Contraint à la démission le 31 octobre, Blaise Compaoré a finalement trouvé refuge en Côte d’Ivoire, le pays d’origine de son épouse, où il s’est enfuit avec l’aide de l’armée française. Instigateur de l’assassinat de Thomas Sankara, ancien compagnon de route de l’ex président du Libéria Charles Taylor qui a alimenté la rébellion sanglante de Sierra Leone, l’ex président burkinabé fut surtout, depuis les années Mitterrand, un élève modèle de la « Françafrique ». Un portrait, signé Philippe Duval, journaliste indépendant, ancien chef de service politique étrangère au « Parisien » et auteur de plusieurs ouvrages sur l’Afrique dont « Fantômes d’Ivoire » (éditions Le Rocher)
Blaise Compaoré, qui dirigeait d’une main de fer le Burkina Faso depuis 27 ans, a donc démissionné et fui son pays pour trouver refuge en Côte d’Ivoire. Qui était vraiment ce président ?
Autorcrate, pas dictateur
Un faiseur de paix qui mériterait de postuler au prix Nobel, proclament les thuriféraires de droite et encore plus souvent de gauche, nombreux dans la classe médiatiquo-politique, qui ont défilé pendant plus de deux décennies à sa table ? Ou est-il un affreux dictateur, qui a muselé son opposition, éliminé des opposants, accaparé les pauvres richesses de son pays au profit exclusif de sa famille, semé la mort chez ses voisins sierra-léonais, libériens ou ivoiriens. Les images des foules révoltées de Ouagadougou, qui ont pendant plusieurs jours fait irruption sur les ecrans de télé hexagonaux, ont contraint les journalistes et consultants africanistes, convoqués au parloir télévisuel, à effectuer de savants replis stratégiques. Blaise était certes un autocrate, concèdent t-il à regret, mais, jamais, au grand jamais, on ne pourrait le qualifier de dictateur. Son bilan n’est pas négatif, ajoutent-ils, tout juste un peu contrasté, voire mitigé, pour les plus critiques. Quant à sa manie de trafiquer la constitution pour se faire réélire, « il n’est pas le seul dans son cas », note joliment la ministre de la Francophonie de François Hollande.
Blaise, gendarme des intérêts français en Afrique
Une image d’abord. La scène se passe le 13 octobre 2012 lors du sommet de la Francophonie à Kinshasa. François Hollande, qui a fait poireauter 42 minutes Joseph Kabila, le président congolais, assis sur une chaise avec son épouse, arrive enfin. Le tout nouveau président « normal » entend signer là l’acte de décès de la Françafrique et ouvrir une « nouvelle ère ». Le Congo n’a pas été choisi au hasard pour mettre en scène cette nouvelle politique africaine. Kabila, comme la plupart de ses collègues africains, n’est pas un parangon de démocratie et surtout, il n’appartient pas vraiment au pré carré français. Le professeur Hollande peut donc y faire la leçon sans craindre des retombées néfastes sur les intérêts hexagonaux. Et il se lâche en dénonçant la «situation inacceptable dans ce pays sur les plans des droits, de la démocratie de la reconnaissance de l’opposition». Le public, tout acquis à Kabila, ne bronche pas, et salue le discours par des applaudissements polis. Plongé dans la lecture et l’écriture de note, Hollande écoute d’une oreille ostensiblement discrète la réponse de son hôte congolais. Et plonge les mains sous un pupitre quand la claque retentit. Son voisin, Blaise Compaoré, se laisse aller à d’imprudents applaudissements qu’il interrompt rapidement. Le même sketch s’est produit lors de l’entrée de Kabila dans la salle, saluée par un concert d’acclamations. Hollande s’est levé le dernier et a gardé les bras ballants. On a alors vu Compaoré, qui avait commencé à applaudir, se tourner vers lui, et voyant qu’il faisait grève, laisser retomber les mains.
Cette place d’honneur à la gauche d’Hollande, le président burkinabé la doit à deux décennies de bons et loyaux services en qualité de gendarme des intérêts français en Afrique. Une carrière commencée sous Mitterrand, consacrée sous Chirac. Fin 2002, dans l’avion de la République française qui emmène Villepin, alors ministre des Affaires Etrangères, en Côte d’Ivoire frappée par un coup d’état quelques mois plus tôt, la diplomatie française ne tarit pas d’éloges sur ce Compaoré, un « fin politique » qui « tient bien son pays ». Traduisez, un homme qui manœuvre parfaitement au service des intérêts français dans la région et qui sait se faire réélire sans truquages trop grossiers. Un élève modèle de la Françafrique ce « beau Blaise », ainsi surnommé en raison de son physique avantageux.
L’assassin de Sankara
Comme beaucoup de présidents africains francophones, il a obtenu ses premiers galons dans l’armée française avec notamment un stage de perfectionnement d’officier para à Pau. Revenu au pays, il connaît une ascension politique fulgurante qui le propulse au rang de ministre d’Etat à 32 ans, dans le sillage de Thomas Sankara, qui a pris le pouvoir par les armes en 1983, rebaptisant la Haute-Volta Burkina Faso, « pays des hommes intègres », en langues locales. Le 15 octobre 1987, Compaoré est à la manœuvre quand Sankara tombe victime d’un nouveau coup d’état. Chargé d’effectuer l’acte de décès, un médecin militaire conclut à une « mort naturelle » et il n’y aura jamais aucune enquête sur la disparition brutale de ce révolutionnaire « anti-impérialiste » qui s’était permis de critiquer la politique africaine de Mitterrand devant des caméras de télévision. « Blaise a réussi à faire disparaître des hommes comme Sankara, qu’on disait invulnérables, persifle admiratif un journaliste ivoirien. On affirme qu’il les a transformés en vent. Il ne fait vraiment pas bon avoir cet homme-là parmi ses ennemis. » Durant ses 27 ans de pouvoir, l’homme fort du Burkina est accusé par ses adversaires d’être responsable de la mort de quelques dizaines de ses opposants.. Des professeurs, des étudiants, des ouvriers, tués dans des conditions plus ou moins rocambolesques. Comme Norbert Zongo, directeur du journal d’opposition “ l’Indépendant ”, retrouvé carbonisé dans sa voiture le 13 décembre 1998. Un accident, selon la police. Une version contredite par l’absence de traces de freinage, l’état des pneus et de la carrosserie et la position du véhicule. Le journaliste, très apprécié dans son pays pour sa liberté de ton, enquêtait sur la mort, elle aussi suspecte, un an plus tôt, du chauffeur de François Compaoré, le frère cadet de Blaise.
Les diamants du sang
A 37 ans, Compaoré est donc président d’un des pays les plus pauvres du monde. Il va alors déployer des trésors d’ingéniosité pour assurer les fins de mois. En s’inspirant de son voisin du sud, l’icône françafricaine Houphouët Boigny, exécuteurs des hautes oeuvres françaises en Afrique de l’ouest, à commencer par la guerre du Biafra, qui l’a aidé à se débarrasser de Sankara. Quelques mois avant de mourir, le « Vieux » offre l’hospitalité au libérien Charles Taylor et lui permet de former une colonne armée qui part à l’assaut du sanguinaire Samuel Doe, déclenchant ainsi une guerre civile de huit ans. Le « père de l’indépendance ivoirienne » mort et enterré, Blaise prend le relais et entame un long compagnonnage avec Taylor qui, élu président en 1997, se lance dans un trafic d’armes au profit des rebelles sierra-léonais de Foday Sankoh et Sam Bockarie qu’il échange contre des diamants. Au début des années 2000, la presse américaine soupçonne Ouagadougou d’être la plaque tournante de ce trafic de diamants du sang. Taylor est épinglé par l’ONU et frappé d’une interdiction de voyager. Ce qui ne l’empêche pas de prendre l’avion pour assister début 2003, au sommet de Kleber, la grand messe finale du conclave de Marcoussis, convoquée pour déshabiller l’ivoiren Laurent Gbagbo de l’essentiel de ses pouvoirs. Quelques semaines plus tard, Sam Bockarie, le coupeur de bras « manches longues ou courtes », est liquidé dans l’ouest rebelle ivoirien, sans doute par une opération des forces spéciales françaises. Le début de la fin pour Taylor qui est contraint de quitter le pouvoir en août 2003 avant d’être rattrapé par le tribunal spécial pour la Sierra Leone et condamné, après une longue procédure, à cinquante ans de prison. Compaoré est soupçonné d’avoir alimenté, grâce à l’argent des diamants du sang, des rebellions en Angola et au Congo, mais, lui, passe à travers les gouttes, en s’abritant sous le parapluie de la Françafrique dont il est devenu le serviteur zélé.
Pompier pyromane en Côte d’Ivoire
En août 1994, il a accueilli une vingtaine de barbus algériens embarqués vers Ouagadougou dans un Boeing après avoir été raflés sur ordre de Charles Pasqua en représailles à l’attaque de la résidence consulaire de la France à Alger, qui fit cinq morts, tous Français. Il livre régulièrement, comme la plupart des chefs d’état du pré-carré francophone, des valises à Paris. En petites coupures, pour bien montrer qu’il ne roule pas sur l’or. Dans des djembés, pour faire couleur locale. Et surtout, il va porter haut le képi de gendarme des intérêts français. Dans plusieurs crises régionales, celles du Togo, de Guinée, et enfin du Mali, quand Ouagadougou devient la plate-forme de la lutte anti-terrorisme islamiste avec la présence de centaines de membres des forces spéciales françaises.
Dans l’affaire ivoirienne, il démontre un savoir-faire hors du commun. Le coup d’état manqué du 11 septembre 2002, qui provoquera la partition du pays pendant huit ans, a été fomenté à partir du Burkina Faso. C’est là que quelques dizaines de militaires déserteurs de l’armée ivoirienne, avec Guillaume Soro, actuel président de l’assemblée nationale de son pays, fourbissent leurs armes pendant de longs mois. Ils sont logés dans des villas d’état et possèdent des passeports diplomatiques burkinabés. Si l’attaque est un demi-échec sur le plan militaire, elle va vite se transformer en succès sur le plan mediatiquo-politique. Grâce à un media-planning parfaitement orchestré. Dès l’automne 2002, le visionnaire Blaise Compaoré prédit que Laurent Gbagbo « finira comme Milosevic », c’est à dire devant la CPI.
Pourtant, le président ivoirien, élu en 2000, n’a alors à son actif que quelques descentes musclées dans des bidonvilles de Burkinabés, accusés de collusion avec les rebelles, et n’est pas encore accusé par la CPI des pires crimes contre l’humanité. Il a seulement manifesté l’intention de remettre en cause le monopole de quelques grandes entreprises françaises. Ce qui ne l’a pas empêché de passer à la caisse pour régler quelques frais de campagne de la présidentielle de 2002. Mais Paris n’a déjà plus confiance en ce Gbagbo aussi grande gueule que Compaoré est discret. Pendant huit ans, Blaise va maintenir la pression, via la rébellion qui contrôle le nord ivoirien, sur son voisin du sud. Réussissant le tour de force de se faire introniser médiateur d’une crise qu’il a contribué à créer. Et, poussant à l’extrême de l’art ce rôle de pompier pyromane qu’il a endossé ici et dans d’autres conflits. Gagnant aussi sur tous les tableaux puisque l’argent du cacao ivoirien, des placements immobiliers des rebelles, de trafics en tous genres, vient renflouer les caisses de son pays. Ce qui n’empêche pas les quelques quatre millions de burkinabés exilés en Côte d’Ivoire, employés souvent dans des plantations de cacao, de continuer à vivre dans une extrême pauvreté.
Epilogue ivoirien
Avec, pour conclusion finale en avril 2011, au terme de quelques mois de guerre et grâce à l’action décisive de l’armée française, l’accession au poste de président de la Côte d’Ivoire d’Alassane Ouattara. Compaoré, Ouattara, deux hommes dont les destinées ont commencé à se croiser dans les dernières années du règne d’Houphouët-Boigny. Le vieux président, qui excellait en géopolitique matrimoniale, aurait, comme le raconte Vincent Hugeux dans son livre « Reines d’Afrique », arrangé en 1985 la rencontre entre le « Beau Blaise », prometteur ministre de Sankara, et Chantal Terrasson de Fougères, une belle métisse fille du docteur Jean Terrasson de Fougères, mort à 90 ans en 1999 après avoir occupé différents postes de responsabilité dans le système de santé ivoirien. A la même époque, deux tourtereaux avaient aussi convolé sous le regard attendri du « Vieux »: la blonde Dominique Nouvian, jeune veuve éplorée d’un coopérant français, qui avait commencé à faire fortune en gérant le patrimoine immobilier d’Houphouët, et le non moins prometteur Alassane Ouattara, qui était à l’époque directeur Afrique pour le FMI.
Pour Blaise et Chantal Compaoré, qui ont trouvé refuge à Yamoussoukro, la capitale ivoirienne, c’est donc un retour à la case départ. Le couple burkinabé, dont la fuite a été protégée par l’armée française, loge dans la villa des Hôtes, autrement dénommée Giscardium en souvenir d’une visite de Giscard dans les années 70, au sein d’un vaste complexe présidentiel érigé par Houphouët dans son village natal. Avec à l’entrée, un lac rempli de crocodiles qui dévorent parfois un visiteur imprudent. C’est là que le président déchu va désormais pouvoir méditer sur la vanité du pouvoir.