Site icon Mondafrique

Algérie, les secrets de l’alliance forcée entre Tebboune et Chengriha 

Condamnés à s’entendre pour ne pas sombrer, le président algérien, Abdelmadjid Tebboune, et le chef d’état major, Said Chengriha, tous deux âgés de 76 ans, ont conclu une alliance secrète.
 
 
Pour le meilleur et surtout le pire, les deux hommes sont en ce moment les deux visages du nouveau régime algérien. Le Premier est Président de la République. Le deuxième est Chef d’Etat Major de l’Armée algérienne. Ensemble, ils tentent de guider l’Algérie dans sa nouvelle ère post-Bouteflika. Une nouvelle période qui commence mal, très mal, en raison des bouleversements géopolitiques, économiques et sanitaires qui semultiplient depuis le début de la pandémie de la COVID-19.
 
Entre les deux hommes, tout a commencé après le décès brutal, brusque et inattendu d’Ahmed Gaid Salah, le puissant Chef d’Etat-Major de l’armée algérienne, l’homme qui a régné sur l’institution militaire algérienne  d’une main de fer de 2004, date de sa nomination,  jusqu’à sa mort en décembre 2019.  Said Chengriha accède au poste de Chef d’Etat-Major, mais il restera pendant pas moins de six mois un Chef d’Etat-Major intérimaire qui ne sera confirmé dans ses fonctions que le 3 juillet 2020 date à laquelle il a été promu Général de Corps d’Armée. D’où une immense méfiance entre Tebboune et Chengriha. Et au début, rien ne prédestinait les deux hommes à devenir des alliés. 

Cruel tour du destin.

 
Tebboune se méfiait de Chengriha. Apeuré, craintif, le Président algérien est arrivé au pouvoir grâce à son mentor et parrain Ahmed Gaid Salah, l’ancein chef d’état major qui assurait la transition après le départ de Bouteflika. Or, l’homme qui l’a fait président de la République contre vents et marées, au moment où le peuple algérien était dans les rues pour rejeter le scrutin présidentiel du 12 décembre 2019, est mort subitement une semaine à peine après la tenue des élections présidentielles.  
 
Lors de la désignation de Said Chengriha à la tête de l’armée algérienne, Tebboune s’était entretenu avec le général le plus âgé et le plus gradé de l’armée algérienne, le  Général d’Armée, Ben Ali Ben Ali, le chef de la Garde Républicaine. Ben Ali Ben Ali avait rassuré Tebboune en lui promettant que Chengriha va garantir la protection de l’ordre constitutionnel et la stabilité du pays.  Tebboune acquiesce, mais il reste méfiant.
 
 
 
 
Il rencontre à plusieurs reprises Chengriha, mais refuse toujours de le confirmer dans ses fonctions en attendant de disposer de toutes les garanties de sa loyauté. Pendant de longues semaines, Tebboune fait même des démarches inédites auprès de l’armée. Il appelle personnellement plusieurs chefs de départements et des directeurs centraux du ministère de la Défense nationale pour prendre des nouvelles de la sécurité nationale. Il organise régulièrement des rencontres dans le cadre du Haut Conseil de Sécurité. Pour marquer son territoire et imposer son influence sur la nouvelle institution militaire, Abdelmadjid Tebboune impose aux réunions du Haut Conseil de Sécurité ses conseillers les plus proches comme l’influent Boualem Boualem, son oreille attentive au Palais présidentiel d’El-Mouradia. C’est du jamais. Même Abdelaziz Bouteflika ne faisait pas de tels choix face à l’institution militaire.
 

Chengriha, l' »intérimaire » 

 
Le malaise va régner des semaines entières. Et Chengriha tente de maîtriser un Tebboune méfiant, sur ses gardes, et très hésitant qui refuse toujours de le confirmer dans ses fonctions. C’est à ce moment-là que le conseiller Abdelaziz Medjahed, ex-général de l’armée, est intervenu pour faire l’intermédiaire entre les deux hommes et instaurer la confiance. Mieux encore, Abdelaziz Medjahed a convaincu Tebboune de miser sur Chengriha pour éliminer les généraux qui ont comploté dans l’ombre du défunt Ahmed Gaid Salah contre son arrivée au Palais présidentiel d’El-Mouradia. 
 
Le principal ciblé fut le général Wassini Bouazza, l’influent ex-patron de la Direction Générale de la Sécurité Intérieure (DGSI), la principale branche des services secrets algériens. C’est lui qui fut l’artisan de la campagne électorale d’Azzedine Mihoubi, ex-ministre de la Culture, et candidat du RND aux élections du 12 décembre 2019. C’est Wassini Bouazza qui fut le cerveau de tous les déboires de Tebboune lors de sa conquête du Palais Présidentiel d’El-Mouradia. 

Coup de théâtre.

 
Chengriha passe à l’attaque et
appuie sur son homme de confiance au sein de l’armée :  le général Sid Ali Ould Zemirli, patron de la Direction Centrale de la Sécurité de l’Armée (DCSA), le service de renseignement interne au sein de l’armée. Ould Zemirli déclenche des enquêtes, perquisitionne les locaux de la DGSI et trouve même tous les éléments justifiant l’arrestation à la mi-avril 2020.  Ce fait d’armes permettra la naissance de l’alliance Chengriha-Tebboune. Dans sa quête de légitimité, Tebboune a besoin de protéger ses « arrières » et de s’assurer la loyauté de l’armée pour éviter de finir destitué comme un certain Abdelaziz Bouteflika en avril 2019. 
 
Et pour ce faire, il doit composer avec une nouvelle génération d’officiers supérieurs, tourner la page Gaid Salah et construire une nouvelle Institution militaire. Grâce à Abdelaziz Medjahed, Tebboune et Chengriha ont joint leurs efforts pour dessiner « une nouvelle Algérie »

Laborieux compromis

 
Chengriha confectionne des listes de nouveaux généraux et fait des propositions. Tebboune prend son temps et valide une partie en laissant toujours d’anciens officiers « Gaidistes » pour empêcher une domination outrageante du clan Chengriha. Le plus brillant et puissant des représentants du clan Gaid Salah finit par mourrir des suites d’une infection au COVID-19. C’est le général-major Hassan Alaimia, Commandant de la 4e Région militaire, qui est décédé à la veille du 5 juillet 2020. Comme par hasard, deux jours plutôt, Chengriha a été officiellement confirmé dans ses fonctions. 
 
Il devient Chef d’Etat-Major, mais il ne sera pas le seul homme fort de l’armée algérienne. Tebboune fait un dernier deal avec Chengriha : en échange de sa promotion et de sa confirmation officielle dans ses fonctions, il doit accepter de composer avec quelques officiers et anciens fidèles d’Ahmed Gaid Salah. Il s’agit du secrétaire général du ministère de la Défense Nationale, le général-major Abdelhamid Ghriss qui reste au pouvoir, le général-major Amar Amrani des forces de défense anti-aériennes, le commandant des forces aériennes, le général major Mahmoud Laraba,  sans oublier le vieux roublard Benali Benali qui ne prendra pas sa retraite en 2020 comme il était prévu puisqu’il est resté en poste à la demande de Tebboune toujours dans ce souci d’équilibriste entre les anciens serviteurs du défunt Gaid Salah et les partisans du nouveau chef Said Chengriha. 

Wassini Bouazza sacrifié

 
Chengriha a pu obtenir tout de même la tête de Wassini Bouazza, le général Nabil Benazzouz, l’ex-patron de la DCSA sous l’ère Gaid Salah, Amar Boussis, le directeur central de la justice militaire, et le général-major Abderrahmane Arrar, l’ex-patron de la gendarmerie nationale. La DCSA et la gendarmerie nationale, deux instituions militaires sensibles et stratégiques, dirigées par des hommes qui lui sont fidèles, Chengriha s’offre une belle récompense et devient un Chef respecté alors qu’il a hérité d’une situation totalement explosive à la suite du décès d’Ahmed Gaid Salah. 
 
L’axe Tebboune-Chengriha a fini par fonctionner pour redresser le régime algérien et lui assurer une survie… provisoire. Oui provisoire et temporaire car Tebboune est infecté par la COVID-19 dés le 15 octobre 2020. Le long feuilleton de sa maladie à l’étranger va commencer pour rappeler le souvenir douloureux d’un certain Abdelaziz Bouteflika. Tebboune absent, Chengriha veille sur la stabilité constitutionnelle et assure le maintien de Tebboune. En l’absence du Hirak, le règne de Tebboune a pu encore faire illusion. Pour combien de temps?
L’année 2021 commence mal sur tous les plans en Algérie et l’alliance Tebboune-Chengriha sera bientôt testée par les futures contestations qui risquent de voir le jour dans les semaines, voire jour à venir…  
Quitter la version mobile