Un haut fonctionnaire sans relief chargé par les militaires de redonner une « tenue civile » au pouvoir se retrouve « désarmé » devant une dégradation sans précédent de la situation: tel est en substance le contenu de l’article, les 100 jours de malheur de Abdelmajid Tebboune, qui a valu à nos confrères de « Maghreb émergent », un des meilleurs sites algériens, d’être interdit par le pouvoir militaire.
Voici cet article que Mondafrique publie en signe de totale solidarité
https://maghrebemergent.info/les-100-jours-de-malheur-de-abdelmadjid-tebboune/
Lorsqu’il y a un peu plus de 100 jours débute le travail de Abdelmadjid Tebboune à la présidence de la République, les premiers cas de coronavirus ne sont pas encore diagnostiqués dans la province de Hubei en Chine, le pétrole est proche des 70 dollars le baril, et la pluviométrie, décevante en décembre n’a pas encore évolué en sècheresse hivernale.
Le chaos sanitaire et économique qui va marquer sa première année de mandat n’est pas de sa responsabilité. Choc exogène. Le bilan de sa période probatoire pourrait donc s’arrêter là. Pas de chance. En réalité, si le président intronisé le 12 décembre dernier par l’homme fort de l’année, le chef d’Etat-major Ahmed Gaïd Salah, n’a déclenché ni pandémie, ni chute des cours du brut, ni sécheresse, il est supposé, par les prérogatives démesurées de sa haute fonction, faire face à leurs conséquences sur l’Algérie durant les prochaines années. Or, rien ne l’y préparait. Abdelmadjid Tebboune, vieux routier des collectivités locales au parcours entaché d’affaires (Le compte Khalifa, Les promotions Chikhi) ne faisait déjà pas l’unanimité au sein de la haute hiérarchie de l’ANP pour répondre au défi lancé par les Algériens pour un changement radical pacifique. Il a continué à être rejeté semaine après semaine par une majorité d’Algériens qui ont refusé le vote du 12 décembre. Isolé, sans le squelette d’une coalition politique pour porter son action, ces 100 premiers jours ont vu le contenu de son mandat se compliquer dramatiquement. Partout dans le monde, l’effondrement des certitudes sur l’avenir des activités humaines, les prochains mois ont produit des remises en cause profondes des modes de gouvernance politique. Les consensus politiques inclusifs des volontés citoyennes sont les réponses les plus solides dans de tels contextes de risque létal sur l’organisation des sociétés humaines.
Abdelmadjid Tebboune a incarné depuis ses débuts la caricature inverse à un projet fédérateur. Il a ajouté au rejet populaire constant depuis son avènement, le spectacle d’un homme incapable de s’imposer en chef dans son propre camp. Les 100 premiers jours de son mandat sont une litanie de malheurs. La promesse spectaculaire que le défi était trop grand pour lui avant même le Coronavirus et la panne du monde.
Liquéfaction dans le bouillon sécuritaire
Tout a donc nécessairement commencé par un premier malheur. Le président à peine investi dans ses fonctions perd son mentor avec la disparition brutale de Ahmed Gaïd Salah le 23 décembre 2019. Scénario imprévu. Que n’importe quel homme politique rompu à l’exercice pouvait tourner à son avantage. Abdelmadjid Tebboune, perdait son meilleur soutien autant qu’un encombrant allié. S’ouvrait devant lui l’opportunité de déployer sa propre feuille de route. Celle qu’il a esquissée le soir de son avènement en parlant de tendre la main au Hirak. Tout se déroule en mode reverse. Plus les jours s’écoulent plus le président se liquéfie dans le bouillon sécuritaire qui l’a vu naître dans sa nouvelle fonction. Elargissement massif de détenus politiques le 02 janvier, retour au mandat de dépôt de personnalités politiques deux mois plus tard. L’itinéraire du malheur peut être une volte face. Aujourd’hui transformée en une nuit des longs couteaux, en pleine trêve sanitaire nationale : extension de la chasse aux journalistes et aux militants du Hirak ciblés de longue date par Antar, l’attentat symbolique contre Karim Tabbou en étant le point d’orgue.
Tebboune a mis deux mois pour comprendre qu’il ne pouvait stopper le mouvement populaire avec la promesse d’une « belle » révision de la Constitution et de quelques libérations de détenus politiques. La grande mobilisation autour de la date anniversaire du 22 février a fini de l’en convaincre. Au lieu de s’émanciper en fin de projet, finalement sans avenir, de mettre au pas le Hirak populaire que continue de mener la haute hiérarchie de l’armée et les services de sécurité, Tebboune, s’est laissé mollement glisser dedans. En candidat autocrate insipide et pusillanime. Comme lorsqu’il a menacé, y ajoutant l’effet de manche, de mettre en prison les Algériens qui ne respecteraient pas les mesures de confinement dans un symptomatique dérapage verbal pendant sa dernière conférence de presse. Oubliant au passage que son fils, contre lequel pesaient de sérieuses accusations de trafic d’influence autour de la législation de l’urbanisme, dans l’affaire Chikhi (Boucher) venait de bénéficier, le 26 février 2020, d’un spectaculaire retournement entre le contenu documenté de l’acte d’accusation et le verdict. La relaxe de Khaled Tebboune, elle, n’est pas un malheur dans les 100 premiers jours de son père. Le système voulait se sauver selon des paramètres simples, accessibles aux urgences mentales de Ahmed Gaïd Salah : mettre un civil docile au palais d’El Mouradia pour ne plus avoir à assumer publiquement la réalité du pouvoir politique en Algérie. Ces Paramètres déjà anachroniques face au Hirak, comme le montrera la poursuite des marches populaires , s’avèrent désespérément chétifs lorsqu’il faudra désormais demander à un personnage sans consistance, de produire et de conduire la réponse vitale à la pire situation du pays depuis le 10 janvier 1992.
Ni capitaux étrangers, ni privé national
Face à une telle succession d’infortunes, il faut bien tenter d’exister, pour donner le change au destin. Abdelmadjid Tebboune s’est vite éteint sur le front politique. Quelques audiences de personnalités, des promesses d’ouverture qui n’engagent que ceux qui ont voulu les croire, et puis un anonyme chantier constitutionnel quasi identique par son procédé à celui de Bouteflika-Ouyahia de 2016. La pandémie du covid 19 est, malheur sur malheur, rapidement venue lui retirer l’agenda international comme recours pour habiter un tant soit peu la fonction présidentielle qui lui était tellement contestée tous les vendredis dans le pays. Qu’est-il donc resté à Abdelmadjid Tebboune, avant les mesures anti-pandémie, pour entretenir l’illusion que ces 100 premiers jours sont réellement le début de quelque chose de nouveau ? Une série de décisions entropiques dans la sphère économique, dernier territoire offrant l’illustration factice d’une empreinte régalienne : changement au juché à la tête des entreprises publiques ; Naftal, Sonatrach, Saidal, Algérie Télécom . Instruction directe à Air Algérie pour rouvrir des destinations domestiques, réputées pourtant non économiquement viables, sans chiffrage ni engagement d’indemnisation pour sujétion à mission de service public. Abdelamadjid Tebboune a tellement peu exercé ses véritables prérogatives politiques qu’il s’est laissé défouler sur un P-DG étranger de Ooredoo, expulsé manu militari pour un prétexte de plan social qu’il s’apprêtait à exécuter contre l’avis du syndicat. Le prétexte n’a jamais été confirmé depuis, et le choc d’un président personnellement mobilisé dans la chasse aux ressources étrangères résidentes pour le business en Algérie ; n’est pas prêt d’être oublié par les investisseurs étrangers.
Tebboune n’a pas eu le temps de réfléchir à la diversification de l’économie algérienne. Il pense sans doute pouvoir la conduire sans capitaux extérieurs. Peut-être aussi de tout le privé national. Faute de réponse aux revendications politiques du Hirak populaire, il a laissé se remettre en route l’agenda judicaire anti-corruption pour une nouvelle saison. Grâce à quoi il a tétanisé à nouveau, avant même le nécessaire confinement, l’écosystème des chefs d’entreprises privées, notamment après les incarcérations en février dernier de deux poids lourds de la filière agroalimentaire, Amor Benamor et Hocine Metidji. Lorsqu’il est interpellé sur les réformes économiques attendues, Abdelmadjid Tebboune, peu éloquent en règle générale, devient primitif dans le propos, et se retourne vers son ministre de l’Industrie, comme si Ferhat Ait Ali, égaré en terre hostile, détenait la recette du druide pour produire la potion magique. Rien à dire en vérité sur le sujet.
Vers un choc terminal
La situation est donc celle-là au bout de 100 jours de la présidence de Abdelmadjid Tebboune. Renversement intégral. Le système charpenté, plus que jamais, autour de l’ANP a choisi un homme façade pour ses qualités de malléabilité et son absence de charisme politique. Cela devait faire l’affaire dans une vision martiale idéale où tout le monde rentre à la maison après le 12 décembre. 100 jours plus tard, le tableau est chaotique. Les Algériens restent encore plus défiants devant la nouvelle vitrine civile et la crise politique s’est aggravée. Mais entretemps, la mission initiale du président choisi s’est complexifiée comme jamais. Il y avait une erreur manifeste de cap d’avoir cherché à enfumer les Algériens avec une élection présidentielle interne au régime. Elle n’a apporté finalement que malheurs à ses concepteurs. Elle est surtout devenue dramatique avec Abdelmadjid Tebboune à la tête de l’Algérie. Ce président sous-qualifiée et qui n’était pas programmé pour une mission qui a changé de dimension. Dans ce contexte de crise mondiale ou l’intelligence politique, la compétence opérationnelle, et la capacité à construire des consensus forts ne suffisent même plus là où ils existent dans le monde à garantir une issue aux peuples et aux pays. Que penser de l’Algérie au terme de cet échantillon de 100 jours de présidence Tebboune ? Qu’il porte en lieu la promesse d’un choc terminal pour le système qu’il veut sauver, mais peut-être dans son élan de malheur, pour de très nombreux Algériens.