Le Président centrafricain Touadera a non seulement fait appel aux mercenaires russes de la société Wagner. Il a également instrumentalisé sur le terrain des milices armés peu recommandables qui font régner un ordre précaire en dehors du cadre légal. C’est du moins la mise en garde très officielle d’un rapport daté de Septembre 2021 et réalisé à Paris par la DIDR (Direction de l’Information, de la Documentation et de la recherche), un service de l’Office Français de Protection des Réfugiés et Apatrides (OFPRA).
Les autorités françaises s’inquiètent désormais de la façon brutale dont le gouvernement centrafricain fait régner un calme précaire sur son territoire. Un rapport finalisé récemment par les services français de l’OFPRA fait état de fortes inquiétudes sur la situation de tension qui règne à Bangui du fait de l’existence de « groupes étatiques et para étatiques » fort peu controlés. La privatisation du maintien de l’ordre public par ces milices est en effet la porte ouverte aux abus et aux dérapages. Les recruteurs centrafricains n’ont pas été regardants sur le parcours de ces mercenaires, qu’ils proviennent des groupes d’autodéfense ex Séléka du quartier musulman de Bangui, le PK5, ou des groupes armés anti Séléka (chrétiens) dont certains dirigeants doivent être jugés par la Cour Pénale Internationale
Le modèle russe de « Wagner »
Est ce le modèle des mercenaires fusses de la société privée Wagner qui a influencé le président Touadera et ses conseillers en matière de sécurité? Des groupes para étatiques prolifèrent en Centrafrique qui n’agissent pas sous le contrôle du gouvernement officiel, tout en bénéficiant de fonds en espèces et d’armements dont le financement est prélevé sur la caisse du budget de la Défense. Ce qui nuit grandement à la mise en place depuis 1917 de la vaste réforme annoncée des forces de sécurité, qui a été décidée avec le soutien de l’ONU et de la communauté internationale.
Dans un rapport de 2021, les experts onusiens se sont inquiétés de l’existence de quatre milices qui tiennent le haut du pavé. Ces bandes qui recrutent aussi bien chez les musulmans que chez les chrétiens ont beaucoup coopté parmi les soldats perdus des bandes organisées qui ont semé la terreur en Centrafrique ces dernières années.
Les barrières sont plus floues que jamais entre les effectifs policiers de l’Etat centrafricain, les soldats réguliers et une mouvance de supplétifs qui ont trempé dans la criminalité et la guerre civile avant d’être tentés aujourd’hui par l’espoir de s’intégrer dans les forces régulières de la gendarmerie ou de l’armée.
La garde présidentielle, un État dans l’État
Les experts de l’ONU se sont inquiétés du rôle grandissant joué par l »e groupement spécial chargé de la protection républicaine », communément connue comme la garde présidentielle du président Touadera. « Les ressources humaines et la gestion de ce corps échappent au contrôle des Forces armées, dites FACA, et à la réforme du secteur de la sécurité », note les auteurs du rapport de l’OFPRA.
Les membres de la garde présidentielle ont été recrutés sur une base clanique. À savoir depuis le quartier du président Touadera, « Boy Rabe », dans le quatrième arrondissement de Bangui, au sein de l’église baptiste de Ngoubagana qui est celle du chef de l’Etat, ou encore à partir de son ethnie (« Mbaka-Mandja »). Beaucoup de jeunes recrues de la garde présidentielle sont issus de groupes anti-balaka (chrétiens). « On cite l’exemple de Thierry Lébéné, alias « le Colonel 12 puissances », un ancien combattant qui a sévi sous le commandement de Patrice-Edouard Ngaissona », note le rapport de l’OFPRA.
L’ancien dirigeant de la fédération de football qu’est Ngaissona de la République centrafricaine (RCA), est jugé actuellement pour crimes de guerre devant la Cour pénale internationale, accusé de crimes contre l’humanité.
Des figures politiques de l’opposition sont pris pour cible par la garde présidentielle en dehors de toute procédure judiciaire notamment depuis la proclamation de l’état d’urgence en janvier 20021. Des sources ont informé les experts de l’OU que Christian Gazam-Betty, membre du Parti de l’Union pour la Renaissance, avait du se cacher pendant des semaines après avoir été recherché par les miliciens du Préisdent Tpuadera, en dehors naturellement de tout cadre légal, et dans un but qui ne devait pas être totalement avouable.
« Les Requins », des hommes de main discrets.
Un groupe appelé « les requins » a été créé en juillet 2019 par Héritier Doneng, un fonctionnaire du ministre de la Jeunesse et des Sports, qui était destiné au départ à menacer les opposants sur les réseaux sociaux et à diffuser des fausses informations. La routine !
Mais en 2020, un nouveau groupe est apparu sous le même nom, où on trouvait un certain nombre de combattants ex ant-Séléka,, issus de la Garde Présidentielle. Opérant généralement la nuit et malgré le couvre feu, ces miliciens enlèvent des individus à leurs domiciles ou les soustraient à des gardes à vue dans le locaux de la police et de la gendarmerie. Les victimes de ces opérations extra judiciaires sont emmenées au Camp de Roux, une base militaire où on croise des mpoliciers de l’OCRB, l’Office contre la Banditisme), mais aussi des soldats ou des membres de la garde présidentielle, notamment Thierry Lénéné qui joue un rôle central dans les interrogatoires musclés qui sont menés hors tout contrôle judiciaire.
En janvier 2021, « le journal de Bangui » a accusé « les Requins » d’avoir assassiné un colonel des eaux et forèts qui aurait eu maille à partir avec les groupes dits d' »autodéfense » de son quartier. Depuis 2013 en effet, ces groupes issus de la Séléka, prétendent défendre la population musulmane de Bangui, notamment dans le quartier du « PK5 ». La plupart des membres de ces milices officiellement défensive dont des petits malfrats qui se sont rapprochés du pouvoir, et notamment de la Garde Présidentielle.
Les groupes d’auto défense, supplétifs du régime
Les groupes d’autodéfense autoproclamés du quartier PK5 se sont livrés à des combats contre la MINUSCA et les Forces de sécurité intérieure. Ils ont commis depuis 2013 de nombreuses violations des droits humains). Dans le cadre de ses enquêtes, il a découvert qu’en dépit des relations historiquement conflictuelles avec les forces de sécurité de l’État, des éléments connus de ces groupes avaient été secrètement recrutés par des responsables de l’État depuis janvier 2021 et se désignaient eux-mêmes comme «les volontaires».
Le Groupe d’experts de l’ONU a recueilli les témoignages de membres de groupes armés, de représentants d’autorités locales, de membres des FACA et de recrues, qui ont décrit le mécanisme de recrutement. La procédure a été menée sous la supervision directe du Ministre de l’intérieur chargé de la sécurité publique, Henri Wanzet-Linguissara, par la voie d’un réseau d’intermédiaires qui avaient des relations dans le quartier PK5. La recrue la plus notoire était sans doute Mahamat Rahama, alias «LT», le principal dirigeant du groupe d’autodéfense du PK5 depuis la mort du «général» Nimery Matar Djamouss, alias «Force», en juin 2019.
«LT» a mené les négociations concernant les recrutements directement avec le Ministre de l’intérieur chargé de la sécurité publique. Bien qu’ils aient précédemment participé au processus de désarmement, de démobilisation, de rapatriement et de réintégration, 58 combattants subordonnés à«LT» ont été recrutés au moyen de ce processus parallèle et, depuis janvier 2021, se battent contre la CPC aux côtés des FACA, des Forces de sécurité intérieure et des instructeurs russes
Il faut reconnaitre à ces petites maffias locales le mérite d’avoir dépassé les clivages confessionnels puisqu’on retrouve autant de chrétiens que de musulmans dans leurs rangs.