Après s’être assuré de sa réélection dès le premier tour en mars dernier, le président béninois Patrice Talon a entrepris d’achever la démocratie dans son pays à coups de canif dans les libertés individuelles et collectives ainsi que la condamnation à de lourdes peines de ses adversaires politiques.
Peu de gens s’en souviennent : en décembre 2012, Patrice Talon, actuel président du Bénin a échappé de peu à la détention provisoire en France. Un juge parisien, saisi d’une demande d’extradition par le régime de Yayi Boni, alors chef de l’état, l’avait entendu mais finalement placé sous contrôle judiciaire. L’ancien magnat du coton, qui s’est ostensiblement enrichi grâce à la commande publique, avait alors dû rendre son passeport et pointer régulièrement à la police.
Ce n’est qu’en mai 2014 qu’ont pris fin les ennuis judiciaires de Talon lorsqu’à la suite d’une médiation de l’ancien président sénégalais Abdou Diouf Yayi Boni accepte d’abandonner les charges de tentative d’empoisonnement qui pesaient sur Patrice Talon.
Une carapace de dictateur
Devenu président en 2016, après avoir connu pendant deux ans les affres de l’exil, Talon s’est engagé dans une répression implacable de ses opposants. Un des plus éminents juristes béninois, Joël Aivo, a été condamné dans la nuit de lundi à mardi derniers à 10 ans de prison ferme « pour blanchissement » et « atteinte à la sécurité de l’Etat ». En réalité, il a commis le crime de se présenter contre Talon. T
rois jours tard, Reckya Madougou, figure emblématique de l’opposition, était à son tour condamnée à 20 ans de prison ferme pour « atteinte à la sécurité de l’Etat » par la même Cour de répression des infractions économiques et du terrorisme (CRIET). Elle aussi avait eu le tort de se porter candidate contre à la présidentielle de mars contre Patrice Talon.
En 2018 déjà, l’opposant et homme d’affaires Sébastian Adjavon dit « le roi du poulet », arrivé troisième lors de la présidentielle de 2016, avait été condamné à 20 ans de prison ferme par la même CRIET, devenue finalement une juridiction aux ordres chargée de régler des comptes politiques. Ironie de l’histoire, Adjavon avait soutenu Talon au second tour de la présidentielle pour lui permettre de remporter facilement le scrutin face à l’ancien Premier ministre Lionel Zinsou.
Retrait de la liste des pays sûrs
Pour échapper à son incarcération, Sebastian Adjavon avait dû fuir le Bénin pour se réfugier en France où il a retrouvé l’ancien maire de Cotonou, la capitale économique, Léhady Soglo, parti en exil à la suite des menaces d’arrestation pour « malversations financières », commanditées, selon lui, par la Présidence de la république.
Devant tant de dégradation de l’espace des libertés, l’Office français pour la protection des réfugiés et apatrides (l’OFPRA) a retiré le Bénin de la liste des pays sûrs, ouvrant ainsi la voie à l’attribution du statut de réfugié à de nombreuses personnalités politiques béninoises dans le viseur de Patrice Talon.
Nul ne comprend vraiment les enjeux de cette répression implacable d’opposants politiques. Au terme d’un scrutin sans suspens et d’une campagne électorale à l’Américaine (posters géants, gadgets, déplacements en hélicoptères) qu’il a menée, l’ancien roi du coton a été réélu avec un score soviétique de 86%. Récemment, il a annoncé publiquement qu’il ne briguerait pas de troisième mandat en 2026.
Héritage encombrant
À supposer même qu’il tienne parole et quitte le pouvoir, Patrice Talon ne laissera pas à ses compatriotes le souvenir d’un président attaché à la démocratie. Le rouleau compresseur mis en place par l’ancien magnat du coton n’épargne pas les journalistes qui sont, fait totalement inédit au Bénin, intimidés et parfois même incarcérés comme dans le cas du journaliste Ignace Sassou libéré en juin 2020 après avoir passé six mois de détention.
Et ce n’est pas tout. Le pouvoir béninois avait fait couper internet en avril 2019 en plein scrutin législatif. En 2018, Patrice Talon a fait adopter un code électoral qui impose à chaque parti de déposer une caution de 249 millions de FCFA (environ 380.000 euros) pour présenter une liste au scrutin législatif. Le Bénin se retrouve depuis les législatives d’avril 2019 avec une Assemblée nationale de 83 députés, sans un seul venant des rangs de l’opposition.
En application du nouveau code électoral, aucun des vrais opposants à Talon n’a pu réunir les dix-sept parrainages d’élus (députés ou maires) exigés pour faire valider son dossier de candidature à la dernière présidentielle. Non content de les avoir empêchés de compétir, l’ex-magnat du coton leur réserve désormais une cellule en prison. Quel énorme gâchis pour le Bénin, récemment encore vanté comme vitrine de la démocratie en Afrique subsaharienne.
Bénin: Patrice Talon criminalise ses opposants