Le 10 septembre 2017, l’avocat des disparus, maitre Ibrahim Matwally Higazy a été arrêté et emmené au quartier général de la Sûreté d’Etat, à Abbasiya.Il avait obtenu une libération conditionnelle le 26 aout 2020, avant d’être maintenu en prison et inculpé à nouveau « pour avoir organisé un groupe durant sa détention ». Il est maintenu à l’isolement
Un portrait signé Rabah Attaf
Ibrahim Matwally Higazy est avocat et père de famille. Son fils ainé, Abdelmoneim, a disparu le 8 août 2013, durant la sanglante répression des sit-in des place Rabea Al-Adawiya et Nahda au Caire. Un véritable massacre qui avait fait plus de 1600 morts en 3 jours.
Depuis, Me Higazy avait pris son bâton de pèlerin, recherchant Abdelmonein dans tous les recoins des sordides prisons d’Egypte. Finalement, en janvier 2016, il fondait l’Association Egyptienne des Familles de Disparus (AEFD). Il était en effet urgent de rendre visible cette terreur qui s’était abattue sur la société égyptienne au lendemain du coup d’Etat du maréchal Al-Sissi. Et en premier lieu de constituer les dossiers de plaintes destinées à alimenter le Groupe de travail de l’ONU sur les disparitions forcées et involontaires, afin qu’une pression soit exercée régulièrement sur le pouvoir égyptien.
La tâche est énorme. En cette année 2016, pas un jour ne passe sans qu’une disparition ne lui soit signalée. A la fin décembre, il en dénombre 378 déclarées ! Surtout des jeunes, des étudiants, mais aussi des personnes connues pour leurs activités politiques, syndicales, ou de défense des droits humains. Tel son ami vétérinaire et co-fondateur de l’AEFD, le Dr Ahmed Chawky Amasha, enlevé à un barrage de police le 10 mars 2017, puis détenu au secret durant un mois dans le quartier général de la Sureté d’Etat de Abbassiya au Caire, où il a été salement torturé, avant d’être finalement inculpé pour « appartenance à groupe en violation de la loi » puis incarcéré à la prison de Tora (au Caire).
Il fallait aussi braver la peur qui se diffusait dans tous les pores de l’ensemble de la société civile. Alors, la toute nouvelle association est sortie de l’ombre, le 12 avril 2016, en organisant, juste avant le voyage officiel de François Hollande au Caire, un rassemblement devant l’ambassade de France avec la remise, en présence de nombreux journalistes de la presse internationale, d’une lettre destiné au président français.
Une opération à l’époque réussie puisque ce dernier, lors de sa conférence de presse commune avec Al-Sissi, avait abordé la question des droits humains, et de l’édification d’un Etat de droit, comme condition d’une relation durable entre les deux pays, créant ainsi la surprise de son hôte soudain mal à l’aise. Cette question n’était en effet pas prévue au programme de la conférence, d’après le témoignages de journalistes français affirmant avoir eu comme consigne, lors du briefing de l’ambassadeur de France, de rester discrets sur cette question.
Forte de cette première expérience, la petite association poursuivait sa lancée, en multipliant des chaînes humaines brandissant les photos des « disparus » dans tous les gouvernorats d’Egypte. Jusque là, sans doute rien de bien méchant pour les autorités égyptiennes, tant qu’elles pensaient que la question des disparus n’avait pas franchi les frontières nationales.
Mais début septembre dernier, lors de la session annuelle de l’assemblée générale des Nations-Unies, le pouvoir égyptien reçoit une douche froide. Le Comité contre la torture y présente en effet son rapport annuel dans lequel il démontre que « la torture est une pratique systémique en Egypte », fondant ses affirmations sur une enquête menée suite aux centaines de plaintes déposée par la fondation Suisse Al-Karama for human rights, spécialisée dans la défense des droits humains dans le monde arabo-musulman. Le 6 septembre, l’ONG américaine Human Rights Watch rendait aussi public son rapport dans lequel elle ne mâche pas ses mots. « L’épidémie de torture pourrait constituer un crime contre l’humanité », affirme-t-elle, « l’Agence Nationale de Sécurité -qui dépend du ministère de l’Intérieur, ndlr- a un système en place pour former le personnel de l’ANS aux techniques de torture ».
Un vrai camouflet pour le président Al-Sissi qui devait se rendre à New-York ! La réaction des autorités égyptiennes ne s’est donc pas faite attendre. Le coupable ne peut être que l’avocat des disparus ! Alors, quand il s’est rendu à l’aéroport le 10 septembre dernier pour s’embarquer à destination de Genève où il devait être reçu par le Groupe de travail sur les disparitions forcées et involontaires, Me Ibrahim Matwally Higazy a été arrêté et emmené au quartier général de la Sûreté d’Etat, à Abbasiya, où il a subit tortures psychologiques et physiques durant deux jours, notamment à l’électricité. Puis, il a été déféré, le 12 septembre dernier, devant le procureur général du tribunal militaire pour être accusé d’avoir « fondé et dirigé une association, en violation de la loi, du nom de « Association des Familles de Disparus » ; « propagé des fausses nouvelles » et « entretenu des relations avec une organisation étrangère, portant ainsi atteinte à la sécurité de l’Etat. Me Ibrahim Metwally Higazy a ensuite été incarcéré dans le quartier de haute sécurité de la prison de Tora. Dans l’attente de son jugement, il sera régulièrement déféré devant le procureur qui reconduira sa détention, officiellement . Officiellement à « des fins d’enquête », c’est à dire le temps que l’accusation constitue artificiellement un dossier à charge, notamment en liant son affaire à celle d’autres personnes arrêtées afin de faire un procès exemplaire. Au dernières nouvelles, en effet, son nom est soudainement apparu dans le dossier de Khaled Al-Beltagui, un cadre de la confrérie des Frères musulmans, détenu depuis 3 ans, accusé maintenant dans une nouvelle affaire de complot visant à discréditer l’Egypte et à nuire à ses intérêts à l’étranger. Bref, on nage en plein feuilleton égyptien à multiple rebondissements fantaisistes !
Mais pour l’heure, Me Higazy est détenu à l’isolement dans une cellule sans électricité, remplie d’eau croupie et d’immondices. Il est interdit de visites. Il risque la peine de mort, en vertu de la « loi antiterroriste » égyptienne, compte tenu des lourdes accusations prononcées contre lui.
Rabha ATTAF
Grand reporter, specialiste du Maghreb et du Moyen-Orient
Auteure de « Place Tahrir, une révolution inachevée », éditions Workshop 19.