Depuis quelques semaines, la stratégie des autorités de Bangui pour conserver le pouvoir, coûte que coûte, connaît des revers aussi bien sur le plan international qu’au niveau national.
A mesure que le respect du droit progresse, les mystifications apparaissent de plus en plus grossières. Les Centrafricains retrouvent l’espoir de retrouver, enfin, la paix et la réconciliation nationale.
La fin des illusions
L’aveuglement de l’ONU, de l’Union africaine et de la plupart des partenaires bilatéraux et multilatéraux commence à laisser place au constat que la totale confiance au président Touadera et à son gouvernement risque fort de mener, à brève échéance, à une confrontation nationale, avec une déclinaison intercommunautaire. Les apprentis-sorciers de l’Accord de Khartoum devraient mesurer les conséquences mortifères de ce pacte avec des chefs rebelles, tandis que les financements tous azimuts pour un régime qui a fait fi de l’intérêt national réapparaissent, ici et là, sous forme de » biens mal acquis », notamment dans l’immobilier.
Les quatre années de la présidence Touadera constituent, pour le moins, un cuisant échec et une terrible désillusion pour les citoyens centrafricains et notamment pour les 30% qui sont réfugiés à l’étranger ou déplacés hors de leur lieu de vie, les 60% en insécurité alimentaire sévère et les habitants des trois-quarts du pays qui vivent sous les armes de hors la loi, dont certains responsables siègent à la primature et à la présidence. Cette situation ne pouvait durer indéfiniment. Depuis quelques semaines, les exigences du respect de la légalité et de l’intérêt national prennent le dessus sur un système de prévarication, pourtant bien huilé.
La Minusca met fin à l’impunité
L’ONU et l’Union africaine avaient donné leur caution aux pourparlers organisés à Khartoum, avec l’hospitalité d’un Omar Al-Bechir en pleine bourrasque et qui vivait ses derniers jours de liberté. En dehors de tout consensus national, ce pacte de non-agression fut conclu entre les représentants du président Touadera et quatorze chefs rebelles, aux intérêts patrimoniaux concurrents. L’ « affectio societatis », ou la convergence des intérêts des signataires, reposait, in fine, sur l’impunité des responsables des groupes armés signataires en échange de ne pas entraver la renouvellement du mandat présidentiel de Faustin-Archange Touadera. Où se trouvait l’intérêt national ?
Suite aux affrontements inter communautaires de Birao, Ndélé et Obo et aux nouvelles directives de l’ONU, la Minusca a non seulement mené des opérations robustes d’interposition mais aussi procédé à des arrestations de combattants de la coalition Goula- Kara du RPRC- MLCJ- PNRC des ministres Gilbert Toumou Deya, Gontran Djono-Ahaba et Arnaud Djoubaye-Abazene, de la coalition Runga- Sara du FPRC de Nourredine Adam et Abdoulaye Hissène et de la Légion Peulh de l’UPC du ministre-conseiller Ali Darass et de les livrer à la Cour Pénale Spéciale de Bangui. Cette cour » hybride » et budgétivore, qui coûte plus de 15 millions de dollars par an, va enfin être obligée de seconder le Parquet ordinaire centrafricain qui n’a pas cessé son travail méritoire, sans bénéficier pour autant d’une telle manne financière.
De même, Abass Sidiki du mouvement 3R est dans le viseur de la Minusca, motivant ainsi son retrait de ses fonctions de ministre-conseiller puis finalement de l’Accord de Khartoum. Comme cela était prévisible, les groupes armés ont pris en otage le régime de Bangui en réclamant toujours plus. La Minusca a rompu l’affectio societatis du Pacte de Khartoum et contribue ainsi à rompre le statu quo qui enfermait la population centrafricaine dans le désespoir.
La légalité et le processus électoral
C’est d’abord avec une certaine incrédulité que les Centrafricains ont accueilli l’avis de la Cour constitutionnelle du 5 juin 2020. Rejeter une proposition de loi, pour non conformité à la constitution, n’est pas habituel en Centrafrique, d’autant que cette institution avait encore récemment fait preuve de docilité envers le pouvoir exécutif. Ainsi donc, si les échéances constitutionnelles du processus électoral ne peuvent être respectées, le consensus électoral devra pallier au vide constitutionnel.
Comme il est probable que les conditions sécuritaires et sanitaires ne permettront pas d’organiser normalement des élections présidentielle et législatives fin 2020-début 2021, le consensus national devra être recherché. C’est une autre épine pour le président Touadera et son gouvernement.
Le précédent de 1992
Les conférences nationales, sous des appellations diverses, jalonnent l’histoire contemporaine du pays. Parmi ces recherches de consensus national, pour pallier un vide constitutionnel, le précédent de 1992 pourrait être revisité.
Les élections présidentielle et législatives du 25 octobre 1992 avaient été annulées par la Cour constitutionnelle, à la suite de flagrantes irrégularités. La constitution du 21 novembre 1986 ne permettait pas à André Kolingba d’aller au-delà de son mandat de six années qui s’achevait en novembre 1992. Durant près d’une année, jusqu’à l’élection d’Ange-Felix Patassé, le 19 septembre1993, le président André Kolingba avait dû composer avec l’opposition. Le Conseil National Politique Provisoire de la République a géré cette période de vide constitutionnel. Le président André Kolingba avait été contraint de nommer un premier ministre de l’opposition, également candidat à l’élection présidentielle ainsi que quelques ministres importants appartenant à l’opposition démocratique. Comme en 1992, un éventuel consensus national en 2021 ne devrait pas échapper à la nomination d’un gouvernement d’union nationale.
L’Autorité Nationale des Élections (ANE) en question
Conformément à l’article 145 de la Constitution du 30 mars 2016 et à l’article 7 du code electoral en vigueur, l’Autorité Nationale des Élections (ANE) doit faire l’objet » d’une Loi organique qui détermine sa composition, son organisation et son fonctionnement ». A ce jour, cette obligation constitutionnelle n’a pas encore été respectée par le gouvernement, alors que l’ANE devait satisfaire à cette obligation dans un délai de douze mois après le 30 mars 2016. Très curieusement, avant son sursaut légaliste du 5 juin 2020, dans un récent avis, la Cour constitutionnelle avait considéré que cette méconnaissance de dispositions constitutionnelles ne constituait pas une illégalité. Saisi de plusieurs recours en annulation contre de récentes décisions de l’ANE, le Conseil d’État devrait les déclarer « nulles et non avenues » car l’actuelle ANE n’est pas régie par une loi organique. Le retour à la légalité ne peut s’accommoder de ce déni du droit applicable.
Si le refus de respecter la Constitution persistait, le crime de forfaiture serait constitué avec toutes ses conséquences, notamment pour les financements de l’ ANE venant de l’extérieur.
La crise centrafricaine connaît actuellement des développements positifs qui doivent être confortés. Le chemin vers la paix et la réconciliation nationale est encore long et non dépourvu d’obstacles.