Derrière les chiffres de la Commission indépendante donnant le président sortant Alassane Ouattara vainqueur avec 83,66% des voix lors du scrutin du dimanche 25 octobre, se cachent les preuves d’une vraie tromperie électorale
Certes, l’exercice est périlleux. Impossible d’analyser les chiffres de la récente présidentielle ivoirienne comme si leur sincérité était totale, comme si la « technologie électorale », mot charmant pour désigner diverses opérations frauduleuses, n’existait pas.
Il faut admettre qu’Alassane Ouattara a gagné avec 83,66% des suffrages exprimés, et un taux de participation de 52%… « toutes taxes comprises » (TTC), selon le bon mot d’un « twittos » ivoirien. En réalité, tous artifices mis à part, ce taux baisse de 10% à 20% environ. Malgré tout, dès lors qu’on les lit en ayant à l’esprit le « contexte », les résultats officiels publiés par la Commission électorale peuvent servir de grille d’analyse intéressante.
Une majorité électoralement invisible
On peut le dire : les deux principaux candidats de ce scrutin étaient Alassane Ouattara et l’abstention. Le second a très clairement battu le premier. En effet, le refus d’aller aux urnes s’est manifesté deux fois.
Premièrement, quand il a été question, pour les primo-électeurs, d’aller s’inscrire sur les listes électorales : on attendait 2 à 3 millions de personnes, environ 300 000 sont venues se faire enregistrer.
Deuxièmement, quand il s’est agi de se déplacer vers les bureaux de vote.
Du coup, même si l’on prend en compte le taux de participation « TTC » fourni par la Commission électorale, et qu’on le rapporte à la population ivoirienne en âge de voter selon le recensement de 2014 (9 005 242), on se rend compte qu’environ le tiers de l’électorat potentiel s’est officiellement déplacé. En 2010, alors que la population ivoirienne globale était de 19 millions environ, plus de 4,6 millions de personnes avaient voté au premier tour (24%). En 2015, alors que la population est de 23 millions environ, 3,1 millions de personnes ont voté au premier tour (13%). En 2000, l’année où Laurent Gbagbo avait été élu dans un contexte de boycott du RDR de Ouattara et du PDCI de Bédié, environ 2 millions de personnes s’étaient déplacées sur une population de 15 millions d’individus (13,33%). A l’époque, la « communauté internationale » avait glosé sur la légitimité partielle du président élu. Aujourd’hui, elle applaudit à s’en écorcher les paumes.
Et pourtant. L’exclusion (ou l’auto-exclusion) politique d’une grande partie du corps national, est la principale leçon de ce scrutin. Et l’erreur serait de considérer que la majorité politique « fantôme », électoralement invisible, n’existe pas. En réalité, de manière générale, la carte de l’abstention épouse les fractures d’un pays profondément divisé. Le district d’Abidjan (où la technologie électorale est moins aisée que dans les contrées reculées) est à cet égard très instructif. C’est à Cocody, quartier résidentiel (classes moyennes et supérieures éduquées) que Gbagbo avait eu son meilleur score en 2010. C’est dans cette commune, où vit Alassane Ouattara, que l’abstention est la plus massive (64,5%). Yopougon était le deuxième fief de Gbagbo en termes de proportion et le premier en termes de population en 2010. L’abstention y est de 63% en 2015. A contrario, le taux de participation atteint 50% à Treichville, là où Gbagbo était le plus faible en 2010.
Deux Côte d’Ivoire, de tailles plus ou moins égales, continuent de cohabiter. Aujourd’hui, l’une se reconnaît dans le jeu des institutions, l’autre pas. La « communauté internationale » et les observateurs peuvent continuer de faire semblant de ne pas le voir, d’autant plus que la Côte d’Ivoire en colère est pour le moment militairement impuissante, et écrasée par la peur et la répression. Mais est-ce bien raisonnable ?
La Corée (Côte d’Ivoire) du Nord
Comme en 2010, les « scores soviétiques » d’Alassane Ouattara dans le nord du pays font jaser. En effet, le monopole politique radical qu’exerce le parti ouattariste dans cette zone du pays contrôlée pendant dix ans par la rébellion dirigée par Guillaume Soro n’est pas sans poser la question de la sécession mentale qui continue après la fin de la sécession territoriale. D’autant plus que si le plébiscite pro-Ouattara dans cette région est très concevable, des détails continuent d’indiquer que l’absence totale de contradiction permet aux actuels gouverneurs d’y rajouter « de l’eau à la mer ». Le taux de participation dans le département de Kani (96,65%), dans un contexte où les morts n’ont pas été extirpés de la liste électorale, apparaît ainsi trop grossier pour être vrai. Des procès-verbaux de la Commission électorale commencent à fuiter et où l’on découvre des bureaux de vote où le nombre de votants a dépassé le nombre d’inscrits. Des bureaux de vote localisés dans le Nord du pays, qui semble être le réservoir inépuisable de tous les « ajustements » politiques du camp Ouattara. Ce n’est une bonne nouvelle ni pour la cohésion nationale ni pour la réconciliation. Il est fort probable qu’en 2015 comme en 2010, la Commission électorale ne publie jamais les résultats du scrutin bureau de vote par bureau de vote. Ils ne sont tout simplement pas publiables…
La France, les Etats-Unis et le pouvoir Ouattara misaient sur le retour dans le jeu politique d’un FPI « Canada Dry » accommodant et oublieux de ses griefs du passé à travers Pascal Affi N’Guessan. Mais la greffe n’a manifestement pas pris. Le candidat du FPI officiel a obtenu 290 780 voix, soit moins de 17% des voix de Laurent Gbagbo, son mentor, au premier tour de la présidentielle de 2010. Il apparaît néanmoins en chef de l’opposition édenté avec ses 9,29% de suffrages. Et il a intérêt à ce que le boycott de ses anciens camarades se poursuive lors des législatives qui viennent, afin de ne pas perdre ce statut qui arrange tout aussi bien le numéro un ivoirien.
L’alliance des « houphouétistes »
L’appel de Daoukro de Henri Konan Bédié n’a pas suscité un enthousiasme débordant auprès de sa base politique en milieu rural, notamment dans ce qu’il est convenu d’appeler le « V » baoulé. Les taux de participation y sont moyens (autour de 60% officiels), bien loin de l’enthousiasme observé dans le Nord du pays. Même dans le fameux département de Daoukro, la participation s’élève péniblement à 58%. Ce soutien mesuré indique bien que si le PDCI et le RDR fusionnent en un parti unique, il n’est pas certain que tout le monde entre dans la barque.