Il a armé la Seleka, adore les belles du désert, s’offre un Mig 29. Jusqu’où ira Idriss Déby, qui vole maintenant au secours du Cameroun attaqué par Boko Haram qu’hier il soutenait ?
Il arbore des lunettes finement cerclées d’intellectuel mais il ne faut pas s’y tromper. Idriss Déby, 62 ans, n’est pas un rat de bibliothèque mais un chef de guerre qui depuis presque un quart de siècle multiplie les coups de main, les coups tordus, se sort de situations désespérées, souvent avec l’aide de la France, et survit dans une région d’Afrique, particulièrement instable. Dans l’ex-empire colonial français où beaucoup de chefs d’État sont assis sur des sièges éjectables, il est un exemple de stabilité.
Un coup d’avance
La baraka ? Sa longévité ne doit rien au hasard. Elle est le fruit d’une intelligence tactique, que ses adversaires qualifient de machiavélique, qui lui permet souvent de rester maître du jeu. Doublée d’une absence totale de scrupules, qui le conduit à éliminer physiquement ses opposants, à terroriser ses adversaires, ce qui lui vaut le qualificatif logique de dictateur et des accusations réitérées de crimes contre l’humanité. Mais, comme ce brave Idriss se fait réélire dans des élections pluralistes, mais truquées, qu’il reste un allié fidèle, connaissant parfaitement les limites à ne pas dépasser, la France lui accorde un crédit quasi-illimité.
Sous Chirac, Sarkozy, ou Hollande, l’ex-puissance coloniale sait cocooner les présidents qui « tiennent bien leur pays ». Comme Compaoré, un autre pilier de la Françafrique, qui vient pourtant d’être renversé par la rue et le lâchage de ses militaires après 27 ans de règne sans partage sur le Burkina Faso. Et qui doit aujourd’hui se mordre les doigts d’avoir refusé la présidence de la Francophonie que lui proposait François Hollande. C’était pourtant un bâton de maréchal mérité pour un homme qui, avec Taylor, a trafiqué les diamants du sang et a passé son temps à déstabiliser ses voisins, Liberia, Guinée, Côte d’Ivoire, etc… Mais pas comme Kadhafi, dont l’élimination par Sarkozy a été considérée comme une erreur par Déby et de nombreux dirigeants de la région.
Le président tchadien, lui, ne semble pas devoir connaître un sort aussi funeste. Il est plutôt sur une pente ascendante. Grâce notamment aux revenus du pétrole qui a commencé a être exploité au Tchad depuis une dizaine d’années, et grâce à une armée aguerrie, la seule qui mérite ce qualificatif en Afrique francophone. Si efficace qu’elle a prêté main forte aux militaires français dans leur lutte contre le terrorisme au Nord Mali, qu’elle a joué un temps les casques bleus en Centrafrique après que Déby ait semé la mort et le désordre en armant et en soutenant les miliciens de la Seleka et qu’on la voit maintenant débarquer au Nord Cameroun pour arrêter la progression de Boko Haram.
Bonne fortune.
Idriss Déby possède une collection impressionnante de Hummers et ses thuriféraires se perdent dans le compte de ses nombreuses épouses. Quatorze, peut-être quinze, dont les dernières, deux magnifiques jeunes femmes du désert, la belle et influente Hinda et la voluptueuse Amani, fille d’un chef de milice Janjawid soudanais, ont été richement dotées.
S’en prendre à Boko Haram, un mouvement terroriste qu’il a longtemps couvé, quelle mouche a donc piqué Déby. Est-il soudainement touché par la grâce de la lutte anti-terroriste ? Agit-il pour le compte de la France ? Si les militaires français applaudissent en coulisses, le Quai d’Orsay ne fait aucun commentaire. Le voilà donc débarqué depuis une dizaine de jours avec des centaines d’hommes et de véhicules pour faire la police dans un pays totalement incapable de se défendre lui-même. Le Cameroun, dirigé depuis 32 ans par Paul Biya, 82 ans, dispose pourtant d’une armée de quarante mille hommes (avec la gendarmerie). Des militaires mal-entraînés et sous-équipés, en raison de la corruption de généraux qui détournent une partie du budget et surtout de la méfiance de Biya envers les hommes portant treillis ce qui lui a permis, jusqu’à maintenant, d’éviter d’être renversé par un coup d’État. Si le président vient de s’offrir comme avion de fonction un Boeing 767, son armée de l’air ne dispose que de Fouga Magister, un avion de combat datant des années cinquante, et d’Alpha Jet, conçu dans les années soixante-dix. Une défense de pacotille à côté de celle du Tchad, équipée de Sukkhoïs, d’hélicoptères de combat Mi24 et Mi17, et depuis quelques mois d’un Mig 29, disposant aussi d’une unité anti-terroriste formée depuis 2004 par les Américains. En déployant une telle force de frappe face à Boko Haram, Déby prend le risque d’être attaqué sur son propre sol par une organisation djihadiste qui dispose déjà d’une base arrière au Niger, mène des actions au Cameroun et tente de s’implanter en Centrafrique. Pour prévenir la menace, il vient de rafler et d’arrêter un millier de suspects de sympathies islamistes à N’Djamena. Mais, on le voit au Nigeria, la réponse exclusivement militaire à la barbarie des Barbus ne permet pas de réduire leur influence et leur expansionnisme. Dans un pays complètement corrompu, dirigé par un président, Goodluck Jonathan, notoirement incompétent, les populations du nord, qui se sentent abandonnées du pouvoir de Lagos, continuent d’apporter un soutien passif aux islamistes, avec la complicité d’élites et de politiciens locaux, fâchés d’être marginalisés. Sans mesures politiques et sociales visant à réduire son influence, le djihadisme ne peut être vaincu durablement.
Confiant en sa bonne étoile qui lui a permis de se sortir sans dommages de son engagement contre les islamistes maliens, Idriss Déby n’a cure de considérations politico-sociales. En envoyant ses troupes contre Boko Haram au Cameroun, il espère faire d’une pierre deux coups. Renforcer sa stature de président incontournable aux yeux des Occidentaux et aussi protéger les intérêts économiques de son pays. Totalement enclavé, le Tchad ne dispose pas d’autres débouchés que le Cameroun pour assurer son approvisionnement, via une voie ferrée, et évacuer son pétrole, via un oléoduc d’un millier de kilomètres. Deux cordons ombilicaux menacés par la présence de Boko Haram. En 2013, Biya avait obtenu le triplement des droits de passage du pétrole tchadien qui apportent de substantiels revenus au trésor camerounais. Il est probable que Déby fera chèrement payer son aide militaire. Entre vieux crocodiles du marigot françafricain, on ne se fait jamais de cadeaux.