas impliquer le corps la gendarmerie dans les affrontements directs avec les manifestants du Hirak (mobilisation populaire). Les « escadrons de sécurité routière » bloquaient seulement les accès les manifestations, le vendredi, qui se dirigeaient vers la capitale et les grandes agglomérations. Les groupes d’intervention et de neutralisation (GIN) secondaient les forces de police lorsque celle-ci se trouvent débordées.
Cette stratégie d’intervention graduée qui fut celle de Gaïd Salah en 2019, grâce à laquelle le sang ne coula pratiquement pas en Algérie malgré des mobilisations populaires massives, n’est plus du goût du général Said Chengriha qui aspire à éradiquer définitivement la contestation populaire qui dure depuis plus de deux ans.
(1) D’après le journal britannique « The Guardian », plus de 2000 personnes, dont l’ancien patron de la gendarmerie algérienne, le général Ghali Belksir, qui est réfugié en France, ont acquis la nationalité de la nation de Vanuatu permettant aux détenteurs du passeport l’accès sans visa à l’UE et au Royaume uni.
Algérie, le cabinet noir du chef des armées, Saïd Chengriha
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