Le président Sassou a régné pendant trente quatre ans d’un pouvoir sans partage? Des personnalités indépendantes lancent une pétition demandant son départ
Le 15 août 1960, à Brazzaville qui fut « un des hauts lieux de la France Combattante » sous l’occupation nazie, André Malraux, au nom du gouvernement français, livrait un message de liberté à l’occasion de l’accession à l’indépendance de la République du Congo.
58 ans après ce message d’espoir, la République du Congo vit sous une dictature prédatrice où la liberté est confisquée, les crimes humains sont commis sans que la justice ne soit rendue aux victimes et l’économie nationale est détruite.
Que se passe-t-il en vérité, dans ce pays ?
Un pays dévasté par 34 ans de pouvoir sans partage
Ce pays aux ressources hydrauliques et forestières inestimables, au sous-sol riche en minerais et notamment en pétrole est devenu membre de l’OPEP. Et pourtant les Congolais qui ne sont à peine que 5 126 000 habitants ne bénéficient pas de ces ressources. Plus de 40% de Congolais vivent sous le seuil de pauvreté.
Dans ce pays, l’eau potable manque pour le grand nombre. L’école végète, le système de santé agonise. Les fonctionnaires peinent à recevoir leur solde. Les arriérés de pensions des retraités s’accumulent. Les bourses des étudiants ne sont plus versées.
Comment en est-on arrivé là ? Comment, après plus de dix ans de boom pétrolier qui se sont traduits par d’importants excédents budgétaires, l’économie du pays est-elle devenue aussi exsangue ?
La situation du Congo, trop vite attribuée à la chute des prix du baril sur le marché international a cependant des responsables bien connus.
Le premier de ces responsables est Denis Sassou Nguesso qui totalise à ce jour 34 ans de pouvoir sans partage.
Battu lors des élections démocratiques de 1992, Sassou Nguesso est revenu à la tête du pays en 1997 après un sanglant coup d’État.
En 2015 la loi fondamentale de 2002, taillée sur mesure l’empêche de se représenter. Il opère cependant un passage en force en décrétant un changement de Constitution. Puis en 2016, il organise un hold-up électoral.
Depuis lors, toute opposition est muselée et réprimée. Les populations civiles sont terrorisées, les procès staliniens se poursuivent tout comme les crimes humains notamment dans le département du Pool.
Sassou Nguesso a érigé la criminalité en un système de gouvernance et l’a institutionnalisée dans « sa » constitution actuellement en vigueur qui stipule à l’article 96 qu’ : « aucune poursuite pour des faits qualifiés de crime ou délit ou pour manquement grave à ses devoirs (…) ne peut … être exercée contre le Président de la République après la cessation de ses fonctions ». Que peuvent alors espérer, dans ces conditions, les parents des jeunes adolescents tués récemment au commissariat de police de Chacona à Brazzaville ?
Une logique sous-tend tout cela : le népotisme. Il est de notoriété publique que le fils de Denis Sassou Nguesso, déjà en campagne, veut succéder à son père. Mais, n’est-il pas évident que ce « fils de » a tout sauf le mérite ? Les Congolais et le monde entier se souviendront de l’affaire de « Panama Papers ». Selon l’enquête du « Consortium de journalistes », les avoirs bancaires du fils-prétendant et d’un des neveux, engloutis dans les différents comptes disséminés à travers les paradis fiscaux s’élèveraient à 6,685 milliards de dollars soit l’équivalent de 73,14 % du montant de la dette totale du Congo évaluée en 2018 à environ 9,14 milliards de dollars par le FMI.
En fait, tout le pays a été mis en coupe réglée par le clan au pouvoir atteint par des scandales de corruption et de concussion avérés sur lesquels la justice congolaise, malheureusement aux ordres, ne peut enquêter. Alors, l’impunité devenue la règle, triomphe !
Mais un tyran, si cruel soit-il, ne tient pas sans ressort intérieur et appuis extérieurs.
Sur le plan intérieur, il faut noter que la vertu, fondement du gouvernement républicain, n’est pas le ressort qui meut les autorités congolaises. Celles-ci sont sous l’emprise de la manducation dont la conséquence évidente est le règne de la « politique du ventre » et la prolifération des « antivaleurs » décriées récemment par les Évêques congolais.
Des appuis extérieurs
Sur le plan extérieur, le système Sassou Nguesso bénéficie également de soutiens bien connus.
Qui a financé la reconquête du pouvoir par Sassou Nguesso en 1997, si ce n’est la compagnie pétrolière Elf devenue Total avec l’appui des autorités françaises de l’époque.
Le 30 juin 1998, le Président Jacques Chirac se réjouissait à Luanda de l’intervention militaire de l’Angola au Congo-Brazzaville, déclarant : « Denis Sassou Nguesso s’est engagé à mettre en œuvre le processus de démocratisation dans un délai maximum de 2 ans » (cf. F-X Verschave, Noir Silence. Qui arrêtera la Françafrique ?, Paris, les arènes, 2000, p. 16). Depuis lors, ce dernier s’y accroche obstinément.
Qui a berné le FMI pour permettre au régime de Sassou Nguesso d’être éligible à l’initiative pays pauvre très endetté, si ce n’est encore Total avec le soutien de la BNP (cf. J. Baruch, In Le Monde, « Economie et entreprises », 11 avril 2018, p. 3.).
Et pour quels résultats !
Aujourd’hui, comme dans les années 1980, le Congo est bloqué. Il ploie sous une dette insoutenable, sans précédent dans la Zone Franc Cfa : plus de 117% du PIB comme l’atteste le FMI. Une fois de plus, Sassou Nguesso a conduit le Congo à la faillite généralisée.
Que faire ?
L’issue de cette crise multidimensionnelle passe par des changements institutionnels fondamentaux impliquant le retrait de Sassou Nguesso.
Dans cette perspective, nous, signataires de la présente tribune, lançons un appel :
- Aux décideurs de la Communauté internationale, pour aider le peuple congolais à recouvrer sa liberté confisquée.
- A la France et à la compagnie pétrolière TOTAL, qui ont imposé il y a 21 ans le retour de Sassou Nguesso au pouvoir au Congo par les armes, à assumer leur part de responsabilité.
- Aux banques qui conservent les fonds détournés au Congo pour qu’ils soient restitués au peuple, selon les vœux exprimés par les Évêques congolais dans leur « Déclaration » du 9 mai 2018.
- Aux démocrates congolais, pour sauver la République, en faisant échec aux manœuvres actuellement en cours et qui visent à organiser une succession dynastique au Congo.
Brazzaville, Londres, Paris, Rome, Québec, Washington, le 13 août 2018
Les premiers signataires :
- Jean-Edouard SATHOUD, Ancien Vice-Gouverneur de la Banque des Etats de l’Afrique Centrale (BEAC), France
- Mâwa-Kiese MAWAWA, Physicien, Editeur, Ancien Parlementaire congolais, France
- Ferdinand Justice MOUKALA, Juriste, Conseiller en Gestion de Patrimoine, France
- Noël Magloire NDOBA, Economiste-Chercheur, France
- Anthyme BAYIMINA, Ancien fonctionnaire de la Banque Africaine de Développement (BAD), France
- Marcel ABIGNA, Administrateur, France
- Jean Joseph William OTTA, Ancien Ministre congolais, France
- Benoît KOUKEBENE, Ancien Ministre congolais du Pétrole, France
- Joseph OUABARI MARIOTTI, Ancien Ministre congolais de la Justice, France
- Alexis-Richard MIAYOUKOU, Economiste Consultant, France
- Herve THELAMA MIABEY, Phd, Professeur d’Université, États-Unis