Ferhat Mehenni est un homme politique kabyle âgé de 66 ans qui a fondé le Mouvement pour l’Autonomie de la Kabylie (MAK) en 2001, devenu depuis 2013 le Mouvement pour l’Autodétermination de la Kabylie. Dix ans plus tard, est créé un Gouvernement Provisoire Kabyle (GPK) en exil.
Depuis des décennies, Fehrat Mehenni a le don d’exaspérer le pouvoir algérien qui voit en lui un agent du Maroc, d’Israel ou encore de la CIA. Soit le diable en personne. Il n’en demeure pas moins que son aura est réelle dans une partie de la communauté kabyle et son dessein politique de rendre la Kabylie indépendante constant. C’est la raison pour laquelle Mondafrique, sans soutenir en rien ses positions, a décidé de rencontrer cette figure emblématique de la politique méditerranéenne.
Voici notre entretien avec Ferhat Mehenni conduit par Farid Benmokhtar, enseignant à Paris 8.
Nicolas Beau
Mondafrique. Votre mouvement politique le MAK a seize ans d’existence. Comment évaluez-vous l’adhésion du peuple Kabyle à votre mouvement ?
Fehrat Mehenni. Redonner confiance au peuple kabyle et l’amener à croire en son avenir d’indépendance a été un travail de longue haleine. La suspicion légitime envers une classe politique qui l’a toujours trahi a été le plus grand obstacle à vaincre. Mais par la constance, la fermeté et la compétence de ses cadres, le MAK-Anavad est parvenu à cristalliser toutes les aspirations de liberté de la Kabylie. Ses marches, depuis 2009 drainent des foules toujours plus gigantesques.
Dans une dictature coloniale comme celle de l’Algérie d’aujourd’hui, où il n’y a ni sondage d’opinion, ni liberté d’expression, il y a deux façons de mesurer l’adhésion de la Kabylie au MAK et au Gouvernement Provisoire Kabyle : l’organisation de marches populaires et le respect de ses consignes de boycott des élections. Toutes ces démonstrations, et particulièrement celles du 20 avril 2016 et de yennayer 2017 (12/01, jour de l’an amazigh) sont ainsi, pour nous, autant des plébiscites en faveur de l’indépendance de la Kabylie.
Mondafrique. Etes- vous satisfait de ce que le MAK-Anavad a réalisé jusqu’à présent ? Si oui, quelle est l’action qui vous a satisfaite beaucoup plus ?
F.M. En plus de ce travail de fourmi accompli sur le terrain par des militantes et des militants, et ayant abouti à faire de notre Mouvement la principale force politique de la Kabylie, il y a lieu de saluer la mise sur pied du gouvernement provisoire en exil (01/06/2010), la carte d’identité kabyle, l’élection d’un drapeau kabyle (10/03/2015), et la tenue du troisième congrès au nez et à la barbe de la police coloniale (26/02/2016).
Mondafrique. A travers le Monde, y a-t-il des peuples ou des gouvernements qui soutiennent votre mouvement d’autodétermination de la Kabylie ?
F.M. Pour le moment, le seul pays à avoir défendu, devant l’assemblée générale de l’ONU, le droit du peuple kabyle à l’autodétermination, est le Maroc, (octobre 2015). Il faut aussi rappeler que dans un monde sourd et aveugle, où l’on n’entend que le bruit assourdissant des guerres et l’on ne voit que les fleuves de sang des victimes de ces dernières, il est très difficile d’avoir de la visibilité. Un peuple qui se bat pacifiquement pour son indépendance n’intéresse pas les médias et les chancelleries. C’est comme si, les géostratèges des grandes puissances poussent les peuples opprimés à prendre les armes pour enfin mériter leur regard et leur soutien.
Tant pis ! Nous ne tomberons pas dans ce piège. Nous avons d’autres plans, d’autres démarches, loin de la violence armée. Nous voulons faire triompher la cause de l’indépendance de la Kabylie par l’application du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes. Le droit et rien que le droit ! Cela est plus ardu et beaucoup plus courageux que de recourir à la guerre.
Mondafrique. Vous œuvrez d’arrache-pied pour faire entendre votre cause à travers le monde, quels sont les projets de grande importance que vous préparez actuellement pour atteindre les objectifs de votre mouvement ?
F.M. Le projet d’un parlement kabyle auquel s’attelle notre Premier Ministre, Mas Lhacene Ziani, sera un jalon de même importance que l’Anavad en son temps. La mise sur pied d’un Fonds de Souveraineté de la Kabylie, d’une radio et d’une télévision dédiées au combat pour l’indépendance de la Kabylie seront autant d’atouts pour instaurer une autorité politique et morale du MAK sur la Kabylie pour supplanter celle du pouvoir colonial algérien.
Toutefois, immédiatement, c’est le dépôt d’un Mémorandum auprès de l’ONU pour plaider en faveur du droit du peuple kabyle à l’autodétermination qui nous prend tout notre temps.
Mondafrique. Pouvez-vous nous en dire un peu plus sur le contenu de ce mémorandum si c’est possible ?
F.M. Un mémorandum est une note diplomatique sur un sujet brûlant adressée par une autorité politique à des instances internationales.
Le nôtre est une demande de reconnaissance du droit du peuple kabyle à l’autodétermination. Il comprend un certain nombre de dossiers portant sur l’histoire, la culture, l’économie, les droits humains, l’environnement…, démontrant preuves à l’appui la légitimité du peuple kabyle à vivre en tant que nation indépendante et de siéger au sein de l’ONU.
Ce document sera envoyé à toutes les organisations internationales d’importance dont l’Union Européenne, l’Union Africaine, l’AMSUR, l’ASEAN, la CEI…sans oublier les cinq membres permanents du Conseil de Sécurité de l’ONU et tous les pays amis. C’est une opération d’internalisation pacifique de la question kabyle.
Mondafrique. Y a-t-il des ONG ou des Etats qui vous soutiennent dans cette démarche de dépôt de mémorandum à l’ONU ?
F.M. Nous venons de signer un accord de coopération avec l’Alliance Liberté Europe (ALE, EFA en anglais) lors de son assemblée générale annuelle tenue à Katowice (Silésie, Pologne. L’ALE, présidée par M. François Alfonsi nous a accueillis fraternellement en son sein. C’est là, pour nous, une reconnaissance internationale de la cause kabyle. Que l’ensemble de membres de cette organisation qui dispose d’un groupe parlementaire à l’Union Européenne, trouve dans ces lignes les remerciements de toute la Kabylie.
Mondafrique. Dans un mois, nous serons membres d’une organisation internationale ayant statut d’observateur permanent à l’ONU.
F.M. Enfin, nous venons de nommer notre premier corps diplomatique de l’histoire de la Kabylie. Nous sommes en marche. L’avenir appartient à la Kabylie indépendante.
Mondafrique. Y a-t-il un calendrier que vous avez fixé pour le dépôt du mémorandum ?F.M. Nous avons demandé un rendez-vous. Nous attendons la réponse. Mais le Mémorandum sera rendu public dans les jours à venir, qu’il soit déjà déposé ou pas encore. Dans tous les cas, il sera également envoyé par voie postale avec accusé de réception.
Mondafriaque. Dans votre ouvrage, « le siècle identitaire » paru en 2010, vous qualifiez l’ONU comme un syndicat des Etats établis, pensez-vous que cette organisation va donner une réponse favorable à votre demande (1)?
F.M. Les Etats issus de la décolonisation, qu’ils siègent à l’ONU ou à l’Union Africaine sont des obstacles à l’exercice du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes. Ils font partie d’une géopolitique qu’ils veulent immuable, à tort ; car le monde n’arrêtera jamais de faire évoluer ses frontières. Aujourd’hui, il serait salutaire de dépasser la géopolitique coloniale au profit de celle des vrais peuples comme le peuple kabyle. La Kabylie, à travers ce Mémorandum, trace une nouvelle voie pour l’humanité. Elle met le doigt sur le mal de la dictature consubstantielle à l’Etat colonial dont a hérité plus de la moitié de l’humanité. Ce sont les grandes puissances, à la pointe du progrès et des idées auxquelles nous nous adressons en premier lieu. C’est la conscience de toute l’humanité que la Kabylie interpelle à travers cet historique document.
Mondafrique. Dans moins d’un mois, ce sera le 37ème anniversaire du printemps berbère. Le pouvoir algérien a décidé dernièrement d’interdire les conférences qui portent surtout sur la culture en Kabylie, quelle est votre réaction face à cette situation ?
F.M. Pour qu’il y ait pouvoir en Algérie, il faut qu’il ait une tête. Bouteflika n’a plus la sienne. L’Algérie vogue au gré des coups de force des clans et sous-clans qui composent ses sphères de décisions aux intérêts opposés. Dans cette situation de confusion générale, la répression contre la Kabylie n’est qu’une manière de faire croire qu’il existe encore un semblant d’autorité de l’Etat. Il n’y a plus rien ! C’est la débandade générale. Ce sont les services français qui tentent vaille que vaille de maintenir en Algérie une machine étatique dont ils ne maîtrisent plus les rouages. Il faut qu’ils sachent que nous comprenons leurs préoccupations mais que seule la Kabylie peut leur apporter la solution qu’ils cherchent à la situation. La Kabylie a les moyens de stabiliser et de sécuriser tout son environnement algérien, à condition d’accéder à son indépendance.
Mondafrique. Que pensez-vous des partis d’encrage globalement kabyle en l’occurrence le FFS et le RCD qui crient d’ores et déjà à la fraude mais qui participent quand même à cette élection ?
F.M.Ils n’ont plus leur force d’antan et ils ne sont plus que l’ombre d’eux-mêmes. Je les invite à se retirer pour construire avec nous l’indépendance de la Kabylie.
Mondafrique. Je vous laisse le dernier mot pour conclure…..
F.M. La Kabylie vaincra. Elle sera bientôt indépendante. De concert avec ses voisins européens et immédiats, elle reconfigurera l’environnement méditerranéen dans le sens de la solidarité, de la coopération pour la stabilité politique, la prospérité économique et le rayonnement culturel multiforme.
(1) Ferhat Mehenni est l’auteur de plusieurs livres, dont : « Algérie : la question kabyle », (2004, Michalon), « Le Siècle Identitaire » (2010, Michalon). « Afrique : le casse-tête français : la France va-t-elle perdre l’Afrique ? », (Editions de Passy, 2013).