Onze villes et villages, et autant de discours sur la réconciliation nationale et la paix… En Côte d’Ivoire, Charles Blé Goudé qui fut très proche de Laurent Gbagbo se veut un apôtre de la paix en dépit des tensions qui s’accumulent à l’approche de l’élection présidentielle prévue en 2025.
Correspondance à Abidjan, Bati Abouè
Du 17 au 24 avril, Charles Blé Goudé, président du « Congrès panafricain pour l’égalité et la justice (COJEP) » était dans plusieurs régions de l’ouest du pays où il a pu visiter onze villes et villages. Toutes ces rencontres lui ont permis de témoigner sa compassion aux habitants qui ont subi la vengeance du pouvoir en avril 2011 à l’issue de la crise postélectorale. En tant qu’« ancien général de la rue qui galvanisait autrefois ces populations qui ont subi le retour du bâton, il ne pouvait qu’aller les saluer pour exprimer sa compassion et encourager ceux qui souffrent », a résumé un des proches du leader du Cojep pour expliquer l’enjeu de la tournée.
Si Blé Goudé ne se rend que maintenant au chevet de ces populations meurtries, c’est parce que lui-même est resté emprisonné pendant six ans à la Cour pénale internationale. Il avait d’abord été arrêté Ghana, puis sommairement extradé vers la Côte d’Ivoire avant d’être incarcéré durant des mois, dans l’odieuse cellule de la Direction de la sûreté du territoire (DST). Mais malgré ce terrible parcours qui s’est achevé à la prison de la Cour pénale internationale (CPI), le président du Cojep dit être sans rancune et veut réconcilier les deux camps qui continuent de se regarder en chien de faïence. Mais son discours hérisse son camp, surtout quand il dit vouloir s’opposer à toute tentative de renversement du régime actuel pour « rester logique » avec lui-même.
Toujours techniquement inéligible
Depuis lors, Blé Goudé est régulièrement pris à partie par ses anciens camarades et alliés politiques qui l’accusent de connivence avec le pouvoir en place. Mais lui dément d’autant plus fermement ces accusations que son parti, le Cojep, n’est pas sur la liste de ceux bénéficiant d’un financement public. Au demeurant, contrairement aux autres formations politiques de l’opposition, aucun cadre de son parti n’a bénéficié de mesures d’apaisement. D’ailleurs, à titre personnel, le président du Cojep a toujours ses avoirs bloqué et il s’est vu retirer du fichier électoral en raison d’une condamnation par contumace qui avait tout d’une vengeance politique. En Côte d’Ivoire, seuls les partis politiques ayant un groupe parlementaire à l’Assemblée nationale sont financés par l’Etat. Ce qui n’est pas le cas du Cojep qui n’a pas pris part aux dernières élections législatives et, encore moins, aux municipales et régionales de septembre 2023.
Blé Goudé assure qu’il veut d’abord réconcilier les populations avant de penser à participer à des élections générales qui sont de toute façon organisées dans des conditions alimentant les tensions sociales. Cela fait en effet plusieurs décennies que la commission électorale indépendante (CEI) organise des scrutins qui s’achèvent par des violences électorales parce qu’elle n’a d’indépendance que le nom. Mais la CEI n’est pas le seul vecteur de la violence politique. Il y a également le conseil constitutionnel où le président Ouattara place généralement des personnalités proches de lui. C’est donc à juste titre que ces dernières semaines, l’ancien président Laurent Gbagbo, que plus rien ne devrait empêcher d’être le candidat du PPA-CI à la prochaine présidentielle, ne cesse d’attirer l’attention de ses militants sur la guillotine du conseil constitutionnel qui avait déjà rejeté sa candidature en 2020.
Une revue des troupes
Le président du Cojep devrait également prendre part à ce scrutin mais on imagine que s’il n’est pas inscrit sur la liste électorale, il lui sera difficile d’être sur le point de départ le moment venu. En attendant, cette tournée de compassion avait toutes les apparences d’une vraie revue de troupe. Et sur ce point-là, l’ancien ministre de la jeunesse de Gbagbo a encore fait parler sa magie et mesuré ses liens avec les populations des régions visitées. D’ailleurs, en plus de l’affluence sur les lieux de la rencontre, Charles Blé Goudé a souvent été obligé de descendre de son véhicule pour saluer les populations qui obstruaient son passage pour communier avec lui.
Mais si les images de ces visites sont largement visibles sur les réseaux sociaux, très peu ont été, en revanche, relayées par les médias nationaux. Signe de l’ambiance délétère qui prévaut dans l’opposition de gauche, aucun des journaux proches de l’ancien président, Laurent Gbagbo, n’a consacré la moindre ligne à cette tournée de compassion de l’ancien grand chef des patriotes ivoiriens. « Je suis venu dans l’ouest pour qu’on tourne la page des rancœurs afin qu’on regarde l’avenir avec beaucoup d’espoir », a répété partout, avec la même verve, Charles Blé Goudé. Un appel également à ses adversaires internes ?