Fort d’une popularité inédite, le président tunisien, Kaïs Saïed rêve d’avoir son propre parti et au delà, d’imposer un régime présidentiel, en reconstruisant la vie politique en Tunisie.
Etrange alliage de conservatisme sur les femmes ou l’homosexualité, d’audace institutionnelle et d’un populisme intransigeant, le président fait tout pour concrétiser le rêve d’un régime débarrassé du carcan politique des partis traditionnels. Il lui faut dans cet exercice beaucoup d’habileté compte tenu des pratiques démocratiques qui se sont imposées en Tunisie depuis le printemps arabe de 2011 et qui ont vu les élites politiques, les islamistes en tète, respecter à la lettre une constitution de type parlementaire.
La nomination de l’ancien ministre de l’Intérieur Hichem Mechichi à la tête du gouvernement a été un premier pas vers ce dessein autoritaire. En le désignant le 25 juillet dernier pour constituer un nouveau gouvernement, le chef de l’Etat le sort de l’anonymat et profite de la fenètre de tir créée par l’affaiblissement du mouvement islamiste Ennahdha et de son chef, le Cheikh Ghannouchi..
Un gouvernement désigné aux forceps
Le 11 août, Hichem Mechichi surprend tout le monde en proposant un gouvernement indépendant des partis politiques. Ces derniers, et à leur tête Ennahda et Qalb Tounès, refusent catégoriquement. Mais l’homme de confiance de Kaïs Saïed n’en a cure. Il fonce et annonce le 24 août la composition de son gouvernement. La liste ne fait pas de place aux partis politiques. Le nouveau premier ministre choisit ses ministres dans le vivier de l’administration tunisienne. Des femmes et des hommes qui jouaient certes des seconds rôles, mais étaient au cœur de la bureaucratie qui dénonçait les dérives du système partisan et ses « compromissions ».
Le président Saïed vient de gagner une bataille face aux partis politiques. Tous les membres du nouveau gouvernement savent qu’ils doivent leur ascension au chef de l’Etat. Ce sera lui qui leur garantira une « paix politique » qu’il compte imposer aux formations représentées au parlement.
Les partis politiques au pied du mur
D’ailleurs, face au forcing de Carthage, les partis se retrouvent au pied au mur. Si le 1er septembre ils refusent l’investiture au gouvernement Mechichi, ils savent qu’ils doivent retourner, une énième fois, devant les électeurs. Une perspective qui n’enchantent réellement ni les Tunisiens ni les états-majors des partis.
Alors, Kaïs Saïed a un couloir, certes étroit, mais où il peut s’engouffrer lui et son gouvernement. Et c’est là où le jeu va se corser. Si la nouvelle équipe est adoubée, elle sera reconnue formellement et exclusivement comme celle du président… Elle réussit. Le locataire de Carthage aura les mains libres d’en faire le noyau d’un nouveau parti politique… Elle échoue. Elle emportera avec elle les ambitions politique de Kaïs Saïed ainsi que sa présidence. Apparemment, « la roulette russe » est devenue le jeu favori des politiques tunisiens.