Le mercredi 8 Janvier 2020, la rédaction de Mondafrique a rencontré Anicet-Georges Dologuélé (AGD), le Président du parti l’Union pour le Renouveau Centrafricain (URCA).
Le parcours d’Anicet Georges Dologuélé, 62 ans, chef de file de l’opposition centrafricaine, l’a mené aux Services Centraux de la Banque des Etats de l’Afrique Centrale (BEAC) à Yaoundé (Cameroun), où il a été successivement Inspecteur Chef de Mission (1983-1991), Délégué du Gouverneur en France (1991- 1994), Directeur des Relations Financières Extérieures (1994-1995) et Directeur de l’Organisation et de l’Informatique (1995-1997). Il a assumé les fonctions de Premier Ministre de la République Centrafricaine, de 1999 à 2001, après avoir été Ministre des Finances et du Budget de 1997 à 1999.
Il a enfin été Président de la Banque de Développement des Etats de l’Afrique Centrale (BDEAC), dont le siège est à Brazzaville (Congo) de 2001 à 2010.
Mondafrique : Au début de cette nouvelle année 2020, quels sont les vœux que vous souhaitez adresser au peuple centrafricain ?
AGD : Je souhaite à la République Centrafricaine ainsi qu’à tous mes compatriotes une année 2020 sans violence. Je souhaite aussi l’émergence par voie des urnes d’une alternance politique sérieuse qui permettra enfin de donner des perspectives de bien-être, de justice et de développement à la population de mon pays qui n’en peut plus de subir au quotidien la mauvaise gouvernance et la corruption généralisée.
Mondafrique : Le retour de l’ancien Président Bozizé semble faire bouger les lignes du paysage politique centrafricain et inquiéter le gouvernement en place, confirmez-vous cette observation ?
AGD : Il faut tout d’abord noter que François Bozizé est rentré au pays sans aucun contrôle ni anticipation du gouvernement qui avait pourtant tout fait pour empêcher ce retour… Cela en dit long sur l’efficacité des services de renseignement mis en place par l’exécutif depuis qu’il est aux affaires… Pourtant, les résolutions du Conseil de sécurité ne faisaient pas obstacle au retour de Bozizé en Centrafrique. Je regrette l’attitude du gouvernement qui non seulement subit honteusement cet événement, mais en plus jette de l’huile sur le feu par des déclarations incendiaires et contre-productives dans cette affaire….
Ma conviction est qu’il faut instituer un statut spécial pour les anciens chefs d’Etat de façon à contenir les frustrations que pourraient connaître leurs partisans lorsqu’une alternance se produit. François Bozizé en sa qualité d’ancien chef d’Etat doit être traité avec respect. Il a le droit de vivre dans son pays dans des conditions dignes de son rang et de se défendre devant la justice pour les actes pour lesquels il est mis en cause. La réaction de Touadéra et son entourage est symptomatique d’un manque de confiance, là où il est pourtant important de faire preuve de sérénité pour ne pas fragiliser davantage la cohésion nationale et ne pas dégrader davantage le climat politique ambiant. L’accueil réservé à Bozizé par les militants de son parti le KNK (dont Touadéra était jadis le 2ème Vice-Président) dépouillera assurément le MCU, parti présidentiel qui a déjà du mal à exister, d’un grand nombre de ses militants qui préfèreront l’original à la copie. C’est certainement pour cela que les meetings du KNK sont gérés avec autant de nervosité et de maladresse par ce gouvernement.
Mondafrique : Comment évaluez-vous l’application de l’Accord de Khartoum depuis sa signature en février 2019 sur le terrain ? Cet accord a-t-il mis fin aux violations des droits humains ou aux trafics ?
AGD : Cet accord qui a été signé sans consultation aucune ni des partis politiques ni des organisations de la société civile aura bientôt un an. Il comporte en théorie des étapes très précises, qui auraient dû permettre à ce stade de grandes avancées. Mais dans la réalité, l’Accord de Khartoum fait du surplace. Les trafics continuent comme avant et les violations des droits humains n’ont connu aucune amélioration significative parce que les chefs de guerre se sentent peu concernés par ce document qu’ils ont pourtant signé. Il y est fait appel à leur seule bonne foi et aucune des sanctions prévues en cas de violation n’a jamais été appliquée.
Mais comme c’est l’unique instrument qui existe, tous les partenaires de mon pays s’y accrochent. Mon avis est qu’une véritable évaluation doit être initiée, qui aboutirait à la révision en profondeur de cet accord dans le but de le rendre plus concret avec des résultats plus palpables sur le terrain.
Mondafrique : Comment analysez-vous le déploiement des Forces armées centrafricaines (FACA) dans l’intérieur du pays ?
AGD : La reconstruction de l’armée nationale est souhaitée par tous les centrafricains. Mais pour le moment, il y a un contraste notable entre le sentiment d’abandon que ressentent nos populations en Province et les effets d’annonce triomphalistes du gouvernement quant à la projection des FACA sur le théâtre des opérations. Notre pays avait reçu des financements importants dans le cadre du Plan national de relèvement et de consolidation de la paix (RCPCA), aussi je m’étonne qu’aucune caserne n’ait été construite pour concrétiser la politique de l’armée de garnison chantée par le Chef d’Etat dans tous ses discours…
La Loi de Programmation militaire par ailleurs n’est pas respectée. La récente lettre publiée par le Groupe d’experts du Conseil de Sécurité de l’ONU sur la RCA souligne le retard pris par ce gouvernement dans le respect du plan quinquennal de recrutement (2018-2022) destiné à refonder notre armée nationale. De nombreux départs à la retraite ont été réalisés de manière anarchique, départs qui n’ont pas été compensés comme cela était prévu par de nouveaux recrutements.
Cette lettre souligne en revanche que le Président Touadéra n’a pas chômé en 2019 pour enrôler en dehors de tout cadre légal plusieurs centaines de gardes présidentiels, principalement issus de son groupe ethnique…
Mondafrique : La Cour Pénale Internationale (CPI) a récemment confirmé le procès qui sera réservé aux leaders anti balaka Ngaïssona et Yekatom. Cela contraste avec le traitement réservé aux ex-Seleka qui semblent bénéficier d’une certaine mansuétude de la part ce gouvernement, est-ce aussi votre constat ?
AGD : Les problèmes de sécurité de la RCA ont été créés par les ex-Seleka et les anti-balaka et des crimes ont été commis dans les deux camps. Il serait donc plus juste et équilibré que des chefs de guerre des deux camps soient jugés à la CPI. Sinon, cela consacre cette perception du « deux poids deux mesures » largement répandue dans l’opinion publique centrafricaine.
S’agissant des structures du gouvernement, les groupes armés y envoient le plus souvent des personnalités qui n’ont aucune influence, voire aucune utilité sur le terrain. Leur présence n’a donc jamais réellement influencé positivement la situation sécuritaire dans le pays. J’ajoute que leur nomination est une violation de la Constitution de la RCA.
Mondafrique : Comment analyser l’instabilité qui sévit récemment dans la préfecture du Haut-Mbomou où le groupe armée UPC semble renforcer ses positions ?
AGD : Ce fait résume à lui seul les faiblesses de l’Accord de Khartoum. Quel sort doit-on réserver à un mercenaire, dont le pays se trouve à plusieurs milliers de kilomètres de la RCA, qui n’est là que pour faire du business et dont les intérêts sont contraires à ceux des centrafricains ? Quel avantage objectif tirerait Ali Darassa, leader de l’UPC, à ce que la paix revienne dans les régions qu’il contrôle, ce qui l’obligerait à mettre fin à ses nombreux trafics ? Alors, il poursuit son bonhomme de chemin, occupe de nouveaux espaces, y renforce ses positions…
Tant que ses positions ne seront pas attaquées et détruites militairement, il continuera de faire ce qu’il sait le mieux faire et qui lui rapporte tellement d’argent ! Il pousse le mépris vis à vis des Autorités centrafricaines jusqu’à nommer le préfet du Haut Mbomou, ainsi que le sous-préfet et le maire de Bambouti sans que cela n’entraîne aucune réaction !
Mondafrique : Des combats ont lieu depuis plusieurs mois dans la préfecture de la Vakaga, comment les interprétez-vous ?
AGD : Je le regrette, parce que ces combats sont fratricides, parce qu’il y a beaucoup de morts et de destructions de toutes natures, parce que des haines ethniques sont ravivées. On signale la présence de combattants djandjawids qui auraient été recrutés à partir de Bangui. Si ces faits été vérifiés, cela serait d’une extrême gravité ! Je ne peux que condamner cette politique de « diviser pour mieux régner » et j’appelle les protagonistes à l’apaisement afin que les pauvres populations de ces localités ne soient pas trop affectées. Je constate là encore la duplicité de l’exécutif qui d’un côté prône « le désarmement des cœurs » et de l’autre attise la haine entre les communautés…
Mondafrique : Plusieurs dizaine de morts ont aussi eu lieu pendant les fêtes dans des affrontements au PK5 de Bangui…
AGD : Manifestement, les commerçants du KM5 ne supportent plus le racket des groupes d’autodéfense qui, sous le prétexte de protéger leurs commerces, les soumettent au quotidien à des « taxes » de plus en plus élevées, avec une organisation digne de la mafia. Ces morts inutiles que je déplore nous rappellent que le Gouvernement et la MINUSCA (Mission multidimensionnelle intégrée des Nations unies pour la stabilisation en Centrafrique) ont laissé se développer au centre de Bangui une zone de non droit dans laquelle certains individus surarmés continuent de faire la loi. Comment espérer appliquer des accords de paix à des centaines de kilomètres de Bangui, alors qu’une poudrière prospère à quelques mètres du Siège de la MINUSCA et du Palais présidentiel ?
Mondafrique : Comment analyser-vous l’action de la MINUSCA en RCA ?
AGD : Le mandat de la MINUSCA vient d’être renouvelé, avec de nouvelles responsabilités dans l’accompagnement et la sécurisation du processus électoral. Comme je l’ai toujours réclamé, les actions de la MINUSCA vis-à-vis des groupes armés devraient être conformes à leur mission première, qui est la protection des populations civiles. Chaque fois que les casques bleus se sont fait respecter militairement, cela a eu un effet positif sur la quiétude et la sécurité des populations. Ils devraient le faire plus souvent !
Mondafrique : Comment appréciez-vous l’action de la Russie dans votre pays ? Cette action est-elle nécessairement incompatible avec le soutien apporté par la France ?
AGD : Depuis Décembre 2017, des livraisons d’armes et de munitions au profit de nos forces de défense et de sécurité dans le cadre du Conseil de Sécurité se sont accompagnées de l’envoi d’instructeurs russes sur le terrain. L’action de ces instructeurs russes qui s’est ainsi ajoutée à celle prodiguée par la mission de formation de l’Union Européenne (EUTM). Cela s’est aussi matérialisé par la construction à Berengo d’un camp militaire pourvu d’une piste d’atterrissage servant de base logistique pour ces éléments russes dont certains sont venus renforcer la sécurité du Président de la République.
Je ne pense pas que l’action de la Fédération de Russie soit incompatible avec celle de la France ou celle menée par d’autres partenaires dans notre pays. Nous avons un long partenariat avec la France qui intervient tant au plan bilatéral que multilatéral, notamment à travers l’union Européenne et les Institutions de Bretton Woods. Nous espérons que la Russie développera des mécanismes de coopération qui contribueront à sortir la RCA de l’extrême pauvreté. Je pense qu’il est important d’adopter une diplomatie intelligente pour maintenir de bonnes relations avec les grandes puissances qui œuvrent en RCA cela afin d’éviter que notre pays se transforme en un théâtre d’affrontement larvé entre certaines de ces puissances.
Mondafrique : Les autorités légitimes réussiront-elles à tenir le calendrier électoral dans le délai prévu par la constitution ?
AGD : Je ne pense plus que cela soit possible. Et ce n’est pas en le répétant dans tous les discours, quelquefois avec beaucoup de mépris pour la communauté nationale, que le Gouvernement fera respecter les délais. Je note de la part du pouvoir une réelle volonté de passer par des raccourcis dangereux, notamment sur la question de l’Autorité nationale des élections (ANE).
Je note également que la Communauté Internationale, qui finance les élections, donne l’impression de se laisser séduire par les discours rassurants du Gouvernement, alors que le retard déjà constaté devrait être un grand sujet d’inquiétude.
Mondafrique : La Présidente de la Cour Constitutionnelle a récemment confirmé la mise en place du comité stratégique d’appui au processus électoral mis en place par décret du Premier Ministre, quel est l’enjeu de cette décision ?
AGD : Nous rentrons dans une période pré-électorale très sensible pour notre pays. Le Premier Ministre a récemment signé un arrêté créant un Comité Stratégique chargé d’assurer le suivi régulier du processus électoral. Ce qui nous interpelle est que ce comité, Présidé par le Premier Ministre, est pour partie composé de membres du gouvernement, certains pourront même être candidats aux prochaines élections… En plus de sa neutralité, la légalité de ce comité qui exclut les partis politiques et les organisations de la société civile pose clairement question. En effet, ni la Constitution, ni le code électoral ni la loi organique de l’Autorité Nationale des Élections (ANE) n’avaient prévu la mise en place de ce comité… Il a été surprenant de constater que la Présidente de la Cour Constitutionnelle intervienne pour apprécier cet arrêté du Premier Ministre… Cela est d’autant plus surprenant que le Premier Ministre semblait, du reste, connaître d’avance la décision de la Cour (cela a clairement transparu lors d’une interpellation de son Gouvernement par l’Assemblée Nationale). Ce n’est pas la première fois que la Cour Constitutionnelle se distingue par des prises de positions polémiques … Tout cela n’est pas rassurant pour la suite des évènements…
Mondafrique : Comment l’opposition s’organise-telle en prévision de ces futures élections ?
AGD : Aujourd’hui, plus de 90% des leaders politiques du pays sont dans l’opposition. Notre parti l’URCA n’y est plus esseulé comme il y a trois ans. C’est dire la grande déception de toute la classe politique face à la gestion catastrophique de l’Etat par le régime de Touadéra. Son parti, le MCU, affiche ostensiblement sa volonté de truquer les futures élections, conscient de la grande impopularité de son candidat. Nous ne laisserons pas faire et les leaders de l’Opposition ont décidé de se regrouper pour former une plateforme politique, patriotique et responsable.
Notre conviction est que c’est dans le rassemblement et les échanges citoyens que nous parviendrons à impacter positivement l’organisation des prochaines élections générales et à imposer une alternance politique par les urnes. C’est ensemble que nous pourrons veiller à ce que les prochaines élections soient justes et équitables. Si les conditions ne sont pas réunies, il n’y aura pas d’élections