L’injonction au désarmement du Hezbollah, brandie sans solutions concrètes, aggrave la fragilité libanaise : instrumentalisée par tous, elle alimente les tensions, menace la stabilité régionale et fait peser sur le pays le spectre d’un embrasement incontrôlable.
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Dans la sphère diplomatique et médiatique, l’appel à désarmer le Hezbollah occupe une fonction essentielle : celle de marqueur politique. Pour Israël, l’exigence de désarmement légitime la stratégie de pression militaire et justifie les frappes ciblées ou l’escalade le long de la frontière. Pour certains acteurs arabes, elle sert à afficher une solidarité avec le Liban tout en se dédouanant du dossier, et à contenir l’influence de l’Iran dans la région. Côté occidental, elle permet de conditionner l’aide économique ou le soutien politique à des engagements sécuritaires, souvent irréalisables, créant ainsi un levier de négociation permanent.
Pour de nombreux responsables libanais, la rhétorique du désarmement est un double jeu : elle permet de répondre aux attentes internationales tout en reportant indéfiniment la mise en œuvre réelle, faute de moyens et de consensus interne. Cette stratégie de temporisation vise à maintenir le statu quo, à éviter toute confrontation directe avec le Hezbollah, et à préserver une stabilité fragile – en apparence du moins.
Ce jeu d’équilibres instables s’accompagne cependant de conséquences dangereuses : plus l’injonction est répétée sans être suivie d’effet, plus elle affaiblit la crédibilité de l’État et de ses alliés, tout en renforçant la propagande du Hezbollah qui se présente comme la seule véritable force de résistance et de protection.
Scénarios de désarmement forcé
L’histoire récente du Liban et de la région montre que toute tentative de désarmement par la force, sans un consensus national et sans alternative de sécurité, risque d’aboutir à l’inverse du but recherché : un retour à la violence généralisée. Plusieurs précédents libanais l’attestent. En 1975, la tentative de marginaliser la résistance palestinienne a conduit à l’éclatement de la guerre civile. En 1984, la tentative de dissolution des milices chiites par l’armée libanaise et les Forces Multinationales s’est soldée par une défaite rapide de l’État central. En mai 2008, la volonté du gouvernement de démanteler le réseau de télécommunications du Hezbollah a provoqué une démonstration de force militaire du parti, aboutissant à la capitulation politique de ses adversaires en moins de 48 heures.
Le scénario d’un désarmement précipité – sous pression extérieure, ou à la faveur d’un contexte de crise régionale – présenterait un risque majeur de fragmentation du pays. Le Hezbollah, conscient de son emprise sociale et militaire, répondrait probablement à toute tentative de désarmement par une mobilisation massive, une paralysie des institutions, voire une prise de contrôle de zones entières. Cela entraînerait une polarisation extrême, un risque élevé d’affrontements intercommunautaires, et la résurgence de milices concurrentes – phénomène déjà observé à bas bruit dans certaines régions à majorité chrétienne ou sunnite.
En l’absence de forces de sécurité capables de garantir l’ordre et la sécurité, la société libanaise serait livrée à elle-même, exposée à la logique des vengeances, des règlements de compte, et de la balkanisation du territoire. L’expérience de la guerre civile, toujours vive dans la mémoire collective, demeure le repoussoir ultime, mais n’est plus un rempart suffisant : l’effondrement socio-économique actuel fragilise les barrières morales et institutionnelles, rendant l’hypothèse d’une dérive violente plus crédible que jamais.
Gaza : l’illusion du désarmement par la force
La comparaison avec Gaza est instructive. Depuis le début de l’offensive israélienne en 2023, l’objectif affiché était l’« élimination du Hamas » et le désarmement complet du mouvement. Après près de deux ans de conflit, des dizaines de milliers de morts, la destruction quasi-totale des infrastructures civiles, et une catastrophe humanitaire sans précédent, l’organisation armée n’a pas été éradiquée. Les capacités de résistance persistent, le contrôle territorial fluctue, mais l’esprit de résistance et le soutien populaire, alimenté par la perception d’une injustice structurelle, restent vivaces.
L’« effet boomerang » du désarmement imposé par la force est double : il radicalise la population, offre au groupe cible une nouvelle légitimité (en tant que symbole de la résistance à « l’ennemi »), et crée un vide que nulle autorité de substitution ne peut combler. À Gaza, malgré l’ampleur de la destruction, le Hamas demeure un acteur militaire et politique incontournable ; la population civile paie le prix fort de l’insécurité et de la pénurie, mais aucune solution stable ne s’impose.
Transposé au Liban, un tel scénario serait synonyme de chaos : la tentative de désarmer le Hezbollah, sans prise en compte des dynamiques sociales, confessionnelles et régionales, produirait un vide sécuritaire aussitôt investi par d’autres acteurs, ou par le retour du Hezbollah sous une autre forme, plus radicalisée encore. L’illusion du désarmement par la force conduit invariablement à un cercle vicieux de violence, d’instabilité et d’ingouvernabilité.
L’effet sur la dynamique régionale
Un désarmement précipité du Hezbollah aurait également des conséquences majeures pour l’équilibre régional. D’une part, cela affaiblirait l’un des principaux leviers iraniens face à Israël et aux États-Unis, risquant de pousser Téhéran à activer d’autres fronts (Irak,Yémen) pour compenser la perte d’influence. D’autre part, cela pourrait encourager Israël à imposer sa propre architecture sécuritaire au Liban-Sud, soit par une occupation directe, soit par le soutien à des groupes locaux hostiles au Hezbollah – ouvrant la voie à de nouveaux cycles de confrontation.
La stabilité du Liban, si fragile soit-elle, constitue encore un tampon relatif dans une région marquée par la multiplication des « États faillis » et des zones grises. Une explosion de la scène libanaise déborderait rapidement sur la Syrie, la Jordanie, et pourrait même relancer une vague de radicalisation régionale, avec des implications pour la sécurité européenne et mondiale (migrations, terrorisme, marchés de l’armement).
La fragmentation accrue : scénario de guerre civile
Enfin, il ne faut pas sous-estimer la capacité de la société libanaise à se diviser davantage. Déjà, la défiance entre communautés atteint un sommet, la classe politique joue la surenchère, et les réseaux sociaux amplifient chaque incident. Les lignes de fracture confessionnelles, exacerbées par la crise économique et le ressentiment populaire, rendent tout projet de désarmement autoritaire dangereux. La violence verbale précède souvent la violence physique : la stigmatisation d’une communauté ou d’un parti peut basculer rapidement dans la chasse aux sorcières, l’exode interne, et la constitution de poches armées, comme ce fut le cas à plusieurs reprises depuis les années 1970.
Le désarmement du Hezbollah ne peut être imposé par décret ni par la seule force. Sans solution politique, sans alternative de sécurité, et sans réintégration des bases sociales du parti dans un projet national inclusif, toute tentative précipitée d’y parvenir porterait en germe la destruction de l’État libanais – déjà sur le fil du rasoir.
Au-delà des slogans et des injonctions vaines, c’est la responsabilité collective du système libanais et l’hypocrisie politique qui sont en jeu. Le prochain article s’attachera à dévoiler ce que le débat sur le désarmement du Hezbollah occulte : la faillite de la souveraineté et l’impasse nationale.