Le président ivoirien, Alassane Dramane Ouattara, candidat à un troisième mandat contesté, devrait gagner l’élection du 31 octobre. Ses dernières déclarations laissent présager un quinquennat consacré à mettre hors d’état de nuire ses vieux ennemis.
Un article de Michael Pauron
Les Ivoiriens sont appelés aux urnes ce samedi 31 octobre pour élire leur président pour les cinq années à venir. Alassane Dramane Ouattara (ADO), président sortant et candidat pour un troisième mandat contesté, devrait l’emporter face au seul challenger encore en lice, Kouadio Konan Bertin (KKB).
Ce dernier n’avait pas obtenu 4 % des suffrages lors de la dernière élection présidentielle, en 2015, et ses meetings n’ont clairement pas fait le plein. Un candidat qualifié d’utile par le reste de l’opposition, qui n’a pas goûté le non-ralliement de KKB à la fronde « anti 3e mandat ». « Konan Bertin permet de crédibiliser l’élection d’ADO », lance un proche de l’opposition.
« Nous ne reconnaissons pas l’élection »
Pascal Affi N’Guessan, ancien Premier ministre de Laurent Gbagbo, et l’ex président Henri Konan Bédié (HKB), les deux autres prétendants dont la candidature a été validée par le Conseil constitutionnel, ont décidé de boycotter le scrutin. Leur appel à la « désobéissance civile », lancée en septembre, a eu peu d’écho. Le premier, affilié au Front populaire ivoirien (FPI), a prévenu dans Le Monde : « Nous ne reconnaissons pas l’élection, alors nous ne pouvons pas reconnaître quelqu’un qui se proclame élu à l’issue de celle-ci. »
Le second est aux abonnés absents depuis son voyage au Ghana, le 13 octobre, où il a rencontré le président ghanéen, Nana Akufo Ado, pour une médiation. Depuis, plusieurs de ses interventions ont été annulées au dernier moment. D’aucuns commencent à se demander si HKB n’aurait pas trouvé un compromis avec ADO, même si, il est vrai, il s’exprime peu d’ordinaire. « Il s’exprimera après l’élection », croit savoir son entourage.
Aucun recours possible
Au PDCI-RDA, le parti de Bédié, on sait depuis longtemps que la bataille est perdue : des sondages internes auraient donné gagnant Ouattara, quelque soit le scénario. Et « l’absence probable de représentants de l’opposition dans les bureaux de vote empêchera tout recours pour fraude auprès de la commission électorale indépendante », explique le politologue Sylvain N’Guessan.
La situation demeure tendue : depuis juillet et l’annonce de la candidature d’ADO, une quinzaine d’Ivoiriens ont trouvé la mort dans des affrontements. La communauté internationale est inquiète, et craint une nouvelle crise post-électorale, à l’image de celle de 2010-2011, qui avait fait 3 000 morts.
Laurent Gbagbo appelle à négocier
Est-ce pour cette raison que l’un des protagonistes de cette période, Laurent Gbagbo, est sorti de son silence cette semaine, près de dix ans après avoir été transféré à la Cour pénale internationale, où il a finalement été acquitté ?
Depuis son exil belge, face à la journaliste de TV5 Monde, l’ancien chef de l’État (2000-2010) a dit partager « la colère des anti 3e mandat ». « Ce qui nous attend, c’est la catastrophe », s’est-il inquiété. « Dans ce combat autour du 3e mandat, je suis résolument du côté de l’opposition », a-t-il affirmé, avant de s’adresser aux autres candidats : « Discutez, négociez, parlez ensemble, il est toujours temps de parler. »
« Les tensions sont artificielles »
De son côté, Alassane Ouattara semble parfaitement serein. Dans une interview accordée au journal Le Monde, il avoue cependant que s’il ne s’était pas présenté, suite au décès de son dauphin, son Premier ministre Amadou Gon Coulibaly, son parti le RHDP se serait divisé, et « Henri Konan Bédié serait sorti président. Ça, je ne peux l’accepter ».
Pour lui, « les tensions sont artificielles. Elles sont créées par des politiciens nostalgiques des postes qu’ils avaient. Nous qui avons plus de 70 ans, nous devons sortir du jeu politique et après l’élection je modifierai la Constitution pour balayer tous ces gens-là. » En d’autres termes, il compte rétablir l’âge limite des candidats, qui avait sauté lors de la révision de 2016 (et grâce à laquelle ADO, comme HKB, ont pu être candidats…).
Il affirme même être « en pleine santé » : « Bédié a presque dix ans de plus que moi et il veut être élu. A mon âge [78 ans, ndlr], je peux faire deux mandats sans souci mais ma volonté est de trouver lors de ce mandat une personnalité consensuelle. » Sur les priorités de son prochain quinquennat, il dit vouloir « la continuité dans la stabilité ».
Pas d’ouverture envisagée
Incisif, il promet cependant « la prison » pour son ancien Premier ministre, Guillaume Soro, condamné à 20 ans de réclusion en Côte d’Ivoire et actuellement exilé en France. S’il promet le retour au pays de Laurent Gbgabo, il refuse l’amnistie à celui qui a été condamné à 20 ans de prison. Et menace frontalement les autres membres de l’opposition de poursuites judiciaires pour les heurts qui ont émaillé la campagne électorale.
« Tous ceux qui organisent cela vont rendre des comptes. Je ne vais pas laisser cela perdurer. Nous avons des éléments précis qui incriminent l’opposition (…). Si les preuves sont établies, immédiatement après il y aura des poursuites et cela quelle que soit l’importance de la personne » ? a-t-il déclaré. Ce qui « ne laisse pas présager un mandat calme », estime Sylvain N’Guessan. « Je m’attendais à plus d’ouverture », dit-il, « hors, avec cette interview, on imagine la suite… ».
Plusieurs centaines d’observateurs ont été déployés sur le territoire, notamment sous l’égide de la Communauté des États d’Afrique de l’Ouest (Cédéao), et la sécurité des bureaux de vote a été renforcée. « Il y aura probablement un peu d’agitation pendant deux semaines, et puis ça passera », espère-t-on, tout de même, dans les rangs de l’opposition.