L’enquête judiciaire sur la vente de la société Uramin au géant français du nucléaire Areva pour 1,8 milliards d’euros ouvre une irradiante boîte de Pandore en Centrafrique. D’étranges tractations sont évoquées entre l’ex-président centrafricain François Bozizé et plusieurs intermédiaires dont le député-maire UMP de Levallois-Perret, Patrick Balkany.
A rebours, l’histoire semble un peu trop grosse. Énorme. Entre les deux tours de l’élection présidentielle de 2007, le géant du nucléaire français Areva casse sa tire-lire pour acheter une start-up de droits miniers. Uramin, société canadienne domiciliée dans les îles vierges britanniques possède en effet, sur le papier, les droits d’exploitation de gisements très prometteurs en Namibie, en Afrique du Sud et en Centrafrique.
Achat précipité
Qu’importe alors les réticences d’experts mandatés pour analyser les gisements supposés contrôlés par la société, le cours de l’uranium est à la hausse, le yellow cake s’arrache et il convient d’acheter vite. Par peur de manquer. La vente est actée pour 1,8 milliards d’euros, les actions levées à 21% au dessus de leur cours normal. «L’urgence invoquée cache pourtant mal sa ressemblance avec les méthodes de marketing en usage dans la grande distribution à l’occasion des ventes flash de fruits et légumes», résument les députés Marc Goua et Camille de Rocca Serra dans leur rapport d’information déposé le 7 mars 2012 à l’Assemblée nationale. Les tatillons parlementaires notent en effet que si «Uramin apparaît fin 2006 comme une cible pertinente» quelques oublis dans le processus de décision d’achat émaillent la procédure. Notamment les documents transmis à l’Agence de Participation de l’Etat, actionnaire d’Areva.
Irradiante mariée
«L’Agence n’aurait pas eu communication d’une synthèse critique des experts miniers de l’entreprise faisant état de quelques alertes quant aux incertitudes que les configurations particulières des sites faisaient peser sur l’évaluation de leurs réserves, comme sur les coûts de revient de leur mise en exploitation. Les rapporteurs ont eu à connaître ce document, ainsi qu’une version allégée de cette synthèse. Ils ont pu constater des décalages sensibles entre les deux présentations avec la suppression de certaines informations ou commentaires un peu réservés (77), alors que les points positifs sont intégralement préservés, voire mis en avant. Les écarts sont plus marqués encore avec les présentations succinctes qui ont été faites aux organes sociaux de l’entreprise.» Bref la mariée était si belle que ses petits défauts n’ont pas été évoqués…avant que le cours de l’Uranium ne chute, les gisements se révèlent difficiles à exploiter et la valeur d’Uramin d’être déprécié d’1,5 milliards d’euros fin 2011 dans les comptes d’Areva.
Si les élus n’ont rien trouvé de frauduleux dans ces errances, la Cour des comptes, comme l’a révélé Le Monde, a transmis à la justice un signalement aux fins d’enquête pour «présentation ou publication de comptes inexacts ou infidèles », « diffusion d’informations fausses ou trompeuses », « faux et usage de faux ». Les investigations portent sur la période 2007-2011, soit les dernières années de la décennie de la présidence d’Anne Lauvergeon. Une période agitée durant laquelle « Atomic Anne » a du affronter la gourmandise d’Henri Proglio, président de Veolia devenu patron d’EDF. Soutenu par l’Elysée, notamment Claude Guéant, Proglio s’est longtemps rêvé boss du nucléaire français. Surtout, les enquêteurs pourront sans doute enfin dénouer l’imbroglio Uramin en Centrafrique.
Les grosses parts du Yellow cake
Comme l’a narré Bakchich, le pouvoir de Bangui, alors concentré entre les mains du général putschiste François Bozizé, renversé début 2013 a longtemps freiné avant d’octroyer à Areva et Uramin les droits d’exploitation des gisements de Bakouma. En effet, la Centrafrique n’avait cédé les droits qu’à Uramin avant son rachat par Areva et dans des conditions étranges, en 2006. « Conformément aux termes de l’accord minier, Uramin créé une société de droit centrafricain sous le nom de « Centrafrique Uramin SA ». Selon les termes de l’accord d’exploitation minière, l’Etat a le droit de détenir 20% du capital d’Uramin Centrafrique SA. Toutefois, l’État a cédé 10% du capital en échange d’un montant égal à US $ 20.000.000, conformément à un accord mutuel», mentionne, dans un rapport d’audit, la société austalienne AMC. «On peut s’interroger sur la destination finale de ces 20 millions», fulmine un conseiller de la nouvelle présidence centrafricaine, qui craint que le magot détourné ne finance l’exil de Bozizé, renversé début 2013. Et d’éventuels chiens de guerre.
Les facilitateurs d’Areva
Ce n’est pas la seule piste évoquée.
En 2008, pour mettre fin aux réticences de Bozizé, Anne Lauvergeon a en effet fait appel à d’irradiants intermédiaires afin de trouver un arrangement. Et récupérer les droits d’exploitations d’Uramin. Au rang des négociateurs sont ainsi apparus Patrick Balkany, se découvrant une passion africaine, Fabien Singaye ou encore Georges Forrest. Ex-diplomate rwandais fidèle à la famille Habyarimana, l’ami Fabien était alors conseiller sécurité de Bozizé et ne manquait pas de déjeuner, sitôt qu’il passait à Paris avec Anne. Longtemps consul honoraire de France au Katanga, Georges Forrest a bâti son immense fortune dans le secteur minier. Son nom émarge même officiellement au bas d’un document exhumé par Bakchich. Un protocole d’accord entre la République de Centrafrique, Areva, sa filiale Uramin alors représenté par Sébastien de Montessus et Henri de Dinechin. Au menu de l’accord, un chèque immédiat de dix millions d’euros pour la Centrafrique et 50 millions d’avances payables de 2008 à 2012 mais remboursables entre 2013 et 2017.
Bien du grisbi, que les caisses centrafricaines n’ont semble-t-il pas vu. Ni Bozizé pris?
PAR XAVIER MONNIER
Cet article a été initialement publié dans Bakchich.info