Près de 5,5 millions de Burkinabè se rendent aux urnes ce dimanche 29 novembre pour une présidentielle et des législatives totalement ouvertes. Un double scrutin qui tourne la page des années Compaoré.
Gare aux prophéties ! On ne peut prédire avec certitude les résultats qui sortiront au lendemain du double scrutin présidentiel législatif organisé ce dimanche 29 novembre au « Pays des hommes intègres ». C’est une première dans le pays en 30 ans, le binôme, Michel Kafando/Yacouba Isaac Zida, qui dirige le pays depuis le début de la transition militaro-civile mise en place après la chute de Blaise Compaoré n’est pas candidat. Officiellement, il n’a pas même de candidat. Ce sont donc 14 personnalités, parmi lesquelles deux femmes, qui briguent les suffrages de leurs compatriotes. Avec toutes les marges d’erreurs d’un tel exercice, surtout dans le contexte post insurrection populaire, on peut avancer comme grand favori à la présidentielle Zéphirin Diabré, candidat de l’Union pour le progrès et le changement (UPC), soutenu par une coalition de partis sous le slogan « Zéphirin 2015 pour le changement ».
Cet ancien dirigeant de la firme nucléaire française Areva a battu une bonne campagne en défendant le principe d’une place privilégiée de l’entreprise privée dans le Burkina de demain. Il espère également tirer les dividendes de son opposition à l’ex-président Blaise Compaoré dans sa fonction de chef de file de l’Opposition. Autre grandissime favori du scrutin, Roch Marc Christian Kaboré, candidat du Mouvement du peuple pour le progrès (MPP). Ancien Président de l’Assemblée nationale et ancien Premier ministre de Compaoré, le candidat Kaboré est soutenu par 17 formations politiques qui se réclament de la Gauche burkinabé. Derrière une formidable machine électorale, il a sillonné le pays pour défendre les grands principes de la social-démocratie : l’économie contrôlée, le rôle central de l’Etat, la gestion populaire de la sécurité. Il s’est entouré de personnalités connues de la vie politique vie telle que l’ancien ministre Salif Diallo à qui il a confié sa direction de campagne et l’ancien Maire de Ouagadougou Simon Compaoré.
Attention aux outsiders
Misant sur la forte volonté des Burkinabé de rompre avec le passé, d’autres candidats peuvent créer la surprise. On cite parmi les probables « faiseurs de rois » le candidat Me Bénéwendé Sankara de l’Union pour la renaissance/Parti Sankariste (UNIR/PS) qui pourrait capitaliser sur la présence de l’ombre de Thomas Sankara sur la transition et pendant la campagne. En effet, jamais les idéaux et l’image de l’ancien chef de l’Etat n’ont été autant convoqués dans le pays depuis son assassinat le 15 octobre 1987 qu’après la chute de Compaoré. Dans la catégorie d’outsiders sérieux, revient régulièrement le nom de Tahirou Barry du Parti pour la renaissance (PAREN). Révélé récemment sur le terrain politique, ce jeune de 41 ans a effectué une campagne de proximité promettant des changements rapides et une nouvelle gouvernance au profit des pauvres, des femmes et des enfants. Trois autres candidatas peuvent également prétendre sérieusement à la seconde marche du podium. Il s’agit d’abord de Sara Séré Sérémé du Parti pour le développement et le changement (PDC) réputée pour son opposition à Compaoré qui l’avait contrainte à des longues années d’exil au Mali après être passée par la case prison. On évoque ensuite comme outsiders sérieux le candidat indépendant Jean-Baptiste Natama, ancien haut fonctionnaire à l’Union africaine (UA), et Ablassé Ouédraogo, de « Le Faso Autrement ». Cet ancien directeur général adjoint de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) compte tant sur son épais carnet d’adresses que son brillant parcours pour obtenir la confiance des Burkinabé dans les urnes. Ce n’est pas gagné d’avance
Des législatives incertaines
Couplées à la présidentielle, les législatives sont encore plus indécises. Près de 80 partis et une dizaine de groupements d’indépendants sont engagés dans la course pour les 127 sièges à pourvoir. « Les grands partis » tels que le MPP, l’UPC et même le Congrès du peuple pour le changement (CDP), le parti de l’ex-président Compaoré, espèrent certes se détacher du lot en engrangeant le maximum de postes de députés.
C’est aussi le cas de l’Alliance pour la démocratie et la fédération/Rassemblement démocratique africain (ADF/RDA). Toutefois, aucun parti ne parait en mesure de détenir à lui seul la majorité. Le choix de la proportionnelle comme mode de scrutin favorise les « petits partis » et les candidats indépendants qui pourraient profiter du principe du « plus fort reste » lors des calculs pour l’attribution des sièges. Le Rassemblement démocratique du Faso (RDF) de Maurice Denis Salvator Yaméogo, fils de Maurice Yaméogo, premier président civil du pays, le Mouvement de libération nationale-Burkina Faso (MNL-BF), fondé par feu le Professeur Joseph Ki-Zerbo tout comme Rassemblement des écologistes du Burkina Faso (RDEBF) de Ram Ouedraogo entendent faire le plein des voix aux législatives, à défaut de remporter la présidentielle.
Le caractère très ouvert de ces législatives semble indiquer que les partis représentés à la prochaine assemblée s’organiseront en bloc en fonction de leurs sensibilités. Au regard des courants politiques dominants dans le pays, il devrait se regrouper autour d’un pôle social-démocrate probablement dirigé par le MPP et d’un pôle libéral structuré autour de l’UPC.
D’énormes défis post-électoraux
L’euphorie de la victoire sera de courte durée pour le président élu tout comme pour la nouvelle assemblée. A peine installées, les nouvelles autorités devraient s’attaquer au gigantesque chantier du chômage des jeunes. Occupée par son agenda politique, la transition a mis entre parenthèse la résolution de ce problème qui a emporté le régime de Blaise Compaoré.
La tâche sera d’autant plus compliquée que les recettes tirées de l’or et du coton, le deux principales richesses nationales, continuent de baisser. Le nouveau pouvoir devrait également répondre aux impatiences des Burkinabé dans le traitement des affaires judiciaires sensibles, dont la mort du journaliste Norbert Zongo en 1998 et l’assassinat jamais élucidé du capitaine Thomas Sankara en 1987. Dans ce dernier dossier des progrès importants ont été enregistrés pendant la transition avec la remise du rapport d’expertise balistique et l’exhumation du corps de celui que ses admirateurs appelaient « le Che africain ». Les prochaines étapes de l’enquête peuvent se révéler plus délicates, surtout si elles menaient directement en cause l’ex-président Compaoré actuellement réfugié en Côte d’Ivoire. Autre défi important pour la prochaine équipe, la montée de l’islam radical dans le pays notamment sur la frontière commune avec le Mali où trois gendarmes ont été tués en octobre dernier lors d’une attaque terroriste.
En dépit de tous ce défis et de bien d’autres, les Burkinabé abordent l’avenir post-électoral avec enthousiasme et espoir. Eux qui ont réussi à renverser le régime Compaoré après 27 années au pouvoir en seulement deux jours d’insurrection populaire et qui ont mis en échec la tentative de coup d’Etat perpétré le 17 septembre par le général Glibert Diendéré se disent désormais que « impossible n’est pas burkinabé ». Attendons de voir.