La justice mobilisée par un coup de fil est toujours à l’œuvre en Algérie contre les milliardaires et les politiques proches du clan Bouteflika qui sont, ces derniers jours, traduits en justice. Une chronique de Mohand Tamgout.
L’évolution de la situation en Algérie prend une tournure judiciaire inquiétante laissant dramatiquement de coté la nature éminemment politique de la transition actuelle. Seule différence avec le régime passé d’Abdelaziz Bouteflika, les magistrats ne reçoivent plus d’ordre du Palais de Zéralda, où naguère tronait Said Bouteflika, le frère de l’ancien chef de l’état, mais des Tagarrins, fief des hauts gradés de l’armée.
A Alger, a sonné l’heure de la purge. Hommes d’affaires, militaires ou politiques, tous ou presque ont mis les doigts dans le pot de confiture, tous sont potentiellement visés.
La liste des poursuites lancées ces derniers jours est impressionnante: l’ancien premier ministre Ahmed Ouyahia et un ministre du finance Mohamed Loukai, l’arrestation du milliardaire Issad Rabrab, proche de l’x DRS (services algériens), ainsi que la convocation de Reda Kouninef, l’oligarque préféré du clan Bouteflika; le mandat de dépôt contre l’ancien chef de la 2ème région militaire, le général Said Bey et le mandat d’arrêt de l’ancien chef de la 1ère région militaire, le général Chentouf.
Une inquisition sélective
Les cibles visées, à la périphérie du pouvoir, ne sont pas les vrais parrains du système de corruption mis en oeuvre en Algérie. Au coeur du réacteur, se trouvaient en effet le général Toufik, l’ancien chef tout puissant DRS, du nom des services algériens, et Said Bouteflika, le principal ordonnateur du système de pillage.
Pour Gaid Salah, il s’agit de mettre en oeuvre un système de pourrissement qui ébranle le socle des pouvoirs anciens. Ce militaire qui ne raisonne qu’en termes de rapports de force procède par étapes. Aujourd’hui, la justice instrumentalisée par ses soins s’en prend aux seconds couteaux qui n’ont guère de soutiens internationaux à l’étranger et pas d’avantage de clientèles en interne. Demain, n’en doutons pas, le chef d’état major attaquera le coeur de l’ancien pouvoir qui, lui, bénéficie notamment de protections internationales, qu’il s’agisse notamment des Emiratis ou des Français.
Le flou juridique
Lors de son discours à Ouargla le 16 avril, Gaid Salah a présenté un vaste plan anti corruption en véritable chef de gouvernement qu’il n’est pas. Un premier trompe l’oeil. « Nous attendons, a-t-il déclaré, à ce que les instances judiciaires concernées accélèrent la cadence du traitement des différents dossiers concernant certaines personnes ayant bénéficié indûment de crédits estimés à des milliers de milliards, causant préjudice au Trésor public et dilapidant l’argent du peuple».
De justice, il n’est évidemment pas question dans ces mises en garde. Ne serait ce que parceque les instances judiciaires sont désignées arbitrairement par le pouvoir militaire. Les procédures contre les oligarques Rebrab et Kouninef sont ainsi confiées à la gendarmerie qui dépend étroitement de l’armée. En revanche, les actions contre les hommes politiques, comme l’ancien Premier ministre Mohamed Ouyahya, sont diligentées par le tribunal civil. Pourquoi de telles différences de traitement?
Remarquons que d’autres milliardaires, tout aussi affairistes, ne sont nullement inquiétés. Il s’agit notamment de l’homme d’affaires Bahaeddine Tliba, lié notamment au fils de Gaïd Salah. Certains députés du FLN et corrompus notoires sont également épargnés pour être « recyclés » sans doute dans de nouvelles configurations politiques.
Un plan orchestré
Ce qui est clair, c’est que l’état major s’impose à travers l’activation de l’appareil judiciaire. Savamment orchestré, le plan répond à un double objectif.
Premier objectif, ll s’agit d’affaiblir les autres clans qui se disputent le pouvoir aujourd’hui en Algérie.Le but de Gaïd Salah est de rester seuls en lice lorsqu’il s’agira de choisir le meilleur des successeurs dans une compétition qui sera nécessairement encadrée par l’institution militaire.
Deuxième objectif, l’armée cherche à jeter quelques tètes en pâture à la vindicte populaire qui s’exprime massivement chaque vendredi. La transition démocratique telle que l’exige la pression populaire peut et doit encore attendre, selon les militaires. Pour l’instant, l’état major cherche à assainir les institutions algériennes, mais sous sa férule.
Le peuple algérien assiste, impuissant, au spectacle judiciaire. Conscient du jeu de dupes du chef d’orchestre du moment, Gaid Salah, les manifestants, vendredi prochain, pourraient bien être tentés d’accélérer le cours de l’Histoire. On les verra sans doute bousculer le plan de l’Etat major et demander des poursuites contre les vrais responsables de l’ancien régime. A savoir Said Bouteflika et le Général Toufik. Et pour Haute Trahison. Place, selon eux, à un processus révolutionnaire.
Vers l’état de droit?
On ne peut rendre réellement la justice dans le cadre d’un système qui a toujours fait preuve de sa domestication. Il est préférable d’accélérer la phase transitionnelle et d’imposer un état de droit dans lequel la justice opèrera en toute indépendance. On doit espérer qu’alors l’instrumentalisation de la magistrature prendra fin et que tout prévenu fera valoir ses droits.
La force ne sera jamais créatrice de droit