La Garde Républicaine du Gabon (2/3) : du sang et des armes

Ali Bongo ( à gauche) et Omar Bongo (à droite). Montage : Mondafrique.

Créée au milieu des années 60, la Garde républicaine du Gabon est passée de protectrice à détentrice du pouvoir. Mondafrique revient sur cette armée à part entière, qui a fini par porter à la tête du Gabon son commandant en chef : le général Brice Oligui Nguema. Voici le deuxième volet de cette série que nous lui consacrons. 

En 1970, Albert Bongo, seul maître du pays, lance le concept de la « Rénovation », qu’il présente comme une politique volontariste visant à faire du Gabon un pays prospère. Sur le plan politique, il se présente comme « l’homme du dialogue » et décide de libérer les prisonniers politiques qui ont survécu à la purge née du coup d’État de février 1964. Il invite également les opposants gabonais à l’étranger à regagner le pays et à se joindre à lui, y compris les révolutionnaires du Mouvement National de la Révolution Gabonaise (MNRG).

L’assassinat de Germain Mba 

Cependant, la politique de la main tendue du maître absolu du Gabon d’alors a ses limites. Ainsi, Bongo refuse de tendre la main au chef du MNRG, Germain Mba, homme brillant ayant fait des études à Sciences Po, secrétaire général adjoint de l’Union africaine et malgache (UAM) de 1962 à 1964, et qui avait dénoncé le contre-coup d’État du 19 février 1964 au Gabon avant de prendre le chemin de l’exil et de l’opposition en créant le MNRG.
Protégé du président Félix Houphouët-Boigny, Germain Mba est relancé dans le jeu politique gabonais par son puissant protecteur, qui demande à Bongo de ne pas se priver d’un Gabonais aussi brillant. « C’est un marxiste qui veut prendre ma place », répond alors Bongo au président ivoirien, qui le rassure en lui disant que tout ce qu’il faut faire, c’est donner à Germain Mba un poste qui correspond à son profil. Bongo accepte le retour de cet homme qui, en réalité, le complexait.
« Tu me jures que tu ne profiteras pas de son retour pour lui faire du mal ? », demande Félix Houphouët-Boigny.
« Je te le jure », répond Bongo.

Germain Mba assassiné en 1971. Son corps n’a jamais été retrouvé.


Pourtant, le 16 septembre 1971, Germain Mba est abattu et son corps emporté « par deux hommes blancs », précise sa femme Martine Oyane. Pour Pierre Péan, dans Affaires Africaines, ce meurtre « à la Ben Barka » est l’œuvre de deux éléments de la Garde Présidentielle, dont le célèbre Robert Denard, qui avait rejoint la garde présidentielle gabonaise quelque temps avant…
Ce crime inaugure d’une certaine façon le rôle particulièrement sanglant que la Garde Présidentielle va jouer au Gabon en pratiquant des assassinats ciblés ou des tentatives d’assassinats.
Ainsi, selon Pierre Péan, ce sont des agents de la G.P. qui vont assassiner le poète Ndouna Dépenaud à Libreville, qui était par ailleurs le voisin d’un certain Robert Luong, qui allait lui aussi connaître un destin tragique.
Un autre homme sera victime des tirs des agents de la G.P. : Roger Kedy Onanga est victime en 1982 d’une tentative d’assassinat de la part d’agents de la Garde Présidentielle. Roger Kedy Onanga, chef d’orchestre dans une célèbre discothèque de Libreville, entretenait une relation amoureuse avec la Première dame d’alors, ce qui lui avait valu les foudres de Bongo, qui lui avait envoyé des tueurs de sa garde.

La Garde Présidentielle contre le vent de l’Est

Après la chute du mur de Berlin, François Mitterrand demande lors du Sommet de la Baule de 1990 aux États africains francophones (hormis le Sénégal) d’aller vers la démocratie. Ce à quoi Bongo, devenu entre-temps Omar, répond sans ambiguïté : « Moi je vous le dis et je vous le confirme, le multipartisme au Gabon, zéro. Tant que je serai là, il n’y en aura pas. »
Pourtant, la rue gabonaise ne l’entend pas de cette oreille, et en mars 1990, Omar Bongo doit se résoudre, la mort dans l’âme, à mettre fin au parti unique et à organiser une conférence nationale. 
L’assassinat d’un opposant politique nommé Joseph Rendjambé, le 23 mai 1990 (plusieurs témoins parlent de l’implication de gardes présidentiels dans cet assassinat), crée l’émoi dans le pays, mais aussi de très importantes manifestations. Bongo encaisse le coup, mais sait qu’il peut compter sur sa Garde Présidentielle, qu’il déploie et menace : « Ça a assez duré, nous mettrons de l’ordre, quel qu’en soit le prix. »

Au plus fort de la contestation de mai 1990, la Garde Présidentielle se rend chez le président de l’Assemblée nationale du Gabon, Augustin Boumah, pourtant fervent partisan de Bongo, mais qui se trouve être susceptible de le remplacer au cas où la rue prendrait le dessus. Augustin Boumah échappera aux nombreux militaires venus chez lui et, après s’être réfugié dans une ambassade, démissionnera de son poste, choqué…

Réprimer la fraude dans le sang

Fin 1993, le Gabon connaît la première élection multipartite de son histoire et voit Omar Bongo battu dans les urnes. Mais c’est mal connaître Bongo, qui a de la ressource, et se fait proclamer vainqueur unilatéralement grâce à son ministre de l’Intérieur, puis fait valider sa victoire par une Cour constitutionnelle cornaquée par une de ses concubines: Marie Madeleine Mborantsuo qui fera longtemps parler d’elle en mal. Le vrai vainqueur de cette première élection présidentielle est Paul Mba Abessole.  La rue conteste, mais l’armée et surtout la Garde Présidentielle réprime et tue sans ménagement jusqu’en mars 1994. Le bilan de cette répression, qui n’est pas connu, serait à minima d’une cinquantaine de morts. Au cours de cette période sanglante, la quartier général de l’opposant Mba Abessole est attaqué par des éléments de la G.P. qui tenteront de pénétrer dans l’ambassade des États-Unis d’Amérique où il s’était réfugié.
Ce coup d’État électoral se réglera à Paris et donnera lieu à des accords éponymes. Bongo, qui reste au pouvoir, distribue des prébendes aux opposants et accepte des réformes, parmi lesquelles celle de la Garde Présidentielle.
Si la Garde Présidentielle change de nom et devient Garde Républicaine à la demande de Paul Mba Abessole, rien ne change dans le fonctionnement de cette armée à part entière et entièrement à part, qui est désormais dirigée par un Gabonais proche cependant d’Omar Bongo.

Une d’un journal de l’époque relatant la répression menée par la G.P. du Gabon.

Ali Bongo Président

En 2009, Omar Bongo meurt à Barcelone, et la Garde Républicaine enterre son chef avec les honneurs, bien qu’il n’ait pas mené une vie honorable.
Fidèle, la Garde Républicaine assure à Ali Bongo, qui a été pendant les dix dernières années du règne de son père ministre de la Défense, l’accession au trône présidentiel. Pendant la campagne qui a lieu fin août 2009, la sécurité d’Ali Bongo, pourtant candidat et simple député (il a dû démissionner de son poste de ministre de la Défense suite à des manifestations), est littéralement protégée par son frère Frédéric Bongo, patron des services de renseignement de la Garde Républicaine : La Direction Générale des Services Spéciaux (D.G.S.S.)
Ali Bongo arrive finalement au pouvoir grâce à un coup d’État électoral, favorisé néanmoins par une opposition insidieuse mais surtout par la Garde Républicaine, qui n’hésite pas à faire – comme il est de tradition – le coup de feu. Port-Gentil, la deuxième ville du pays, est mise sous cloche et une très sanglante répression  y est menée et dure plusieurs jours. Des témoignages parlent de fosses communes et d’opposants jetés par hélicoptère dans l’océan Atlantique. Cela s’appelle des vols de la mort.

Frédéric Bongo (entouré) alors patron de la Direction Générale des Services Spéciaux (D.G.S.S. -Garde Républicaine du Gabon) assurant la protection d’Ali Bongo lors de la campagne présidentielle de 2009.

« Bongo sait qu’il a perdu, mais comment va-t-il faire pour annoncer qu’il a gagné ? »

En 2016, ont lieu des élections présidentielles au Gabon. Ali Bongo se retrouve face à son ancien beau-frère et collaborateur de son père, Jean Ping, qui a su, tant le rejet d’Ali Bongo est fort, cristalliser le soutien de la population gabonaise. Fin août, les Gabonais votent et le résultat des urnes est sans appel : « Bongo sait qu’il a perdu, mais comment va-t-il faire pour annoncer qu’il a gagné ? », s’interroge l’un des observateurs de l’Union européenne placé sur écoute par les services de renseignement du Gabon. Ali Bongo a été battu, mais comme en 1993 avec son père, il se fait déclarer vainqueur par son ministre de l’Intérieur, déploie son armée et sa garde pour réprimer toute contestation.

Jean Ping.

Le massacre du Q.G. de Jean Ping

Le 31 août 2016, dans la nuit, la Garde Républicaine attaque le quartier général de Jean Ping où se trouvent plus d’un millier de personnes. Au cours de cette nuit d’horreur, ses éléments commettent les pires atrocités : exécutions, tortures et viols. Rien n’est épargné aux partisans de Jean Ping, à qui des éléments de la Garde Républicaine, conscients de la défaite dans les urnes de leur « patron » (oui, c’est ainsi qu’ils l’appellent), Ali Bongo, lancent : « Vous n’avez pas honte d’avoir voté pour un Chinois ? »
Prudents, les gardes républicains emportent les corps de leurs victimes qu’ils enterrent, selon plusieurs témoignages, dans une de leurs bases. Parmi ces disparus se trouve Gildas Tchinga, Gabonais, 32 ans…


Le lendemain, quelques victimes raconteront l’horreur de cette sanglante nuit : « On a dormi auprès des morts. »
Partout dans la capitale, des enlèvements sont perpétrés et plusieurs personnes sont abattues par de véritables escadrons de la mort. La terreur règne et Ali Bongo aussi. 
La Garde Républicaine, fidèle,  y veille. 

La Garde Républicaine du Gabon (3/3) : la prise de pouvoir