Les récents événements tragiques en Centrafrique montrent que l’Accord de Khartoum est miné par les concessions accordées aux groupes rebelles. Sur fond de montée en puissance des forces djihadistes
Il y a peu de pays, comme la République centrafricaine, qui offrent des décalages aussi flagrants entre les dramatiques réalités du terrain qui alimentent la chronique nécrologique quotidienne et les déclarations politiques formatées venant de Bangui, d’Addis Abeba, siège de l’Union africaine et de New York, siège de l’ONU.
Un pays hémiplégique
L’Accord de paix et de réconciliation, paraphé à Khartoum et signé le 6 février 2019 à Bangui, était beaucoup plus une capitulation des autorités de Bangui devant les exigences des quatorze groupes armés signataires de l’accord qu’un armistice entre belligérants souhaitant mettre fin à un conflit. L’ONU où le Français Jean Pierre Lacroix est Secrétaire général adjoint chargé des Opérations de maintien de la paix, et l’Union africaine, avec l’Algérien russophile Smail Chergui président du comité Paix et sécurité, porteront une responsabilité sur les conséquences de cet accord.
Le choix de Khartoum, alors qu’Omar al-Béchir se trouvait en pleine tourmente, était déjà amplement significatif sur l’acceptation des exigences des mouvements rebelles, défendues par la Russie, et traduisait bien » l’esprit munichois » de l’ONU et de l’Union africaine qui, au nom de la recherche de la paix à tout prix, ont concédé des avantages inconsidérés aux premiers responsables du conflit. Les principaux chefs rebelles que sont Nouredine Adam du Front populaire pour la renaissance centrafricaine (FPRC), Ali Darass de l’Union pour la paix en Centrafrique ( UPC), al-Khatim du Mouvement patriotique en Centrafrique ( MPC), Abass Sidiki du mouvement Retrait, Réclamation, Réhabilitation (3 R) et Abdoulaye Miskine du Front démocratique du peuple centrafricain (Fdpc) ont été lavés de leurs sanctions internationales, consacrant ainsi une impunité de fait, servie par les discours négationnistes des propagandiste de cet accord de dupes. Le peuple centrafricain ne s’est pas trompé et n’a pas cru à cet énième enfumage.
Vers une partition de fait
Les chefs rebelles ont placé leurs hommes de confiance dans les huit ministères qui leur ont été octroyés, les postes de conseillers spéciaux auprès du Président Touadera et de son premier ministre, Firmin Ngrebada, cheville ouvrière de ce mécano suicidaire, et des préfets et sous-préfets qui confortent ainsi « l »autorité de l’Etat » sur leurs fiefs désormais quasiment inexpugnables. La partition du pays s’est accélérée avec l’Accord de Khartoum.
On ne s’étonnera donc guère de voir Nourredine Adam s’offusquer et dénoncer « l’incursion » des Forces armées centrafricaines dans la localité de Kaga Bandoro, Ali Darass parader avec son uniforme de « général » à Bambari devant Jean-Pierre Lacroix et Smail Chergui, venus l’adouber en commandant militaire de la région, alors qu’il en avait été chassé, quelques mois auparavant par la Minusca, la livre soudanaise remplacer le Franc CFA dans cette Centrafrique orientale de plus en plus tournée vers les deux Soudan pour les échanges commerciaux. Dans la foulée, la langue française disparaîtra peu à peu à l’instar de l’enseignement dans les écoles souvent en friches et occupées par les rebelles.
Avec l’Accord de Khartoum, trois des chefs rebelles les plus impliqués dans les crimes de masse ont été nommés « conseillers militaires spéciaux » du Premier ministre, afin de mettre en place les unités mixtes militaires : Al-Khatim pour le Centre-Nord, Ali Darass pour le Nord-Est et Abass Sidiki le Nord-ouest, qui vient de s »illustrer avec le massacre par ses hommes d’une quarantaine de civils innocents près de Bocaranga. Pendant ce temps Patrice-Edouard Ngaïssona et Alfred Yekatom, anciens responsables antibalaka, préparent leur défense dans la prison de la Cour Pénale Internationale de La Haye.
Avec toutes ces décisions favorables envers les rebelles qui formaient l’ossature de l’ex Seleka, l’Accord de Khartoum a donné une accélération à la partition du pays qui était déjà en filigrane entre les populations arabo-musulmanes et chretiennes-animistes. Cette fracture risque fort d’être irréversible.
Le risque du djihadisme
Le président Bozizé avait jadis agité le risque du djihadisme afin de pouvoir être secouru devant la montée en puissance des rébellions du nord-est et la constitution de la Seleka. Cette ultime tentative de sauver son pouvoir autocratique n’eut pas d’écho. Aujourd’hui son ancien premier ministre, Faustin-Archange Touadera, devenu chef de l’État, avec l’Accord de Khartoum, a voulu se réconcilier avec la plupart des chefs rebelles de l’ex Seleka que visait l’ancien président Bozize. Les temps ont changé et la montée de l’islamisme n’épargne plus l’Afrique centrale.
Les hordes de la secte Boko Haram sévissent désormais hors du Nigeria et font de plus en plus d’incursions terroristes dans l’Extrême-Nord au Cameroun et sur les territoires du Lac Tchad. Les groupes se réclamant de Boko Haram trouvent des affinités avec des groupuscules centrafricains du nord-ouest. Les événements dramatiques des villages proches de Bocaranga-Paoua, imputés aux Peuls de Abass Sidiki du mouvement 3 R, avec les dizaines de tués et de destruction d’innombrables maisons, rappellent les exactions de Boko Haram. L’assassinat horrible d’une soeur catholique à Nola est également évocateur et n’a probablement pas grand chose à voir avec un crime rituel, comme semble l’accréditer les autorités judiciaires. Rappelons que cette région du nord-ouest de Centrafrique est à environ 600 km des repaires de Boko Haram et à 800 km de Maïduguri, leur centre névralgique au Nigeria.
A l’est de Centrafrique, la menace devient aussi de plus en plus précise. En RDC, les région du Nord-Kivu et de l’Ituri qui bordent l’Ouganda connaissent des tueries à caractère religieux, des destructions et des enlèvements de civils qui prennent de l’ampleur et qui interpellent. Jusqu’à présent, les groupes islamistes liés aux shebab de l’ex Somalie et regroupés dans les Forces démocratiques alliées ( ADF) étaient à l’origine de ces exactions criminelles. Le trouble est venu de l’État islamique qui a revendiqué les derniers attentats, début et mi-mai, notamment ceux de la région de Béni. Le calife de l’État islamique, réapparu mi-avril 2019, n’a t il pas annoncé une nouvelles présence en « Afrique centrale » ? Cette région de Béni est située à environ 600 km de la ville de Obo dans le Haut-Mbomou, jadis terrorisé par la LRA de Joseph Kony.
Les mouvements terroristes dans le Sahel et notamment au Mali et Niger ont essaimé dans certaines communautés Peuls que l’on retrouvent en Afrique centrale, jusqu’au Soudan. En Centrafrique, les récents événements doivent inquiéter avec les crimes ciblés, en particulier sur les religieux catholiques. La crise centrafricaine pourrait très bien ne plus être que nationale.