Tchad, une Présidentielle fraudée, un gouvernement aux ordres

 La signature, le 27 mai dernier par le président tchadien Mahamat Idriss Deby Itno (MIDI)du décret portant composition du gouvernement de Allah-Maye Halina n’a suscité aucune surprise.

Clara Tine

Après avoir été désigné président de la transition à la mort de son père le maréchal Idriss Déby le 21 avril 2021, le nouveau président élu avec 61% des suffrages exprimés n’a pas reconduit l’ancien Premier ministre, Succès Masra, démissionnaire après sa défaite à la présidentielle du 6 mai, qui a décidé de prendre sa revanche aux prochaines législatives. C’est un homme du sérail, ambassadeur en Chine depuis janvier 2023, qui devient le nouveau chef du gouvernement tchadien: « Plus qu’une mission, il s’agit pour nous d’un sacerdoce au sens premier du terme». Vaste programme !

Ce natif de Gounou-Gaya, dans le sud-ouest du Tchad, a été formaté par le régime. Il avait servi Deby père en tant que Directeur général du protocole d’État à la présidence pendant treize ans.

A en juger par la composition de la nouvelle équipe gouvernementale, il ne faut donc pas s’attendre à de grands remous. Formé de 27 membres, soit 15 de moins que le précédent, ce gouvernement restreint reconduit, dans sa grande majorité, l’équipe sortante et, notamment, Limane Mahamat, qui reste ministre d’État, ministre de l’Administration du territoire, Tom Erdimi qui demeure ministre d’État, ministre de l’Enseignement supérieur ou encore Abdemadjid Abderahim qui garde le portefeuille de la Santé. L’ancien chef de la diplomatie Mahamat Saleh Annadif, pour sa part, cède sa place à Abderaman Koulamallah qui occupe désormais le poste de ministre d’État, ministre des Affaires étrangères, porte-parole du gouvernement.

Le président élu devrait maintenant être en mesure de tenir toutes les promesses qu’il a faites lors de son discours d’investiture. Mais dans un tel système de trente-cinq ans de gouvernance dynastique, la question sur les véritables ambitions pour le Tchad au sommet de l’Etat demeure. Sa gestion de la période de transition pendant trois ans montre le peu d’effort qu’il a consenti jusqu’ici dans les secteurs sociaux, restés en grande souffrance au Tchad.

Tout aussi grave, l’enrichissement illicite de l’entourage n’a pas été freiné. « Les Tchadiens ont, donc, toutes les raisons de craindre que les années du fils MIDI ne s’inscrivent dans la dynamique des années du père IDI », martèle l’économiste tchadien Jean Martin Leoba Dourandji. La proximité avec la famille Deby neutralise toute velléité de renouveau.

Cinquième économie de la CEMAC avec un PIB estimé à 11 Mds EUR en 2022 (11,3 % du PIB total), le Tchad possède l’un des indices de développement humain parmi les plus faibles au monde (187 sur 189)

Le chemin à parcourir est encore très long.

LES DOSSIERS PRIORITAIRES DU TCHAD SELON L’ÉCONOMISTE JEAN MARTIN LEOBA DOURANDJI

JEAN MARTIN LEOBA DOURANDJI, économiste diplômé des universités Adam Barka d’Abéché (Tchad) et de Yaoundé II (Cameroun).

Emploi des jeunes

La question de l’emploi constitue un motif important de colère desTchadiens face à leur gouvernement. Recrutements insuffisants à la fonction publique,entreprises peu nombreuses, les autorités doivent se pencher rieusement sur cette question.A cet égard, il est attendu des mesures concrètes. Si le candidat Succès Masra a beaucoupmobilisé durant la campagne, c’est parce qu’il a fait la promesse d’une vie meilleure à lajeunesse notamment en termes d’emploi. Il est aujourd’hui nécessaire que les autoritésreprennent ce thème et répondre aux aspirations des jeunes. A la fois pour des raisonspolitiques et économiques, car MIDI est, aujourd’hui, le président « élu de tous lesTchadiens. » De surcroit, la participation des jeunes aux activités économiques contribuera àbooster l’économie nationale puisqu’ils sont majoritaires dans le pays.

Eau et électricité

 Au Tchad la disponibilité de l’eau et l’électricité est insuffisante aussi bien en quantité qu’en qualité. Leurs taux d’accès demeurent scandaleusement bas. Pourtant l’électricité est un facteur déterminant du développement économique car il est essentiel à l’industrialisation, au développement technologique. Par conséquent, c’est un facteur explicatif significatif du développement. Quant à l’eau potable, elle est essentielle pour éviter les maladies hydriques. A peine 55% des Tchadiens ont accès à l’eau.

Que ce soit les ménages ou les entreprises, les Tchadiens souffrent énormément pendant la période des grosses chaleurs où les capacités de production de la société nationale d’électricité se réduisent considérablement. Le candidat MIDI a fait l’irréaliste promesse d’afficher le taux d’accès à l’électricité à 100% d’ici la fin de son quinquennat.

Quoi qu’il en soit, le développement de ces secteurs est prioritaire. Le déficit électrique du Tchad rend davantage le climat d’affaires morose dans le pays. Au cours de ce quinquennat, MIDI aura le défi de relever les niveaux d’accès des Tchadiens à ces deux ressources à travers la finalisation et la concrétisation de l’interconnexion électrique avec le Cameroun. Les nombreux projets bilatéraux et multilatéraux annoncés et qui s’appuient essentiellement sur le solaire et le photovoltaïque devront également être concrétisés. Le Tchad a un taux d’accès à l’électricité de 11% inférieur à la moyenne en Afrique subsaharienne qui est de 48%.

Diversification économique: l’économie tchadienne est fortement dépendante du pétrole. Ce qui la met en situation de tension en cas de crise sur le marché international. C’est le cas déjà entre 2014 et 2017. Le Tchad est un grand pays d’élevage et d’agriculture. Il y a aussi des ressources naturelles importantes inexploitées ou exploitées en dehors du cadre légal.  Le gouvernement doit renforcer le tissu industriel local et surtout présenter une meilleure offre de la destination Tchad aux investisseurs étrangers.

Il est aussi attendu que MIDI enclenche enfin le développement du Tchad longtemps ajournéau motif du manque des ressources financières ou d’instabilité politique ou même d’une absence affichée de vision des dirigeants tchadiens. Ici, il est attendu de MIDI la réalisation des projets sociaux ambitieux avec un impact mesurable sur le niveau de vie des populations. Ceci permettra surtout, au-delà d’un meilleur positionnement dans les classements socio-économiques, l’amélioration des conditions de vie des Tchadiens. Plutôt à l’aise sur les questions de sécurité et défense, MIDI, s’il réussit ce pari, gagnera là où tous ses prédécesseurs ont échoué.

Bonne gouvernance: au cours de son quinquennat, MIDI devra encourager la bonne gouvernance politique et économique. Lutter contre la délinquance financière et éviter la gestion informelle des cas de détournement, comme les scandales à la Société des Hydrocarbures du Tchad (SHT) qui ont émaillé sa première mandature, vont devoir être mieux traités. De nombreuses personnalités sont passées par la case prison pour motif de détournement. Mais, aujourd’hui, elles sont promues. Le ministère de la Bonne gouvernance a été supprimé il y a longtemps, de même que l’inspection générale d’État. Les opérations anti-corruption de type « Cobra » sous Deby père n’ont pas produit des résultats.

Le crime économique dans un pays comme le Tchad, dépendant de l’aide financière internationale, doit être sévèrement puni. Pour cela, MIDI va devoir lever les obstacles nombreux qui se dressent à la mise en place de la bonne gouvernance. Il s’agit, par exemple,des capacités limitées des institutions nationales ou encore de l’immixtion des réseaux informels (lobbies) dans la passation des marchés ou, plus largement, dans la gestion des affaires du pays. L’Autorité anti-corruption, récemment créée, doit être garantie de son indépendance. Avec un indice de perception de corruption de 19 sur 100 en 2022, selon le classement de Transparency International, le Tchad arrive à la 167ème place sur 180 pays.

Gestion du conflit au Soudan: le Tchad et le Soudan sont des pays frères. De part et d’autre de la frontière, des communautés vivent à cheval entre les deux pays. Au lendemain du 15 avril 2023, date marquant le déclenchement de la guerre au Soudan, des milliers de Soudanais ont franchi la frontière pour trouver refuge au Tchad. Ils se sont ajoutés à ceux déjà établislors de la précédente guerre du Darfour. Cet afflux massif impacte le fragile équilibre de l’est tchadien.

Si les Tchadiens ont reçu plusieurs fois les dirigeants soudanais, les généraux Al-Bourhan et Hemetti à N’Djamena, avant l’éclatement de la crise, aujourd’hui la confiance est rompue. Khartoum accuse N’Djamena de soutien à ses rivaux des Forces de Soutien Rapide (FSR) dirigées par le général Hemetti. En raison des liens importants entre les deux pays, un débordement de la crise au Tchad est à craindre surtout qu’en 2003, avec le conflit au Darfour, des groupes armés tchadiens en ont profité pour s’y installer et mener la lutte armée, manquant de renverser le président de l’époque, Idriss Deby Itno (IDI). Or, la crise soudanaise en cours, notamment au Darfour, présente des similitudes avec celle de 2003.

S’il veut éviter de replonger le pays dans la guerre, MIDI devra consacrer son quinquennat à la gestion de la crise soudanaise et à ses conséquences.