Le patron du site Mauriweb qui a été incarcéré en Mauritanie après avoir été accusé de diffamation envers le fis du chef de l’Etat, répond à Mondafrique.
Mondafrique. Pourquoi avez-vous été placé en détention jeudi 7 avril ?
Jedna Deida. Jeudi, vers 10 heures de la matinée, je reçois un coup de fil de la police judiciaire. On me signifie que Bedr Ould Abdel Aziz, le fils du président Mohamed Ould Abdel Aziz, a porté plainte contre moi par le biais de deux avocats mandatés à cet effet. La plainte porte sur de prétendues « diffamations » et une « atteinte à l’honneur » à la suite d’un article diffusé sur notre site.
Dans la plainte, les avocats prétendent que je m’en prends systématiquement au fils du président et à sa famille. Je n’ai aucun pourtant cité le fils du chef de l’Etat dans mes articles qu’à deux occasions. La première fois lorsqu’en janvier 2012, il avait tiré sur un jeune mauritanienne, Raja Mint Esyadi. La seconde, – qui m’a valu d’être convoqué – lorsque je me suis interrogé sur son implication dans l’affaire des tirs qui ont blessé un berger dans le ranch de son père.
Ignorant la loi sur la dépénalisation des délits de presse en vigueur en Mauritanie, mon confrère et moi avons été écroués.
Mondafrique. Malgré les dérives autoritaires, le régime mauritanien fait preuve d’une certaine ouverture vis-à-vis des journalistes. Pensez-vous que la liberté d’expression se dégrade ?
Jedna Deida. Les journalistes ne sont certainement pas en odeur de sainteté. Le régime nous a depuis longtemps dans le collimateur parce que nous faisons un travail d’investigation et de dénonciation des abus. Jusqu’ici, c’est vrai, la presse mauritanienne a pu critiquer assez librement le chef de l’Etat. Mais depuis quelques temps l’étau s’est resserré. Le pouvoir a notamment ordonné l’interdiction de plusieurs émissions de télévision et de radio et tenté d’intimider et d’emprisonner de journalistes. Le tout en violation de la loi de dépénalisation qu’il se targuait lui-même d’avoir mise en place. La multiplication de ces pratiques répressives et l’instrumentalisation systématique de l’administration publique au profit des responsables au pouvoir révèlent la face cachée d’un régime qui n’a aucune considération pour le jeu démocratique.
Mondafrique. Sur quels types de problèmes souhaiteriez-vous donner un coup de projecteur ?
Jedna Deida. Les questions d’injustice, l’ampleur de la corruption, le dialogue impossible avec l’opposition, le favoritisme, les trafics de drogue, l’écroulement économique de la société nationale en charge de l’exploitation minière, la SNIM, l’un des principaux pourvoyeurs de devises du pays. Sans parler des scandales liés à la construction du nouvel aéroport international de Nouakchott, du non respect systématique du code des marchés publics, des pratiques d’esclavage qui perdurent… Les Occidentaux qui ont des représentations diplomatiques sur place ne sont pas dupes. Mais leur priorité reste le partenariat avec la Mauritanie pour la lutte contre le terrorisme.
Mondafrique. Comment voyez-vous l’avenir de votre pays ?
Jedna Deida. Le climat est totalement délétère tant sur le plan du respect des droits de l’homme que celui de la précarité économique. La pauvreté qui touche de larges segments de la population se trouve quotidiennement aggravée par l’indifférence des autorités. Les défaillances dans la redistribution des ressources nationales nourrissent les frustrations notamment au sein de la jeunesse gravement touchée par le chômage. Les violations des libertés constitutionnelles alimentent leur colère créant un terreau favorable au développement de l’extrémisme.
Sur le plan politique, l’opposition ne parvient pas à amorcer un dialogue national. Cerise sur le gâteau, des rumeurs courent aujourd’hui sur une possible réforme de la Constitution visant à faire sauter le verrou du mandat présidentiel fixé à 5 ans et renouvelable une seule fois.
Le pays qui n’avait pour seule vitrine extérieure que le fait d’être le champion de la liberté d’expression dans le monde arabe est en train de perdre son dernier cache-misère. Les dernières affaires de musellement des médias dont j’ai été victime montrent le vrai visage du régime. Les masques sont tombés.