Lorsque Abdelaziz Bouteflika avait enterré l’islam politique algérien

L’ex président Bouteflika avait réussi à émasculer l’islamisme politique qui, lors de son départ du pouvoir, était en pleine  décomposition. Du moins jusqu’aux récentes élections législatives du 12 juin 2021 où le Président Tebboune a cru bon de ressortir de la naphtaline le MSP créé par feu Cheikh Mahfoud Nahnah

Les résultats des élections locales de 2017 avaient confirmé nouvelle donne politique algérienne où l’islamisme était en totale perte de vitesse. Le MSP, le TAJ et toutes les autres composantes de l’islamisme algérien avaient reçu une véritable gifle en perdant de nombreux sièges dans les communes et les assemblées locales des wilayas. La descente en enfer n’est pas due au hasard, mais à une stratégie redoutable de l’ex président algérien, Abdelaziz Bouteflika. Tout en douceur.

Des islamistes émasculés 

L’islamisme algérien est tombé dans le piège tendu par Bouteflika depuis son arrivée au pouvoir en 1999. L’acte 1 a débuté lorsque Bouteflika a convaincu les frères musulmans du MSP, créé par feu Chekih Mahfoud Nahnah, de s’associer avec lui pour diriger l’Algérie. La posture affichée alors par la présidence était de fermer la parenthèse d’une décennie noire marquée par les violences sanglantes. Le MSP, à l’époque la deuxième force politique algérienne, vit certains des siens accéder aux responsabilités, perdant ainsi l’essentiel de sa combativité. Le piège se refermait sur ces notables pieux happés par un exercice très partiel du pouvoir..

En revanche, il ne fut jamais question à ce stade de laisser se recréer un succédané du Front Islamique du Salut (FIS) dont les principaux cadres avaient combattu dans les maquis durant la décennie noire. Sur ce point, le « deal » était parfaitement clair entre Bouteflika et les militaires, notamment le DRS (services secrets algériens) du général Toufik. Ce fut même la condition sine qua non posée par l’armée à l’intronisation de l’actuel chef de l’Etat en 1999.

Le venin de la division

Pour empêcher le courant islamiste de donner naissance à une force fédératrice comme le FIS des années 90, Abdelaziz Bouteflika va diviser cette mouvance pour mieux règner. Le président algérien s’attire la sympathie des anciens du FIS en leur permettant de réintégrer la vie civile après une décennie de guerre, mais prend bien soin de les « remonter » contre les frères musulmans qui ont établi une complicité intrigante avec les services du DRS depuis les années 90.

Le lobbying finira par payer et les anciens réseaux du FIS vont abhorrer à jamais le MSP en raison de sa proximité avec le DRS, l’appareil sécuritaire que les factions de l’Armée Islamique du Salut (AIS) ont combattu depuis le maquis.

Après avoir semé la zizanie entre les descendants de Nahnah et ceux d’Abassi Madani, le leader du FIS entre 1989 et 1992,  Abdelaziz Bouteflika s’attelle à isoler politiquement Abdellah Djaballah, le fondateur du mouvement Ennahda, l’autre pôle stratégique de l’islamisme algérien. Bouteflika fera encore une fois dévoiler les liens entre  l’ancien DRS et certains de ces notable spieux pour faire éclater ce mouvement dont la popularité était réelle à la fin des années 90. Abdellah Djabllah était effectivement très proche du Général Toufik, le patron du DRS, avec lequel il entretenait de très bonnes relations.

En quelques années et à force de lobbying, le mouvement Ennahada éclate en lambeaux et Abdelaziz Bouteflika récupère au Palais d’El-Mouradia plusieurs cadres qui ont divorcé avec Abdellah Djaballah. A l’image de Mohamed Ali Boughazi, devenu l’un de ses conseillers attitrés. Privé de son parti et de ses cadres,  Djaballah va errer d’un mouvement à un autre en laissant derrière toujours le spectre de la division et en perdant toute sa crédibilité auprès des Algériens.

Cheval de troie

Il ne va rester que le  MSP. Ce dernier occupera plusieurs postes ministériels importants comme ceux du Commerce, Transport ou la PME/PMI ou mêmes les Finances. Bouteflika avec sa malice légendaire fera tout pour mouiller le MSP dans les affaires les plus complexes qui donneront ensuite naissance à des scandales financiers de corruption. Ainsi dans les détournements auxquels  a donné lieu le chantier de l’Autoroute est-ouest, Amar Ghoul, ministre … des travaux publics et l’un des leaders du MSP, est volontairement sali dans une affaire qui restera à jamais gravée dans les esprits des Algériens.

Justement, Amar Ghoul sera ce cheval de Troie que Bouteflika va utiliser pour miner de l’intérieur le dernier mouvement islamiste solide. En 2012, Amar Ghoul est incité à démissionner du MSP pour aller créer son propre parti en emmenant avec lui de nombreux cadres du MSP. La dissidence est catastrophique et discréditera à jamais le MSP qui ne s »en sortira pas indemne.

Le TAJ, le nouveau parti d’Amar Ghoul  va vite devenir le premier allié « islamiste » de Bouteflika et surclassera toutes les autres formations islamistes. Lors de la campagne pour le 4e mandat, il va jouer les premiers rôles pour séduire et convaincre le très difficile, mais populaire électorat islamiste.

Descente aux enfers

La suite fut moins glorieuse pour Amar Ghoul et son parti. Dés 2015, la dissidence, encouragée par les lobbys du clan présidentiel, s’installe et des démissions en cascade affaiblissent le parti. Amar Ghoul sera éjecté du gouvernement en mai 2017 et plus aucun ministre islamiste ne sera au pouvoir. Après les avoir utilisés, divisés et combattus, Bouteflika a réussi sur une période s’étalant sur 16 ans à laminer l’islamisme politique. Sans affrontement violent ni confrontation armée comme l’ont fait les généraux de la hiérarchie militaire algérienne des années 90, Abdelaziz Bouteflika a manié avec brio la tactique de la zizanie, la manipulation et les fausses alliances pour affaiblir des islamistes qui n’ont jamais joui profondément de son estime.

Aujourd’hui, les islamistes algériens ont perdu leurs pieds à forcer de marcher sur un terrain miné. Ils avaient cru voir en Bouteflika leur tremplin pour arriver pouvoir. Mais le président algérien, qui a su avec eux comme avec le DRS (services algériens) du général Toufik jouer à l’étrangleur ottoman, en a été finalement leur fossoyeur.

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Nicolas Beau
Ancien du Monde, de Libération et du Canard Enchainé, Nicolas Beau a été directeur de la rédaction de Bakchich. Il est professeur associé à l'Institut Maghreb (Paris 8) et l'auteur de plusieurs livres: "Les beurgeois de la République" (Le Seuil) "La maison Pasqua"(Plon), "BHL, une imposture française" (Les Arènes), "Le vilain petit Qatar" (Fayard avec Jacques Marie Bourget), "La régente de Carthage" (La Découverte, avec Catherine Graciet) et "Notre ami Ben Ali" (La Découverte, avec Jean Pierre Tuquoi)