Très attendu, le remaniement ministériel du mardi 13 janvier en Côte d’Ivoire aura finalement été marqué du sceau d’une continuité bien ronronnante. Alassane Ouattara a pris trois semaines de réflexion pour finalement reconduire la majorité des « inamovibles », baobabs indéracinables des gouvernements ivoiriens depuis plus d’une décennie. Le ministre des Infrastructures économiques, Patrick Achi, est le symbole le plus parlant de ces indéboulonnables. Membre du Parti démocratique de Côte d’Ivoire (PDCI) de Henri Konan Bédié, il dirige le même département depuis… le premier gouvernement de Laurent Gbagbo, en octobre 2000. Le ministre de l’Intérieur, Hamed Bakayoko, reconduit à son poste a, quant à lui, fait partie de tous les exécutifs depuis octobre 2003…
Renouer avec la justice française
La « permanence » qui continue de caractériser pour une large part l’équipe gouvernementale ivoirienne rendra forcément amers ceux qui font partie de la petite minorité de « remerciés ». Parmi eux, Charles Diby Koffi et Mamadou Coulibaly Gnénéma, qui détenaient respectivement les maroquins des Affaires étrangères et de la Justice. Tous les deux étaient aux avant-postes durant « l’affaire du mandat d’amener », qui a opposé le président de l’Assemblée nationale Guillaume Soro à la juge française Sabine Kheris. Leur « sacrifice » permet au chef de l’Etat de renouer le dialogue avec l’institution judiciaire française, histoire de se donner éventuellement la possibilité de « gérer » ce « cas » à l’amiable.
L’éviction du Garde des Sceaux vient en tout cas confirmer la « volatilité » de cette fonction sous un régime régulièrement accusé par ses opposants et les défenseurs des droits de l’Homme de pratiquer une « justice des vainqueurs » ne visant que les soutiens de l’ancien président Laurent Gbagbo. Sansan Kambiré, nouvel entrant, est le quatrième ministre de la Justice en moins de cinq ans ! Les responsables officiels changent, mais la politique reste malheureusement la même…
La présidence : un gouvernement dans le gouvernement
Jusqu’ici ministre de la Fonction publique, Cissé Bacongo doit se dire que décidément, Alassane Ouattara n’est pas très sensible aux louanges, surtout quand elles peuvent être gênantes à l’international. Durant la période « d’incertitudes » précédant la formation du nouveau gouvernement, il a cru bien faire en suggérant que le président en fonction, qui planche sur une réforme constitutionnelle, en profite pour faire sauter le verrou de la limitation des mandats. Las. Il a été remercié. L’implication de ses services, à l’époque où il était ministre de l’Enseignement supérieur, dans une sombre affaire de surfacturation présumée des travaux de rénovation des Universités, a sans doute donné l’occasion à Ouattara de se poser, certes avec un retard certain, en adversaire de la mauvaise gouvernance. Mais Cissé Bacongo peut tout à fait se dire que d’autres « porteurs de casseroles » ont été maintenus. Comme on dit à Abidjan, « il y a les uns et les autres »…
C’est ainsi qu’il est plus facile d’éconduire, en veillant à lui donner un lot de consolation administratif, l’ancien ministre de l’Enseignement supérieur Gnamien Konan, chef d’un parti politique lilliputien, que de se séparer d’Albert Mabri Toikeusse, ministre depuis mars 2003 et président de l’Union pour la démocratie et la paix en Côte d’Ivoire (UDPCI), membre de la coalition au pouvoir, fondé par l’ancien général putschiste Robert Guei, et qui « règne » sur l’Ouest montagneux.
En effet, une des leçons que l’on peut tirer de ce remaniement est que le numéro un ivoirien est toujours en campagne, et le sera jusqu’après le renouvellement de l’Assemblée nationale. Du coup, il est impérieux de consolider son parti d’abord – qui se taille la part du lion dans ce gouvernement de 36 membres – et ses alliés ensuite. Pas question d’irriter Bédié en se séparant d’un de ses « chouchous », de risquer de créer un bicéphalisme dans les petites formations politiques de l’attelage en faisant « monter » une autre tête, ou de faire la passe à des figures de l’opposition, y compris les plus « dociles », qui auraient pu trouver dans des strapontins ministériels de quoi se faire une santé avant d’aller à l’assaut de leurs circonscriptions d’origine…
Une chose est sûre : plus que jamais, la Présidence de la République est un gouvernement dans le gouvernement. Sept ministres, dont deux ministres d’Etat, lui sont directement rattachés. Parmi eux, un Français, Philippe Serey-Eiffel, chargé des « Grands Projets ». Un retour à l’ère d’Houphouët, en quelque sorte, où la Côte d’Ivoire se distinguait par l’existence au sein de ses gouvernements de ministres blancs… Voilà qui ne manquera pas de faire jaser les opposants sur le thème du président au service des intérêts étrangers !