Considéré par l’Elysée comme le futur vainqueur des présidentielles d’octobre au Burkina Faso, Roch Marc Christian Kaboré, président du parti d’opposition du Mouvement du Peuple pour le Progrès (MPP), avait donné un entretien à Mondafrique fin décembre 2014 dans lequel il préconisait notamment de limiter le rôle du chef de l’Etat
Ancien président de l’Assemblée nationale et ex premier ministre sous Blaise Compaoré, Roch Marc Christian Kaboré semble avoir acquis la confiance des socialistes français au pouvoir qui voient volontiers en lui le futur président du Burkina Faso.
Banquier de profession, cet ancien militant de gauche, fils de bonne famille réputé bon vivant et à l’aise dans le monde des affaires devient l’un des hommes de confiance de Blaise dès son arrivée au pouvoir en 1987. Sous son règne, il occupera successivement les postes de ministre des transports, ministre de la Coordination de l’action gouvernementale, premier ministre et président de l’Assemblée nationale. En janvier 2014, il claque la porte du parti de celui qui l’a porté au pouvoir, le CDP, pour créer, avec plusieurs autres grandes figures du régime sa propre formation, le MPP.
Convacincus de sa victoire aux présidentielles d’octobre prochain qui doivent clôre une transition d’un an, les conseillers Afrique de l’Elysée vont un peu vite en besogne. S’il a l’avantage d’être un Mossi – l’ethnie majoritaire au Burkina – contraiement à son adversaire Zéphirin Diabré, Roch pourrait se heurter aux partisans de l’ex chef de l’Etat Blaise Compaoré qui compte bien barrer la route à ceux qu’il soupçonne d’être en partie responsable de sa chute. Entretien.
Mondafrique. Après la chute de Blaise Compaoré au terme de 27 ans de règne, les burkinabés réclament un certain nombre d’avancées sur des dossiers clés comme celui de Thomas Sankara et de Norbert Zongo. Où en est-on ?
Roch Marc Christian Kaboré. Il y a une grande attente de la part des burkinabés sur un certain nombre d’affaires judiciaires dont ces deux dossiers. A partir de 2001, sous Blaise Compaoré, un processus de réconciliation avait été lancé mais avait échoué à fermer toutes les fractures. Pour le gouvernement à venir après les prochaines élections, ces questions constituent un vrai défi et une priorité. Au début de son mandat, le gouvernement de transition a fait plusieurs annonces pour marquer la voie dans ce sens. Mais il lui est impossible de résoudre ces problèmes en si peu de temps.
Mondafrique. Le président Michel Kafando et le premier ministre Isaac Zida ont donné le sentiment de ne pas être sur la même ligne sur ces sujets.
R.M.C.K. Sur le dossier Sankara, Michel Kafando a affirmé qu’il donnerait les moyens à la famille d’expertiser la tombe du défunt et de procéder à des tests ADN. De son côté, Zida avait déclaré que dans le cas où on découvrirait que Blaise Compaoré était compromis d’une façon ou d’une autre, on demanderait à le faire extrader du Maroc où il s’était réfugié à cette époque. Cela avait provoqué un tollé, notamment parce que le Burkina n’a pas d’accord d’extradition avec le royaume chérifien. Quelques jours plus tard, lors d’une réunion avec la francophonie, les chefs d’Etat africain ont rappelé Zida à l’ordre en lui faisant comprendre que son rôle n’était pas de faire la chasse aux sorcières mais d’organiser des élections. Finalement, il a été contraint de rétropédaler et a déclaré que la question de l’extradition de Blaise n’était une priorité. Sur le fond, il était évident pour tout le monde que ces questions juridiques primordiales ne pourraient être résolues par le gouvernement de transition.
M. Pourtant, de nombreux juristes habitués des affaires de corruption mettent en garde contre les retards de procédures qui donnent le temps aux suspects de dissimuler les preuves.
R.M.C.K. Dans un Etat de droit, on ne peut incriminer quelqu’un sur la base d’un ressenti, sans apporter de preuves. Il faut des audits. Les attentes des citoyens sont parfois si grandes qu’ils en viennent à se demander s’il n’y a pas eu d’arrangements pour faire sortir certains anciens dignitaires hors du pays. Il faut que le gouvernement, le président et le CNT travaillent à canaliser l’opinion dans le sens du respect de l’Etat de droit. Nous ne sommes plus au temps de Sankara, sous l’Etat d’exception où c’était le tribunal populaire qui décidait. Les enquêtes doivent être lancées mais toujours sur des bases qui tiennent compte du droit, sans susciter d’attentes démesurées bien souvent alimentées par des rumeurs. Il n’y qu’à voir ce qui se passe au Sénégal. Au départ, Karim Wade étai accusé d’avoir détourné près de 100 milliards de francs CFA. Aujourd’hui, on parle de 20 milliards. L’opinion se demande à juste titre où sont passés les 80 milliards ! Dans ces affaires, on souhaite toujours en découdre coute que coute. Mais il faut trouver une solution juste.
M. Le premier ministre Zida est un militaire issu de la puissante garde rapprochée de l’ex président, le RSP. Dans le gouverenment, on compte pas moins de … militaires à des postes de ministre. Comment interprétez-vous cette présence importante ?
R.M.C.K. L’insurrection populaire des 30 et 31 octobre s’est appuyée sur une branche politique, les partis et la société civile, mais aussi sur une branche militaire opposée au système qui a pactisé avec les civils et n’a pas tiré sur la foule. On ne pouvait les exclure du jeu politique. L’essentiel aujourd’hui pour nous c’est que ces forces tiennent parole et se retirent lors des élections pour qu’émerge un gouvernement aux reflets plus civils.
Un autre dossier important est la réforme de l’armée. Blaise Compaoré a divisé les militaires en freinant l’équipement de l’armée régulière. Depuis 2011 il a fait récupérer tout le matériel stocké dans les casernes, afin de laisser le RSP, le corps d’élite qui assurait sa sécurité personnelle, comme seule unité capable de peser. A terme, peut-être que le RSP pourrait occuper des fonctions particulières à l’image des forces spéciales en France. Ces militaires pourraient être postés aux frontières au Mali et prendre en charge des questions de sécurité hautement stratégiques.
M. Lors de l’insurrection du 30 et 31 octobre, Honoré Nabéré Traoré alors chef d’Etat major des armées avait revendiqué la présidence finalement accordée à Zida juste après la chute de Blaise. Que s’est-il passé ?
R.M.C.K. Quand le chef d’Etat a démissionné, la population a demandé à ce que les militaires prennent leur responsabilité. Mais il y a eu une division entre les généraux. En fait, le départ de Blaise était un faux départ. Il voulait se replier dans la ville de Pô en attendant un retour au calme. Mais quand Honoré Nabéré Traoré a fait sa déclaration, il s’est présenté comme nouveau président du Faso ce qui a déplu. Le RSP et Zida ont repris les choses en main. Zida s’est présenté à la foule et le public a considéré qu’il était le nouveau patron.
Concernant Blaise, des habitants de Ouagadougou ont téléphoné à Pô pour donner l’ordre de l’empêcher d’entrer dans la ville. Averti, il a finalement demandé à la France de l’exfiltrer par hélicoptère.
M. Le chef de file de l’opposition, Zéphirin Diabré, a critiqué la lenteur des autorités françaises qui, contrairement aux Etats-Unis, se sont opposées tardivement à la tenue d’un référendum destiné à réviser la Constitution pour permettre à Blaise de briguer un autre mandat. Qu’en pensez-vous ?
R.M.C.K. C’est simple. Compte tenu de ses intérêts sous régionaux, la France ne peut pas avoir la même position que les Etats-Unis. La principale préoccupation de Paris est la stabilité sous-régionale. Et les militaires français considèrent, comme c’est le cas depuis longtemps, que sans Compaoré, le Burkina ne peut pas fonctionner. A fiortiori depuis qu’il s’était imposé comme médiateur des conflits sous régionaux, notamment pendant un temps au Mali. L’armée française a toujours bloqué le volet politique en désignant Blaise comme une personnalité incontournable. Ce n’est pas un hasard si les deux derniers ambassadeurs français au Burkina sont des militaires. Mais sur le plan politique, Paris redoute toujours de renvoyer une image néocolinialiste. Nous avons plusieurs fois été reçus par différentes personnalités françaises pour parler de Blaise. Peine perdue la consigne était « profil bas ». Et Djibril Bassolé, l’ancien ministre des affaires étrangères de Blaise qui est lui-même un militaire avait bien plus d’entrées à l’Elysée.
M. Concernant le Mali justement, le fait que des chefs touaregs ait été accueillis à Ouagadougou a fortement déplu au président IBK qui a accusé Blaise de faire en partie leur jeu et celui des militaires français qui bénéficiaient d’une alliance discrète avec le MNLA.
R.M.C.K. La France a délégué la résolution de nombreux problèmes à Blaise qui a toujours su gardé le contrôle. La position de Blaise, soutenue par la France, était de parvenir à une fédération au Mali avec une partie Azawad et une partie sud. C’est un problème qui date de l’époque coloniale. Et grâce à son rôle de médiateur comme par exemple lors de la rébellion touareg au Niger, Blaise s’est constitué un épais carnet d’adresse chez les chefs touaregs qui lui ont permis de libérer des otages. Mais tout ça c’est du court terme comme ce qui avait été fait au Libéria. Ça vous rattrape toujours. La preuve, les relations avec IBK se sont déteriorés. Il faut savoir arrêter et rentrer dans un cycle normal.
M. Salif Diallo, ancien conseiller de Blaise rallié à l’opposition et dont le rôle durant l’insurrection demeure trouble, est membre de votre parti, le MPP. Ne risque-t-il pas, à l’apporche des élections, d’y avoir une division entre vous.
R.M.C.K. Non il n’y pas de questions de ce côté là. Salif Diallo et moi sommes dans le même camp.
M. Sur le plan politique, quels seraient selon vous les mesures prioritaires à adopter après les élections ?
R.M.C.K. Nous souhaitons apporter des avancées sur le plan de la démocratie qui, malgré les apparences, reste faible au Burkina. La presse est libre, les principes fondamentaux sont bien enracinés mais sur le plan politique, tout a été fait pour que l’opposition n’ait pas la capacité de nuire au pouvoir. Depuis que nous, les membres du MPP, nous sommes éloignés de Blaise en 2013, les choses ont un peu changé. Il faut renforcer cette tendance. Faire en sorte que le devoir de rendre des comptes soit en permanence exercé par tous. Il faut par ailleurs que les prérogatives du président soient diminuées pour qu’il ne soit pas le seul à décider et renforcer le rôle du parlement.
M. Etant donné que vous avez fait toute votre carrière politique sous Blaise Compaoré, beaucoup doutent de votre capacité à apporter un réel changement par rapport à l’ancien système…
R.M.C.K. Difficile de trouver quelqu’un ici qui n’ait pas été avec Blaise Compaoré. A des degrés différents bien sûr mais si on veut raisonner comme ça, tout le monde est le produit de Blaise Compaoré. Au moins, nous avons l’expérience de la gestion du pouvoir et savons où sont les problèmes. Zéphirin Diabré a été ministre des finances quand j’étais moi-même premier ministre. Il a été président du Conseil économique et social, ministre du commerce. J’ai été président de l’Assemblée nationale. Mais l’ancien système était organisé autour du cumul d’argent et nous ne pouvons fondé le nouveau pouvoir sur les mêmes principes c’est évident ! Et nous n’avons pas de casseroles. De son côté, le CDP, l’ancien parti de Blaise est dans un état léthargique qui fait que beaucoup d’anciens membres veulent rejoindre MPP. Pour l’instant nous souhaitons freiner cette venue amis à terme la coopération devra se faire avec tout le monde.