A quatre mois de l’élection présidentielle, deux chefs rebelles proches du président Ouattara ont été mis en examen par la justice ivoirienne. Une manoeuvre d’abord destinée à soustraire les deux inculpés à la justice internationale
On a célébré ce week-end l »anniversaire du massacre de plus de 8000 Bosniaques par l’armée serbe de Bosnie. Des hommes, des adolescents méthodiquement exécutés en raison de leur appartenance ethnique et religieuse. Une des dernières horreurs européennes du XXè siècle. Seize ans plus tard, entre le 27 et le 29 mars 201, des scènes identiques se sont produites dans l’Ouest de la Côte d’Ivoire, à Douékoué.
Mille à deux mille morts, selon le journaliste de l’Obs Jean-Paul Mari. Plus de 800 selon la Croix Rouge qui en a été le témoin direct. Les images existent: on y voit les hommes et des adolescents allongés dans l’herbe, leurs papiers d’identité posés à côté d’eux. Ils appartiennent tous à l’ethnie Guéré, réputée pour être pro-Gbagbo, mais défendant d’abord leur terre face à une armée venue du nord du pays, celle constituée autour des forces du chef rebelle Guillaume Soro avec des chasseurs traditionnels Dozos, souvent Maliens, et de supplétifs étrangers, notamment burkinabès, pour chasser Laurent Gbagbo du pouvoir et y porter Alassane Ouattara. Ces hommes ont été exécutés d’une balle dans la tête, ou d’un coup de machette. Les forces de l’Onu étaient dans les parages, comme les troupes françaises dont les hélicoptères tournaient dans le ciel, mais elles ont laissé faire ce massacre ethnique sans intervenir.
Deux rebelles pro Ouattara inculpés
Plus de quatre ans après, aucune enquête sérieuse n’a été ouverte par la justice ivoirienne. On n’a pas interrogé les femmes et les mères de ces victimes. Soro est devenu président de l’Assemblée Nationale ivoirienne et Ouattara, président du pays. Gbagbo est toujours emprisonné, sans jugement, à la Haye, dans les geôles de la Cour Pénale Internationale. La justice internationale estime à 3000 le nombre de morts de la crise post-électorale ivoirienne (bien plus en réalité car les massacres notamment contre les Guérés ont continué après 2011) et selon un décompte à la Salomon, les victimes devraient être partagés entre les deux camps. Mais seuls les pro-Gbagbo et leur chef, sont inquiétés et emprisonnés. La CPI réclame depuis trois ans que Ouattara lui livre plusieurs de ses chefs de guerre, dont Chérif Ousmane et Youssouf Fofana, dit Loss, mais le président ivoirien fait la sourde oreille. Sous la pression, la justice ivoirenne vient, à quatre mois de l’élection présidentielle où Ouattara brigue un second mandat, vient de mettre en examen plusieurs chefs militaires, dont Chérif Ousmane et Loss. Qui restent cependant en place, Ousmane, un très proche du président ivoirien, comme numéro deux de la Sécurité présidentielle, et Loss, comme homme patron de la Brigade de sécurisation de l’Ouest, où le massacre de Douékoué a été commis.
Chérif Ousmane, surnommé « papa Guépard », car il a longtemps dirigé le camp rebelle Guépard de Bouaké, est accusé de nombreuses exécutions sommaires de pro-Gbagbo en avril 2011 à Yopougon, dans la banlieue d’Abidjan alors que l’armée hétéroclite de Ouattara se heurtait à la résistance des militaires fidèles à l’ancien président. Elle n’eut le dernier mot que grâce à l’intervention de l’armée française avec des tanks pour lui ouvrir le chemin et avec des hélicoptères pour bombarder la résidence de Gbagbo. Loss, autrement appelé Cobra, est directement impliqué dans le massacre de Douékoué. Il dirigeait en effet les opérations sur le terrain fin mars 2011. Amadé Ouérémi, un petit seigneur de guerre de nationalité burkinabé, arrêté en 2013, et soupçonné d’avoir été l’un des principaux exécutants de ce Srebenica ivoirien, a mis directement en cause Loss qui lui a fourni des armes de guerre, des tenues militaires, et des instructions de combat.
Echapper à la CPI
Loss et Ousmane ont en commun d’avoir appartenu aux para-commandos du général putchiste Robert Gueï, battu par Laurent Gbagbo lors de l’élection présidentielle de 2000. Après la défaite électorale de leur champion, ils n’ont jamais déposé les armes. On les retrouve en 2001 dans le complot avorté de la « Mercèdes noire », puis l’année suivante à Ouagadougou où ils ont trouvé refuge près de Blaise Compaoré. Ils participent le 19 septembre 2002 au coup d’état manqué contre Gbagbo, qui aboutira à la partition du pays. Et deviennent ensuite, sous les ordres de Guillaume Soro, deux des seigneurs de guerre qui mettront, jusqu’en 2011, en coupe réglée le nord du pays, et seront nommés ensuite par Ouattara à des postes de responsabilité dans la nouvelle armée ivoirienne.
Dans ces conditions, il est difficile d’imaginer que ces mises en examen, d’abord destinées à soustraire les deux inculpés à la justice internationale, aboutiront à des procès et à des condamnations. Et la Côte d’Ivoire est loin d’être tirée d’affaire. Une dizaine de milliers d’ex-combattants, parfois venus de pays voisins, n’ont pas encore rendu leurs armes. Des chasseurs traditionnels dozos font régner leur loi dans des villages. Dans l’Ouest, les Guérés continuent d’être spoliés de leurs terres. Et Blaise Compaoré, le parrain de la rébellion ivoirienne et le gendarme de la France dans cette région de l’Afrique, chassé du pouvoir par son peuple, s’est désormais installé au bord de la lagune dans une grande villa avec piscine et salle de sport, non loin de celle où Ouattara a établi sa résidence présidentielle.