Algérie : guerre judiciaire ouverte entre la Présidence et l’ex DRS

C’est au moment où le président Bouteflika est de nouveau hospitalisé en France que le général Toufik, fraichement débarqué de son inamovible poste de patron des services secrets militaires, s’exprime publiquement pour la première fois de sa carrière.

Dans une lettre adressée à la presse, le tout puissant ex-chef du DRS, Département renseignements et sécurité, promu général-major par le président Bouteflika lui-même, prend officiellement et en son nom la défense de son bras droit, le général Hassan, en charge de la lutte antiterroriste et qui vient d’être condamné à 5 ans de prison ferme pour « destruction de documents » et « non-respect des consignes », dans une affaire opaque qui a été jugée avec une rapidité déconcertante.

L’extinction des dinosaures

En fonction depuis 25 ans, le général Toufik détient encore un record, celui du haut-gradé qui est resté le plus longtemps à ses fonctions de patron des Services exercées sous la présidence de pas moins de cinq chefs d’État. De son vrai nom Mohamed Mediène, il aura donc pris fait et cause pour un condamné, le général Hassan, de son vrai nom Abdelkader Aït Ouarab, défendu par un avocat civil de renom, Mokrane Aït Larbi, dont c’est le vrai nom. Le célèbre avocat, ancien militant politique, défenseur des droits de l’homme et proche de l’opposition démocratique, tout en précisant qu’il « n’est pas l’attaché de presse de son client ni un informateur de journalistes », a dénoncé les vices de formes dans le procès du général et même accusé le tribunal d’avoir, pour charger son client, « convoqué un grand trafiquant qui fait l’objet de plusieurs mandats d’arrêt et un officier mis en retraite par l’accusé pour des raisons que je ne veux pas évoquer. »

Réputé pour son intégrité et la pertinence de ses analyses politiques, Mokrane Aït Larbi, qui a été le seul Sénateur de l’histoire à avoir démissionné suite à la répression qui s’était abattue sur la Kabylie en 2001, avait d’ailleurs demandé au tribunal militaire lors du procès du général Hassan de convoquer le général Toufik comme témoin, étant le supérieur hiérarchique de son client, ce qui lui a été refusé.

Le plus vieux soldat du monde

Autre général, Ahmed Gaïd Salah détient, lui aussi, un record, celui du soldat en activité le plus vieux au monde, cumulant les fonctions de chef d’état-major et de vice-ministre de la défense à l’âge de 75 ans, soit encore plus vieux que le président Bouteflika lui-même.

Allié du clan présidentiel, il aurait été au cœur de l’affaire du général Hassan, en conflit personnel avec lui selon des sources militaires, même si quelques années auparavant, il l’avait lui-même cité à l’ordre de l’Armée, prestigieuse distinction. Décrit comme le procès du DRS, celui du général Hassan n’est donc que la conclusion provisoire d’une opération plus large, le démantèlement du DRS et la reprise de ses prérogatives par l’état-major, longtemps soumis à l’impunité des Services secrets qui ne rendaient de compte à personne. Avec l’appui du président, le général a mis des dizaines de hauts cadres et généraux du DRS à la retraite et des casernes entières appartenant aux Services ont été démantelées, tandis que les effectifs ont été éparpillés et reconvertis ailleurs, avec un effet, positif ou négatif, sur la lutte antiterroriste.

Ironie du sort

Les temps changent et le général Toufik, qui n’a jamais parlé en public et dont les photos étaient simplement interdites, en est réduit à dénoncer et utiliser la presse comme un simple mortel, une presse qu’il a toujours tenté de contrôler, avec plus ou moins de succès.

Dans sa correspondance, il demande aux journalistes de ne pas se prêter à des interprétations hasardeuses sur les motivations de sa lettre. Lutte des clans, Présidence contre DRS et lutte pour la succession… Mais contrairement à ce qu’il se dit, ce n’est pas la première fois qu’un patron des services secrets sort du secret. Il y a eu des précédents, Kasdi Merbah, ex-patron de la Sécurité militaire, ancêtre de l’actuel DRS, qui avait quitté son poste à la faveur de la déboumedienisation du pays enclenchée par le président Chadli, pour monter un parti politique à la faveur de l’ouverture démocratique consécutive au printemps algérien d’octobre 1988.

Kasdi Merbah, de son vrai nom Abdellah Khalef, fut d’ailleurs assassiné quelques années plus tard par les éléments de Hassan Hattab, qui dirigeait à l’époque le GSPC, Groupe Salafiste pour la Prédication et le Combat, ancêtre d’Al Qaïda au Maghreb Islamique. Ce dernier est toujours vivant et actuellement en liberté, ayant bénéficié des accords entre Bouteflika et une partie des groupes armés.

Les purges d’hiver

Le général Toufik est-il visé dans le procès de son collaborateur direct, le général Hassan ? Tout porte à le croire. Le départ de Toufik a constitué celui du dernier des janviérites, ces officiers supérieurs qui ont interrompu le processus électoral et destitué le président Chadli en janvier 1992 suite à la victoire des islamistes du FIS aux législatives.

Pari tenu par le président Bouteflika, résolu dès son arrivée en 1999 à nettoyer la cuisine et tourner cette sombre page qui a fait 200.000 victimes algériennes. Pour tous ceux qui ont eu affaire à l’ex-toute puissance des renseignements, c’est une belle revanche mais pour ceux qui pensent encore à l’équilibre des pouvoirs entre les trois piliers traditionnels du régime algérien, Présidence, Armée et Services Secrets, c’est un mauvais signe, ouvrant la porte à une dérive autocratique du clan présidentiel, appuyé par l’état-major de l’armée.

Dans un contexte d’appauvrissement des ressources, du retour de l’agitation sur le front social et de la vacance du président, les Algériens se demandent quelle sera la suite en se tenant le ventre, ayant fait l’expérience de l’adage qui dit que ce qui se passe au sommet se ressent toujours à la base. D’autant que l’agenda est serré pour le début 2016, la révision constitutionnelle devant faire place nette au successeur de Bouteflika.

Pour le général Toufik aussi, il peut y avoir une suite. En contestant une décision de justice, il risque lui-même d’être poursuivi. Le chef d’état-major, appuyé par le président et son frère, va-t-il aller plus loin et oser condamner le général Toufik ?

 

Le texte intégral de la lettre de « Toufik » : 

« Consterné par l’annonce du verdict prononcé par le Tribunal militaire d’Oran à l’encontre du général Hassan, et après avoir usé de toutes les voies réglementaires et officielles, j’ai estimé qu’il est de mon devoir de faire connaître mes appréciations à l’intention de tous ceux qui sont concernés par ce dossier, ainsi que tous ceux qui le suivent de près ou de loin.

Le général Hassan était le chef d’un service érigé par le décret agissant sous l’autorité de mon département. À ce titre, il était chargé d’une mission prioritaire avec des prérogatives lui permettant de mener des opérations en relation avec les objectifs fixés. Les activités de son service étaient suivies régulièrement dans le cadre réglementaire.

En ce qui concerne l’opération qui lui a valu l’accusation d’ « infraction aux consignes générales », j’affirme qu’il a traité ce dossier dans le respect des normes et en rendant compte aux moments opportuns. Après les résultats probants qui ont sanctionné la première phase de l’opération, je l’ai félicité –lui et ses collaborateurs – et encouragé à exploiter toutes les opportunités offertes par ce succès. Il a géré ce dossier dans les règles, en respectant le Code de travail et les spécificités qui exigent un enchaînement opérationnel vivement recommandé dans le cas d’espèce.

Le général Hassan s’est entièrement consacré à sa mission. Il a dirigé de nombreuses opérations qui ont contribué à la sécurité des citoyens et des institutions de la République. Sa loyauté et son honnêteté professionnelle ne peuvent être mises en cause. Il fait partie de cette catégorie de cadres capables d’apporter le plus transcendant aux institutions qu’ils servent.

Au-delà des questionnements légitimes que cette affaire peut susciter, le plus urgent, aujourd’hui, est de réparer une injustice qui touche un officier qui a servi le pays avec passion, et de laver l’honneur des hommes qui, tout comme lui, se sont entièrement dévoués à la défense de l’Algérie.

Les médias ont traité abondamment cette affaire en faisant preuve de beaucoup d’à-propos, malgré l’absence d’éléments d’appréciation officiels. J’ose espérer que mon intrusion médiatique, même si elle constitue un précédent, ne suscite pas de commentaires qui risquent de la dévoyer et de la détourner du but recherché.

Le général de corps d’armée à la retraite, Mohamed Mediene ».