La tension est subitement montée jeudi soir au Mali alors qu’une large plateforme de partis et organisations de la société civile demandait avec force aux autorités militaires de revenir sur leur décision, annoncée la veille par décret sur proposition du ministre Abdoulaye Maïga, de suspendre les activités politiques.
Les signataires, parmi lesquels figurent tous les partis issus de l’ère démocratique, dénoncent une violation « des Constitutions de 1992 et de 2023 et des lois encore en vigueur au Mali, notamment la charte des partis politiques et la loi modifiée relative aux associations. »
Ils « attirent l’attention de l’opinion nationale et internationale sur le fait que ces atteintes graves aux libertés démocratiques sont sans précédent dans l’histoire du Mali depuis la chute de la dictature militaire du général Moussa Traoré », en 1991.
Alors que le colonel Assimi Goïta a engagé le Mali dans un processus de réconciliation contesté baptisé dialogue inter-maliens, la décision d’interdiction de toutes les activités politiques risque de mettre à mal cette dynamique, déjà décrédibilisée par l’absence des acteurs armés djihadistes et rebelles évincés du dialogue. D’ailleurs, les signataires du communiqué de jeudi annoncent qu’ils ne participeront plus, » dans ces conditions, à aucune activité organisée par le gouvernement, y compris le soi-disant dialogue inter-maliens. »
Vers une confrontation ouverte
Ils ajoutent leur intention d’attaquer le décret du 10 avril » devant toutes les juridictions nationales et internationales indiquées « , le qualifient de » décision liberticide et tyrannique » et jugent » fallacieuses » les nécessités de maintien de l’ordre public invoquées par Bamako en guise de justification. Si les partis politiques maliens se sont montré très patients jusqu’ici avec la junte au pouvoir, la guerre semble désormais déclarée entre les deux camps. » Aucune manoeuvre ne fera reculer (les signataires) dans leur combat pour la liberté, la démocratie et le bien-être des Maliens » en faveur d’une » véritable refondation des institutions « , écrivent-ils.
Le glissement des autorités maliennes vers la dictature militaire pure et simple avait déjà été interpellé le 31 mars par ces mêmes organisations s’inquiétant « du vide juridique et institutionnel » prévalant désormais au Mali à l’expiration du délai prévu officiellement pour la fin de la transition militaire.
Les signataires sont le M5-RFP, d’où est issu le Premier ministre Choguel Maïga, le Cadre des partis et regroupements pour le retour à l’ordre constitutionnel, Espérance Nouvelle Jiguiya Kura, l’Appel du 20 février, la fédération FUMA, Yelema, Adema, Parena, Nema, PS Yelen Kura, FAC, VNDA, MSP, PDES et Alternatif pour le Mali. Les leaders de ces organisations se sont également exprimé individuellement.
Les médias à l’unisson des partis
Même rébellion du côté des médias, dont l’organisation faîtière a refusé catégoriquement les injonctions de la Haute Autorité de la Communication (HAC), dans la foulée du même décret, » à arrêter toute diffusion et publication des actualités des partis politiques et des activités à caractère politique des associations. »
« Après concertation des organisations, réunies ce jour jeudi 11 avril à son siège, la Maison de la Presse rejette purement et simplement ce communiqué sans fondement juridique de la HAC. Elle appelle l’ensemble de la presse malienne à ne pas se soumettre aux injonctions de la HAC et invite les médias à rester debout, unis et mobilisés pour la défense du droit du citoyen à l’information », écrit le communiqué signé par le président de la Maison de la Presse, Bandiougou Dante.
Après la phase militaire de son offensive, pour la reprise en fin d’année du bastion rebelle de Kidal, la transition est entrée, visiblement, dans une phase politique. Mais depuis le soulèvement populaire qui a renversé le général Traoré en 1991 après vingt-trois ans de règne, la vie politique malienne est organisée par des acteurs attachés aux principes démocratiques et qui restent très influents dans la société. Les militaires au pouvoir à Bamako vont devoir assumer, désormais, leur opposition frontale, tandis que, sur le terrain militaire, les groupes djihadistes affiliés à Al Qaida et à l’Etat islamique restent très puissants et offensifs.