« Les gens ne viennent pas… » Accoudées à une modeste table en bois à l’ombre d’un toit de tôle sous le soleil brûlant, deux jeunes femmes attendent, résignées, que les habitants du quartier se présentent pour retirer leurs cartes d’électeurs. A cinq jours seulement du premier tour des présidentielle du 6 mars au Bénin, ce centre du 13ème arrondissement de Cotonou n’est parvenu à distribuer qu’un peu plus d’un tiers des 2000 cartes qui lui ont été transmises.
Dans les 13 000 points de distribution déployés sur le territoire, le constat est souvent le même : trop peu de béninois ont pu se procurer le précieux sésame qui permet de se rendre aux urnes. Impossible en effet de voter au Bénin sur simple présentation de la carte d’identité. « La campagne intéresse les gens mais il y a encore des problèmes de communication autour des cartes » déplore un journaliste béninois.
Dysfonctionnements
A cette difficulté s’ajoutent les retards de livraison. Plusieurs départements du pays, n’ont toujours pas reçu les cartes d’électeurs. C’est le cas notamment dans le septentrion, au nord du pays, une zone très disputée dans cette campagne dont les principales têtes d’affiche sont originaires du sud ou du centre. Or, « le code électoral dispose que la distribution doit être achevée 15 jours avant le scrutin » se désole Kassim Chabi, le président du Centre national de traitement (CNT) en charge de la gestion des cartes. Alors que plusieurs cartons à destination de l’Atakora dans le nord ouest du pays s’entassent à l’entrée de son bureau, Kassim Chabi pointe des problèmes d’impression et de transports.
Déjà retardé d’une semaine, le scrutin qui devait initialement se tenir le 28 février ne sera pas reporté à nouveau, la Cour constitutionnelle ayant décidé du maintien de la date fixée au 6 mars. Le CNT met donc les bouchées doubles pour que tout soit prêt. « Nous avons multiplié le staff par deux jusqu’au premier premier tour » affirme Kassim Chabi. Afin de palier l’urgence, la Cour a également décidé d’autoriser l’utilisation des anciennes cartes d’électeurs en même temps que les nouvelles. Au risque de créer la confusion et d’accroitre les risques de fraude.
Cette crainte s’est d’ailleurs renforcée tout au long de la préparation des élections. En convoquant le corps électoral à la suit des législatives de mai 2015, le président Thomas Boni Yayi souhaitait donner des gages de bonne foi après avoir renoncé à modifier la Constitution pour briguer un nouveau mandat. Difficile, après ce long délai, de justifier l’état d’impréparation dans lequel se trouve aujourd’hui le pays.
Par ailleurs, en décidant de lancer la fabrication de nouvelles cartes électorales biométriques en décembre 2015, soit deux mois seulement avant les présidentielles, les autorités béninoises ont davantage brouillé la situation. « Quel était le besoin de produire de nouvelles cartes dans un délai si court ? » s’interroge Abraham Zinzindohoue, ancien ministre de la Justice et ex président de la Cour suprême. « Ce genre d’initiatives précipitées, mal expliquées et mal justifiées ouvrent des fenêtres de fraude ».
Des institutions politisées
D’autres dysfonctionnements sont régulièrement pointés du doigt. C’est le cas notamment de la difficulté d’accéder au fichier électoral malgré l’obligation constitutionnelle de le rendre public. « Comment vérifier dans ce cas si des noms manquent, si de faux noms ont été inscrits ou si certains apparaissent deux fois ? » s’indigne un avocat béninois. « Les risques de manipulation sont grandes ». D’autant que la structure en charge de mettre à jour le fichier électoral, le Conseil d’Orientation et de Supervision (COS-LEPI), est composé de personnalités politiques toutes affiliées à des partis. Le président du COS-LEPI lui-même, Augustin Ahouanvoèbla, s’était fait remarqué pour avoir annoncé la victoire par « un coup K.O » – c’est-à-dire au premier tour – de son candidat, Lionel Zinsou, avant même le début de l’impression des nouvelles cartes d’électeurs. Tout un symbole…
Par ailleurs, depuis 2015, la compilation des votes, jusqu’alors réalisée par la Commission électorale nationale autonome (CENA), elle aussi hautement politisée et régulièrement soupçonnée de fraude, se trouve désormais décentralisée au niveau des départements dans lesquels sont nommés des coordonnateurs, juristes de métier. Or, sur les 222 noms proposés par les syndicats de la magistrature et validés par le ministère de la Justice, 53 ont été refusés par la CENA. Pourquoi et par qui seront-ils remplacés ? « On ne sait toujours pas. Il est possible qu’ils gardent l’information secrète jusqu’à la dernière minute afin qu’on ne puisse rien changer » soupire Abraham Zinzindohoue. La décision a par ailleurs fait l’objet d’un accueil houleux de la part des magistrats qui se sont lancés dans une lutte à couteaux tirés avec les membres de la CENA.
Le déroulement du vote sur le terrain le 6 mars porte lui aussi son lot d’incertitudes. Afin de renforcer le contrôle, les 33 candidats en lice doivent envoyer un représentant dans chaque bureau de vote. Or, « dans la pratique, les candidats n’ont pas tous les moyens d’envoyer une personne dans chaque bureau. Et dans certains fiefs, il peut y avoir des formes d’intimidation » analyse un avocat.
Serrée, la compétition devrait aboutir à un deuxième tour malgré les slogans répétés des FCBE (les Forces cauris pour un Bénin émergent), le parti au pouvoir, annonçant la victoire de leur candidat, Lionel Zinsou, en « un coup K.O. ». « Si ce n’était pas le cas, les accusations de fraude pourraient mener à des démonstrations de violences » s’inquiète un observateur étranger.