Interviewé par le Parisien et le Monde, l’ex DGSE Jean-Marc Gadoullet réclame 1,5 millions d’euros à Areva et Vinci pour son rôle dans la libération des otages au Niger. Un énième coup de théâtre dans cette affaire qui éclaire la concurrence exacerbé que se livrent les sociétés de sécurité au Sahel
Casse-tête indémmélâble, le dossier de la libération des otages enlevés le 16 septembre 2010 sur le site minier d’Arlit au Niger a connu ces dernières semaines un énième rebondissement. En réclamant à Areva et Vinci le versement d’1,5 millions d’euros pour son rôle lors des négociations, l’intermédiaire à la réputation sulfureuse, Jean-Marc Gadoullet, a fait un retour tonitruant dans l’actualité à travers deux interviews accordées au Parisien et au Monde.
Ancien du service action de la DGSE reconverti à la sécurité privée, l’homme mandaté par les services français et Areva suite aux enlèvements de sept employés d’Areva et Satom, filiale de Vinci, au Niger en septembre 2010 était parvenu à négocier la libération de trois d’entre eux avec l’un des principaux chefs d’Aqmi, Abu Zeid, en férier 2011.
Ecarté par la suite, soupçonné d’avoir fait volontairement flamber les prix jusqu’à 12 millions d’euros lors des négociations, Jean-Marc Gadoullet affirme avoir largement préparé le terrain de la libération des quatre autres otages dont le crédit a été attribuée à l’époque à une autre équipe, celle de la « filière nigérienne ». Regroupée autour du président socialiste nigérien Mahamadou Issoufou allié de François Hollande, celle-ci met en cheville plusieurs acteurs en remplacement de Gadoullet, officiellement à partir de juillet 2013. Parmis les principaux intervenants, l’article du Monde mentionne, en vrac, Pierre-Antoine Lorenzi, président de la société de sécurité privée Amarante proche du directeur de cabinet de Jean-Yves Le Drian, Cédric Lewandowski, Mohamed Akotey, conseiller du président nigérien Mahamadou Issoufou, et Limam Chafi, conseiller du président burkinabé Blaise Compaoré.
Le ballet des négociants
Aujourd’hui, Jean-Marc Gadoullet affirme n’avoir reçu aucune rémunération pour son travail effectué lors de la deuxième phase de libération alors même que le contrat qui le liait à Areva et Vinci courait encore. Il réclame son dû. Pourquoi maintenant et pas avant ? Mystère. Quoi qu’il en soit, le retour sur le devant de la scène de ce personnage souvent décrit comme « un intriguant prêt à tout » éclaire l’intensité de la compétition qui règne au Sahel pour le contrôle des marchés de sécurité et du business des otages.
Aussitôt après le rapt de 2010, c’est un véritable ballet des négociants qui prend vie. Basé à Bamako, Jean-Marc Gadoullet assure déjà depuis 2009 la protection des installations de Satom à Alatona au centre du Mali à travers sa société « Global D ». Ses nombreux contacts touaregs lui confèrent une place de choix dans le secteur de la sécurité en plein essor Sahel où Aqmi est installé. L’ex agent de la DGSE nourrit de grandes ambitions. En septembre 2011, il fonde une nouvelle entreprise de plus grande envergure, spécialisée dans les « protocoles de sécurité »: « Opérations et organisations spéciales » (OPOS), enregistrée en Suisse. En proposant ses services à Areva et Vinci pour libérer les employés enlevés, il tente cette fois de mettre un pied dans l’industrie si convoitée des otages. Les deux géants français acceptent ses services. Du côté de la DGSE, Jean-Marc Gadoullet ne fait pas l’unanimité. Il bénéficie d’un appui de taille, celui du numéro deux de la DGSE de l’époque, Bertrand Ract-Madoux, actuel chef d’Etat major des armées, qui lui apporte son soutien tout comme Claude Guéant, ex secrétaire général de l’Elysée très impliqué dans les affaires africaines.
A la même période, d’autres intermédiaires sont dans les strating blocks. Le patron d’Air France, Jean-Cyril Spinetta, également président du conseil de surveillance d’Areva qui gère la mine d’Arlit, ne tarde pas à mettre sur l’affaire son conseiller spécial Guy Delbrel. Ancien journaliste bien en cour dans les milieux politiques africains, sa mission le conduira à prendre langue avec le président burkinabè Blaise Compaoré, homme clé de la sous-région en contact avec de nombreux chefs touaregs. Selon le journal « L’Opinion », Blaise Compaoré aurait finalement conseillé à Delbrel de s’adresser directement au président malien Amadou Toumani Touré. Au pouvoir pendant près de dix ans, ce dernier a toujours pris soin de ménager ses relais au nord Mali, lui permettant ainsi de garder en partie le contrôle sur les trafics de stupéfiants. Peine perdue pour Guy Delbrel, Jean-Marc Gadoulet se révèle un adversaire redoutable. Fort du soutien des services français et d’une collaboration rapprochée avec Mami Coulibaly, le chef des renseignements maliens, l’ancien du service action prend l’avantage.
Dans cette bataille sécuritaire à couteaux tirés, un autre personnage haut en couleur tente de jouer sa carte. Dans le livre « Mort pour la françafrique », Robert Dulas, expert du renseignement en Afrique francophone fait le récit de sa rencontre avec le directeur de la protection du groupe Areva Jean-Michel Chéreau. A l’époque, il lui propose de mettre la société militaire privée Secopex dont il est le vice-président au service de la négociation des otages. Sans résultat. « Malgré la qualité de nos informations sur les ravisseurs des sept ingénieurs d’Areva le 16 sptembre à Arlit (…), nos offres de services ne déboucheront sur rien ». Jean-Marc Gadoullet, qui entretient des liens privilégiés avec Jean-Michel Chéreau, s’impose négociateur en chef.
Montée des enchères
Le déroulement des négociations qui ont suivi reste incertain. « Gadoullet a manifestement demandé à s’entretenir seul avec Abou Zeïd, peut-être pour faire monter les prix. On parle de 12 millions d’euros » explique une source diplomatique. Un montant record qui provoque l’ire d’ATT. La libération des trois otages a bel et bien lieu en février 2011. Fort de ce résultat, Gadoullet poursuit sa conquête des marchés de sécurité. En avril 2011, il tente de convaincre la junte nigérienne où il a ses entrées de créer une « société de sécurité militarisée » (SMP) dénommée « Phénix », capable de vendre ses services dans l’ensemble de la région. A l’époque, les SMP sont à la mode en Afrique de l’Ouest. L’élection de Mahamadou Issoufou à la présidence du Niger en avril 2011 prive Gadoullet de ses principaux relais avec le pouvoir. Méfiant envers l’installation d’une structure militaire française de grande ampleur sur le sol nigérien, le nouveau régime fait avorter le projet.
Qu’à cela ne tienne, l’instabilité croissante qui mine la région ne cesse de créer de nouvelles opportunités. En novembre 2012, lorsqu’Areva lance un appel d’offre pour renouveler son contrat de sécurité assurée jusqu’alors par la société « Epée » de l’ex légionnaire Jacques Hogard, l’entreprise de Gadoullet candidate aux côtés d’Amarante, Control Risk, Eris, Géos, Opos, Risk & Co et Scutum Security First. A nouveau, la proximité de l’ancien DGSE avec Jean-Michel Chéreau lui donne une longueur d’avance. « A l’époque, nous soupçonnions Gadoullet et Chéreau d’avoir conclu un deal. De plus, l’Elysée redoutait la stratégie de la compagnie anglaise Control Risk. L’éxécutif a donc demandé directement à Areva de geler l’appel d’offre » se souvient un diplomate.
L’étrange rôle d’Amarante
La deuxième vague de libération des otages portera un coup de grâce aux activités de Gadoullet dans cette zone. Affaibli après avoir reçu une balle dans l’épaule alors qu’il se rendait au nord Mali en novembre 2011, il est définitivement mis hors jeu après l’arrivée de Hollande au pouvoir. A partir de mai 2013, ce dernier remet le dossier des otages aux mains de la « filière nigérienne » dont le principale cheville ouvrière est le touareg Mohamed Akotey, président du conseil d’administration de la filiale d’Areva au Niger, Imouranen SA depuis 2009 et conseiller du président Issoufou avec lequel Paris a noué un partenariat solide au Sahel.
Là encore, les intérêts commerciaux entrent en compte. La société privé Amarante tente de s’imposer dans la négociation via ses entrées au ministère de la Défense. Le directeur d’Amarante, Pierre-Antoine Lorenzi, est en effet proche du directeur de cabinet de Jean-Yves Le Drian, Cédric Lewandoski qui voit régulièrement défiler dans ses bureaux les plus grandes personnalités africaines. Une querelle éclate avec la DGSE qui s’oppose aux méthodes et à la doctrine prônée par Amarante notamment au sujet des rançons.
A l’époque, la presse présente la société privée comme un acteur essentiel dans la négociation. Son rôle exact demeure pourtant très incertain. « Amarante a beaucoup communiqué autour de son action dans la libération des otages d’Arlit pour tenter de s’imposer sur le marché de la sécurité au Sahel. Mais en réalité, ils n’ont fourni aucun contact que les nigériens où la DGSE ne possédaient déjà. Le seul rôle que cette société a possiblement joué à fond c’est celui d’intermédiaire pour le versement de l’argent de la rançon » confie une source diplomatique. Mais sur un marché aussi concurrentiel, faire parler c’est exister.