Les Libanais s’accrochent à l’espoir ténu qu’avec l’aide de la France, le nouveau gouvernement de Nagib Mikati pourra amorcer les réformes nécessaires.
Une chronique de Michel Touma
C’est dans cette atmosphère d’incertitude et d’angoisse que le nouveau gouvernement présidé par Nagib Mikati entame sa problématique mission de sauvetage tout en étant sous les feux des projecteurs de la communauté internationale. D’entrée de jeu, le Premier ministre a marqué un point à la faveur de l’entretien qu’il a eu le vendredi 24 septembre à l’Elysée où il a été l’hôte à déjeuner du président Emmanuel Macron.
Au menu de ce déjeuner de travail : les réformes structurelles que ne cesse de réclamer la France – et avec elle nombre de pays occidentaux – comme préalable incontournable à l’octroi au Liban de l’aide promise lors de la conférence internationale que le chef de l’Etat français avait organisée à Paris en avril 2018. Ces assises avaient alors avalisé un plan d’aide de 11 milliards de dollars, conditionné toutefois par la mise en place par Beyrouth de réformes rendues nécessaires par la crise économique et financière dans laquelle est plongé le pays.
Ces réformes se font toujours attendre et, de surcroît, ceux qui sont maîtres du jeu sur l’échiquier libanais, essentiellement le Hezbollah pro-iranien, ont pratiquement torpillé l’initiative de redressement politique que le président Macron avait lancée le 1er septembre dernier, à la suite de la double (et mystérieuse) explosion apocalyptique qui avait ravagé le 4 août 2020 le port de Beyrouth et les vieux quartiers touristiques chrétiens de la capitale.
En dépit du torpillage de l’initiative française – axée sur la formation d’un gouvernement regroupant des ministres technocrates totalement indépendants des factions politiques libanaises – le chef de l’Elysée s’est livré à un nouvel acte de foi envers le Liban, à l’issue de la réunion avec Nagib Mikati. « La France n’abandonnera pas le Liban, je n’abandonnerai pas le Liban », a-t-il lancé au cours d’un point de presse conjoint avec le Premier ministre libanais, lequel a tenu pour sa part à souligner sans détours son engagement à appliquer les réformes structurelles promises, condition sine qua non à toute aide internationale.
Le Hezbollah toujours à la manoeuvre
La détermination d’Emmanuel Macron et la bonne volonté affichée par Nagib Mikati risquent cependant de buter sur deux obstacles majeurs. Le premier est d’ordre électoral. Des élections législatives sont prévues en mai prochain et l’on voit mal dans un tel contexte les parties politiques représentées au gouvernement se lancer, à la veille de leurs campagnes électorales, dans des mesures strictes d’austérité qui aggraveraient encore davantage les conditions de vie de la population, déjà frappée de plein fouet par les multiples problèmes quotidiens provoqués par l’effondrement économique et financier du pays.
Plus grave encore est le second obstacle, d’une toute autre dimension, auquel risque d’être confronté le cabinet Mikati, à savoir la stratégie de déconstruction de l’ensemble de l’édifice politique, judiciaire, économique et financier que le Hezbollah s’emploie à mettre en application depuis de nombreuses années. De ce fait, toute tentative de stabilisation, de redressement et de réforme constitue un danger pour le rôle régional que s’est assigné le Hezbollah, en tant que principal instrument de l’expansionnisme des Gardiens de la Révolution islamique iranienne dans la région.
Signe de cette stratégie de déconstruction : les menaces proférées ouvertement il y a quelques jours par le Hezbollah contre le juge d’instruction Tarek Bitar, en charge de l’enquête sur la double explosion du 4 août 2020 au port. Le responsable de l’appareil sécuritaire du parti pro-iranien, Wafi Safa, s’est en effet rendu en personne au Palais de Justice pour proférer ces menaces. Sa démarche a été dévoilée par un journaliste et confirmée par le juge Bitar dans une note écrite adressée au Procureur de la République. Elle n’a pas été démentie par le Hezbollah, ce qui reflète la volonté bien réfléchie du parti pro-iranien de porter atteinte ouvertement au prestige et à la crédibilité du pouvoir judiciaire, sans s’en cacher, même si ces menaces directes constituent une preuve éclatante que le Hezbollah a quelque chose à se reprocher au niveau de l’enquête, notamment pour ce qui a trait à sa responsabilité directe dans l’explosion du 4 août.
Ultime manifestation de la stratégie de déconstruction : l’acheminement dans la vallée libanaise de la Békaa, à travers des voies de passage illégales à la frontière avec la Syrie, de convois de fuel iranien introduit dans le pays en court-circuitant totalement les autorités étatiques concernées, dont notamment le ministère des Finances pour le versement des taxes et de la TVA réglementaires. Une initiative dénoncée publiquement par le Premier ministre qui l’a qualifiée d’« atteinte à la souveraineté », précisant – à l’instar du nouveau ministre de l’Energie – que le gouvernement libanais n’avait nullement été informé de l’importation (par le Hezbollah) de ce fuel iranien.
Dans un tel climat de déstabilisation savamment orchestrée, et à la veille des campagnes électorales en vue des législatives, le nouveau gouvernement a manifestement peu de chances d’aller très loin dans la politique de réformes. Sauf si Emmanuel Macron joint la parole à l’acte en pesant de tout son poids pour freiner, à défaut de stopper net, la stratégie iranienne de déconstruction de l’Etat et du système libanais.