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Best of sur l’armée algérienne (1), entre rassemblement et effondrement

Le 5 juillet 2022, le pouvoir algérien devrait procéder à une large amnistie dont bénéficieront la plupart des trente généraux placés en détention depuis la démission de l’ex Président Boutefika en 2019. Il s’agit surtout pour ce régime terriblement affaibli de retrouver un consensus au sein de son armée, d’élargir sa base sociale et de rallier quelques personnalités indépendantes de la société civile algérienne et du Hirak. Un vaste programme !

Les hommes du général Mohamed Mediène, dit « Toufik », le véritable patron de l’Algérie pendant un quart de siècle (1990-2015) sont revenus aux afaires. Pour le meilleur et e pire.

 « Si les clans militaires continuent à régler leurs différents en envoyant leurs pairs en prison, l’institution militaire risque l’implosion, et le pays avec », explique un homme d’affaires français très lié aux militaires algériens. Et le même d’ajouter: »Au moins trente généraux sont aujourd’hui détenus. Plus personne n’ose bouger. Il est urgent de retrouver un consensus au sein de l’armée et d’élargir la base sociale du régime algérien ».  En d’autres termes, la politique répressive qui n’a jamais cessé depuis le début des mobilisations du Hirak voici trois ans et les règlements de compte au sein des élites ne suffisent plus à garantir la stabilité du pays. » Dans les hautes sphères du pouvoir algérien, il y a le feu au lac.

Les généraux algériens ont le sentiment non feint que le pays serait véritablement encerclé par des forces hostiles. Ce qui n’est pas forcément faux

« Primus inter pares » d’une institution militaire restée collégiale, le chef d’état major, le général Chengriha n’est pas un perdreau de l’année. Formé à l’ancienne en ex Union Soviétique et patron de l’armée de terre, le corps le plus puissant et le plus traditionnel de l’institution militaire, ce haut gradé possède une vision strictement sécuritaire de son pays. Face à un Maroc renforcé par des liens très forts avec Israel et les Émiratis et qui a vu les Américains reconnaitre la marocanité du Sahara, les généraux algériens ont le sentiment non feint que le pays serait véritablement encerclé par des forces hostiles. Ce qui n’est pas forcément faux à en juger par les succès diplomatiques marocains.

Du coup, l’État Major a renforcé son alliance stratégique avec la Russie et affiche une hostilité résolue  à l’égard du frère ennemi marocain. D’où l’éviction brutale et récente du général Mohamed Kaidi, interface décisive entre les régions militaires et l’État Major et possible successeur de Chengriha. La faute principale de cet officier reconnu et populaire aura été d’afficher des positions pro occidentales et modérées à l’égard du Maroc. Pour autant, le général Chengriha et ses pairs, hantés par le spectre des émeutes d’octobre 1988 où l’armée algérienne avait du tirer sur les jeunes en colère, sont en quête d’une feuille de route crédible qui ne peut se résumer à la lutte contre l’ennemi intérieur, de préférence islamiste, un coupé collé de lapropagande des années noires alors que l’Algérie de 2022 a radicalement changé. 

Le président Tebboune, simple façade civile du pouvoir militaire, a tenté une alliance au long cours avec l’État Major, sans véritablement peser sur les choix diplomatiques et stratégiques de l’Algérie

Terre brulée

Dès son arrivée au sommet de l’institution militaire au début de 2020, le général Chengriha a cherché à reconstituer l’unité d’une armée secouée par les purges successives de son prédécesseur, feu le général Gaïd Salah. Lequel avait tenté d’éradiquer les réseaux de l’ex DRS, ce puissant service secret créé par le fameux général Toufik, l’homme fort du système algérien pendant un quart de siècle évincé en 2015. Les hauts cadres de ce service secret, dont plusieurs avaient été placé en détention en 2019, ont été rappelés par le général Chengriha et nommés à des postes stratégiques.

Sid Ahmed Ghozali, ancien Premier minsitre et ex ambassadeur à Paris, est une des personnalité spolitiques les plus reconnues en Algérie

Nettement plus avertis que les généraux blanchis sous le harnais sur les mouvements de la société algérienne et connus pour leurs relais dans le monde associatif et politique, les hommes de l’ex DRS, souvent passés par la case prison, sont aujourd’hui à la manoeuvre pour définir la nouvelle feuille de route du pouvoir. Ce sont eux qui poussent désormais à  un sursaut au sein de l’Institution menacée d’implosion: décréter une amnistie générale; mettre fin à la guerre des clans; tendre la main à des personnalités politiques reconnues et irréprochables comme l’ancien ministre des Affaires étrangères Taleb Ibrahimi ou l’ex Premier ministre Sid Ahmed Ghozali; diviser le Hirak pour mieux éteindre la contestation; ramener au bercail les brebis égarées de l’islamisme violent; et enfin, pour ces gardiens du temple étatique, dissuader l’actuel Président Tebboune, vieux, fatigué et marginalisé, de se présenter pour un deuxième mandat. « On ne peut pas écarter l’hypothèse, dit-on au Quai d’Orsay,  que certains clans au sein de l’armée cherchent également à pousser le général Chengriha vers la sortie, à en juger par les campagnes orchestrées contre son fils, payé par l’ambassade algérienne et  qui mène joyeuse vie à Paris ». ».

Brillant, expérimenté, proche de l’ex DRS et au mieux avec les Russes comme avec les Français, l »actuel ministre des Affaires Étrangères, Ramtane Lamamra, ferait en effet un Président très comestible aux yeux de beaucoup. On l’a vu récemment venir au secours du « Haut conseil de sécurité de l’armée », l’instance clé su système de pouvoir en Algérie qui avait adopté une position très agressive à l’égard de l’Espagne en se mettant ainsi à dos l’ensemble de l’Union Européenne. 

La bande des quatre

Quatre hauts gradés, issus des services secrets algériens, tentent chacun dans sa sphère d’influence, d’occuper le terrain politique. Le général Toufik qui reçoit beaucoup de monde dans sa villa d’un quartier résidentiel d’Alger, en compagnie du général Nezzar, l’ancien ministre de la Défense des années noires, joue un rôle de parrain attentif, mais sans vraiment arbitrer entre ses anciens collaborateurs revenus aux affaires.

Le colonel Djebar M’hena, qui dirige une discrète direction centrale du renseignement taillée sur mesure pour lui, est un ancien collaborateur de Toufik en charge aujourd’hui de la lutte contre l’action subversive. Longtemps, ce  militaire sans états d’âme s’appuyait surle colonel Hocine Boulahya, un ancien du DRS  rattaché aux services extérieurs (DDSE). Lequel montait des « opération spéciales » contre les opposants à l’étranger. Trop brutal et incontrôlé, ce dernier a été remercié, voici deux mois, par le général Chengriha qui tente, non sans mal, de maintenir un certain légalisme dans les initiatives de la barbouzerie algérienne  

Le colonel Chafik Mesbah, ancien du DRS et conseiller aux affaires réservées du Président Tebboune, joue un rôle majeur pour débaucher des personnalités politiques reconnues et ou servir de trait d’union entre la Présidence et l’État Major

Le général Abdelaziz Medjahed, un ancien également du DRS et l’actuel directeur de l’Institut des Hautes Études Stratégiques (INSEG), joue le rôle d’une utile boite à idées auprès de l’institution militaire sur les terrains les plus variés, politique, économique ou diplomatique     

-Le patron de la DCSA (renseignement militaire), le général Sid Ali Ould Zemirli, est à priori l’homme de confiance du chef d’état major, le général Ghengriha. Encore que ce gradé a été en 1988 le chef de cabinet du général Toufik, nommé à l’époque à la tète de la DCSA avant de prendre deux ans plus tard la tète de l’ensemble des services du DRS. Cette double allégeance ainsi que la place dominante qu’occupe désormais le renseignement militaire donnent au général Zemirli un rôle clé dans l’État profond algérien.

Plus que jamais, la formule du Président Boumedienne selon laquelle « l’armée est la colonne vertébrale de l’État et les services sa moelle épinière » reste d’actualité. À condition que l’institution militaire parle d’une seule voix. L’t&endue de l’amnistie, le 5 juillet, qui pourrait, dit-on, bénéficier au général Tartag qui, sous le rêgne de Bouteflika, fut le fosoyeur de l’ex DRS, sera un signe fort de la capacité de résilience du « système » algérien.

 

      

 

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