C’était le soir du 9 novembre dernier. Lors d’une émission politique diffusée par une chaîne privée algérienne, Amar Sâadani, patron du FLN, aborde pour la première fois un sujet hyper sensible : les 4000 cadres algériens condamnés à la prison à cause des rapports bidonnés des enquêteurs du DRS.
Emprisonnements arbitraires
Le sujet n’a jamais fait l’objet du moindre travail sérieux en Algérie. Ni enquête, ni investigation n’ont été enclenchées à propos de l’un des scandales les plus terrifiants de l’histoire de l’Algérie contemporaine. L’une des injustices les plus cruelles. Mais Amar Saâdani n’a pas dit toute la vérité. Il n’a répété que ce que la Présidence algérienne lui a dit.
En vérité, le nombre de cadres algériens condamnés à la prison suite à l’intervention des colonels du DRS dépasse de loin les 4000. Ajourd’hui encore, il demeure impossible de déterminer le nombre exact de ces emprisonnements arbitraires au regard des relations sombres entretenues entre l’appareil judiciaire et l’appareil sécuritaire en Algérie. Mais, au delà des chiffres, nous connaissons les mécanismes de ce processus lugubre et plusieurs anciens hauts dirigeants du DRS impliqués dans ce scandale sont identifiés.
C’est tout un réseau d’officiers qui opéraient depuis le début des années 1990 dans la clandestinité afin de contrôler et écarter les cadres jugés encombrants, politiquement dangereux parce qu’ils refusent d’obtempérer aux ordres des agents du DRS. L’opération avait visé dés l’interruption du processus électoral en 1992, les cadres soupçonnés d’être affiliés à la mouvance islamiste. Des agents du DRS ont fomenté ainsi des complots, monté des affaires de corruption pour justifier l’arrestation et le placement en détention préventive de ces gestionnaires qui travaillaient dans les multiples entreprises publiques algériennes.
Cependant, l’opération s’éloigne trop rapidement de ses objectifs politiques à la fin des années 1990 et le général Toufik, l’ancien patron du DRS, perd la main le jour où un groupe d’officiers décide secrètement de continuer à saborder d’autres cadres n’entretenant aucune relation avec le FIS dissous. Ce groupe était mu essentiellement par des desseins affairistes et voulait abattre le tissu productif algérien pour favoriser l’économie de l’import-export qui rapportait des milliards de dollars dans les caisses des importateurs qui fleurissaient à travers l’Algérie.
Généraux voyous
Le réseau était dirigé par le général Abdelkhader Kherfi, alias Ahmed, qui dirigeait la Direction de la Sécurité Intérieure jusqu’à 2008. Ses principaux hommes de main étaient le colonel Omar, qui fut détachée pendant des années à la Présidence de la République, et qui avait amassé une véritable fortune grâce à ses business. Plus tard, il réussira à acquérir un hôtel dans la région parisienne. Le Colonel Sofiane, le colonel Chafik qui a longtemps dirigé la section du DRS chargée des affaires économiques avant d’être poussé en 2015 à la retraite, le colonel Farouk qui a occupé plusieurs postes, et d’autres officiers encore, ont multiplié les rapports bidonnés pour éliminer de nombreux gestionnaires. Des cadres honnêtes qui se sont retrouvés du jour au lendemain en prison accusés de détournements de deniers publics, abus de confiance, fausses déclarations…
Placés en détention préventive, certains cadres restaient jusqu’à 5 ans dans leurs cellules. En fin compte, ils ont été innocentés par des juges qui avaient compris la combine.
Mais le mal était fait. Les entreprises publiques algériennes se sont effondrées les unes après les autres après l’emprisonnement de leurs managers. Certains ont fuit à jamais l’Algérie. La conséquence est terrible : le pays est amené à importer plus de 50 milliards de dollars pour pouvoir répondre aux besoins de sa population. Selon plusieurs banquiers algériens et anciens de l’inspection général des finances (IGF), les montants transférés illicitement grâce à ces importations massives atteignent les 15 à 20 milliards de dollars.
Surfacturations, importations de containers vides ou chargés de cailloux, les dollars et les euros fuyaient l’Algérie pour se retrouver dans les banques des paradis fiscaux : Monaco, Hong Kong et Dubaï.
Toufik contre attaque
Grâce à leur plan machiavélique, le pouvoir parallèle de ce réseau interne au DRS s’enrichissaient et enrichissaient ses complices impliqués dans ses combines. Le général Toufik a fini par déclencher des contre-enquêtes et s’es aperçu de l’étendue de la supercherie. Il découvre, surtout, que ces officiers véreux ont tout fait pour salir l’image du DRS auprès de l’élite et des cadres algériens. C’était un véritable cadeau pour les ennemis politiques du DRS qui rêvaient d’une telle opportunité pour réduire son pouvoir politique jugé nuisible. A partir 2004-2005, la gronde s’organise au sein du DRS contre ces emprisonnements arbitraires. Des pétitions sont arrivées jusqu’au bureau du général Toufik et une vive contestation a été menée par des officiers honnêtes qui se sont fédérés pour sauver ce qu’il restait de l’intégrité du DRS.
Le colonel Faouzi, le général Hadjer, le général Hadj Redouane, le général Mahfoud, se mobilisent et expriment leur désaccord avec ces pratiques mafieuses. Le général Tartag, l’homme qui va diriger le DRS en 2015, se joint aussi à ce mouvement. Le général Toufik conforté par cette contestation en profite pour limoger le général Ahmed en 2008. Ses officiers et complices se retrouvent les uns après les autres mis à la retraite, écartés et limogés.
Mais ce fut trop tard pour réparer l’hémorragie causée à l’économie algérienne qui paie aujourd’hui encore le prix de cette chasse aux cadres compétents. Le DRS sombrera petit à petit à cause de ces scandales et Abdelaziz Bouteflika en profitera pour le museler politiquement et imposer sa restructuration. Aujourd’hui, le général Toufik est parti après avoir essayé de mettre tous les corrompus en dehors de cette institution. Cela ne semble pas pouvoir suffire pour panser les blessures béantes de plusieurs milliers de gestionnaires algériens.