En Côte d’Ivoire, Alassane Ouattara redouble de violence à l’approche de la présidentielle d’octobre prochain, dans sa chasse aux partisans de l’ex-président Laurent Gbagbo
Enlevés au début du mois de mai à leurs domiciles par la police spéciale créée par Ouattara, trois dirigeants du FPI (Front Populaire Ivoirien), le parti créé par Gbagbo il y a plus de trente ans, ont réapparu dans trois prisons du nord du pays où ils ont été envoyés après être passés par la case DST. Dans un premier temps, un juge les a inculpés de « troubles à l’ordre public » et « défiance à l’autorité de l’état ». Voyant que ce délit nouveau de « défiance » était très fantaisiste au regard du bon exercice du droit, la justice a rectifié le tir et l’a requalifié en « discrédit sur une décision de justice, violence et voies de faits sur les forces de l’ordre, rébellion et atteinte à l’ordre public ».
Depuis son arrivée au pouvoir, Ouattara, qui avait promis, durant sa campagne électorale, de travailler pour l’établissement d’un véritable état de droit, multiplie les décisions partisanes au point que ses adversaires dénoncent aujourd’hui la dérive dictatoriale de son régime.
« Rattrapage ethnique »
Au nom du « rattrapage ethnique », il a commencé par purger les directions d’administrations publiques de tous les supposés partisans de Gbagbo, issus du sud du pays. Le port d’Abidjan est désormais exclusivement géré par ses fidèles issus du nord. Une situation que le chanteur Tiken Jah Fakoly, qui fait pourtant partie de ses chauds partisans, dénonce dans une chanson inédite. Il s’est opposé à l’engagement de poursuites contre ses fidèles qui, selon des ONG comme Amnesty International, sont responsables au moins à parts égales, des trois mille morts décomptés lors de la crise électorale de 2011.
Dans un rapport datant de 2014, une autre ONG, Human Rights Watch, constatait que « les membres des forces de sécurité ont continué à se livrer à de nombreuses violations des droits humains et à des actes criminels, notamment des arrestations arbitraires, le traitement cruel et inhumain de détenus et l’extorsion de fonds aux postes de contrôle. La justice à sens unique pour la crise post-électorale, poursuivait HRW, a sapé la réconciliation et, associée aux faiblesses persistantes au sein du système judiciaire, a entravé les progrès dans l’établissement de l’État de droit. Alors que les autorités ivoiriennes ont mené des enquêtes et mis en accusation de nombreux partisans de l’ancien président Laurent Gbagbo pour leur rôle dans la violence post-électorale, il y a eu une absence quasi complète de justice pour les crimes graves commis par les forces du président Ouattara. » L’ONG relevait également de nombreux cas de violences sexuelles commises par les forces de l’ordre et une corruption endémique au profit des seigneurs de la guerre, fidèles de Guillaume Soro, allié de Ouattara et actuel président de l’Assemblée Nationale ivoirienne. Le désarmement de plusieurs milliers de combattants, chasseurs traditionnels dozos ou aventuriers venus de pays voisins appelés à la rescousse en 2011 pour s’opposer à l’armée fidèle à Gbagbo, n’est toujours pas effectif et ces miliciens continuent à semer la terreur dans les villages.
Seuls les partisans de Laurent Gbagbo ont donc été arrêtés et ont commencé à être jugés après quatre ans de détention provisoire. Selon des procédures rocambolesques, sans enquêtes sérieuses et sans témoins ayant une quelconque crédibilité. Ce qui n’a pas ému le ministre de la Justice de Ouattara pour qui il n’y a pas besoin de preuves puisque ces accusés sont, de notoriété publique, coupables. Coupables mais en fonction de leur degré de soumission au nouveau pouvoir. Pascal Afffi N’Guessan qui, en 2011, était président du FPI, n’a écopé que de quatorze mois de prison avec sursis, tandis que certains de ses coaccusés en prenaient pour vingt ans ferme. Un Affi N’Guessan, partisan d’une participation à la présidentielle d’octobre alors que la majorité des membres historiques du parti (dont les trois cadres arrêtés lundi) ont décidé de la boycotter tant que Gbagbo n’est pas libéré. Comme si elle n’avait pas d’autres chats à fouetter, la justice ivoirienne s’est mêlée de ce débat interne, donnant évidemment raison à Affi N’Guessan.
Ouattara, qui est déjà engagé dans la campagne pour sa réélection, veut à tout prix présenter une vitrine « pluraliste » à la « communauté dite internationale », c’est à dire à la France qui maintient plusieurs centaines de militaires dans le pays. Au premier tour de la présidentielle d’octobre 2010, il était arrivé deuxième avec 32% des voix, derrière Gbagbo mais devant Bédié, l’ancien président renversé en 1999, qui s’était ensuite plaint d’avoir été spolié de sa deuxième place qualificative pour le second tour.
Dans ce contexte de plus en plus délétère, on attend que la France, l’ex-puissance toujours un peu coloniale, dont l’armée a bombardé en 2011 la résidence de Gbagbo et a procédé elle-même à son arrestation, fasse entendre sa voix. Mais, François Hollande est sans doute trop occupé par sa défense des droits de l’homme en Arabie Saoudite et au Qatar.