« Négocier » avec les Iraniens leur droit à la bombe ? Personne n’attendait cela de Donald Trump. « Je souhaite que l’Iran soit grand, prospère et formidable. Mais ils ne peuvent pas posséder l’arme nucléaire. Et s’ils en possèdent une, vous serez tous très malheureux, car votre vie sera en grand danger », a déclaré Donald Trump le 18 avril aux journalistes réunis dans le Bureau ovale.
Un article d’Yves Mamou, ancien journaliste du Monde, Abonnez-vous maintenant à son blog si vous le souhaitez
Comment le président américain compte-t-il empêcher l’Iran de devenir une puissance nucléaire ? Par la négociation. Un accord diplomatique est possible, affirme-t-il, et une fuite dans la presse a révélé qu’il a bloqué un projet de raid militaire israélien contre les installations nucléaires iraniennes.
Cette thèse qu’un accord « raisonnable » est possible avec le régime iranien était celle de l’administration Obama. Et elle est très répandue dans la sphère des « experts ». Gary Samore, directeur du Crown Center, le centre de recherche sur le Moyen-Orient de l’université Brandeis, explique que « Trump ne veut pas la guerre. Les Iraniens ne veulent pas la guerre. Cela suggère qu’un espace est possible pour un accord. »
Des fuites successives dans la presse ont montré que deux camps s’affrontent au sein de l’exécutif américain. Le vice-président J. D. Vance, la directrice du renseignement national Tulsi Gabbard et la chef de cabinet de la Maison-Blanche Susie Wiles refusent la guerre. J. D. Vance déclare froidement que si certains alliés des États-Unis croient que la guerre avec l’Iran est plus efficace, ils doivent prendre leurs responsabilités : « Qu’ils y aillent seuls, sans nous. »
Les partisans de la solution militaire sont représentés par le secrétaire américain à la Défense, Pete Hegseth, le conseiller à la sécurité nationale, Mike Waltz, et par le général Michael Kurilla, chef du commandement central américain. Il n’est pas exclu, affirme Jonathan Tobin, rédacteur en chef du Jewish News Syndicate (JNS), que « le secrétaire d’État Marco Rubio » fasse partie des faucons.
La méfiance envers les négociations est-elle légitime ?
C’est peu dire que dans le camp israélien, la déception est grande.
Si les négociations avec l’Iran servent uniquement à « répéter les erreurs d’Obama et de Kerry », alors Trump et Witkoff perdent leur temps, affirme Jonathan Tobin de JNS.
Michael Oren, ancien ambassadeur d’Israël aux États-Unis, est du même avis : les négociations n’ont d’intérêt que si elles ont pour objectif « de mettre fin aux ambitions nucléaires de l’Iran et pas de les retarder ».
Oren et Tobin ont raison de s’inquiéter : une négociation n’est pas un ultimatum. Négocier n’est pas exiger. Peu ou prou, Donald Trump semble avoir rangé l’option militaire sous la table. Pour l’instant du moins, elle ne fait pas partie de la négociation.
Est-ce pour résoudre l’affaire pacifiquement que le président américain a confié la négociation à un businessman comme Witkoff, un pote de golf qui ignore tout du nucléaire et de l’islam et que certains soupçonnent d’accointances troubles avec le Qatar ?
Qui sait ?
La presse iranienne, elle, jubile de voir Téhéran négocier en « position de force ». Les journalistes iraniens ont compris que l’administration Trump, comme l’administration Obama, ne semble pas avoir une claire perception de la nature du régime des mollahs, de son projet politique, et de l’usage qu’il compte faire d’un arsenal atomique.
Que veulent les Iraniens ?
Dès son accession au pouvoir en 1979, l’ayatollah Khomeiny s’est positionné comme le leader des croyants. De tous les croyants. Une attitude qui a d’abord fait rire les musulmans sunnites, avant de les inquiéter. Car les Iraniens sont le vilain petit canard du monde musulman. Ils sont perses et chiites, alors que la majorité de la population du Moyen-Orient est plutôt arabe et majoritairement sunnite. Un peu comme des chats qui entreprendraient de régenter un chenil.
Mais les chats chiites sont malins. Leur leadership sur l’ensemble du monde musulman, ils savaient comment l’assurer : la Palestine. La haine d’Israël est, en effet, le point commun des chiites et des sunnites. « Free Palestine » est ainsi devenu un slogan iranien.
Comme l’écrit Husayn Aboubakr Mansour, intellectuel égypto-américain, « Free Palestine » – slogan, fantasme ou politique – a toujours impliqué le meurtre de masse des Juifs dans leurs villes, leurs rues, leurs magasins et jusqu’à leurs salons. (…) Pour des acteurs plus transparents, tels que le Hamas et la République islamique d’Iran, la libération de la Palestine signifie tout simplement, et sans aucune réserve, l’éradication totale d’Israël. Il ne s’agit pas d’un point polémique, mais d’une réalité fondamentale. »
L’hostilité à Israël est un « pilier du régime iranien », confirme Ali Vaez, directeur du programme sur l’Iran de l’International Crisis Group. « Dès les origines, le nouvel Iran s’est projeté comme une puissance panislamique et a repris la cause palestinienne à son compte. »
Un « axe de la Résistance » a aussi été bâti, armé et financé. Le Hezbollah au Liban, le Hamas à Gaza, Bashar al-Assad en Syrie, et les Houthis au Yémen étaient les pièces principales du dispositif de destruction de l’État d’Israël.
Demander aux ayatollahs de renoncer à l’arme atomique (par la négociation qui plus est) revient à exiger d’eux qu’ils renoncent à un rêve messianique constitutif du régime : voir une foule musulmane unifiée se soulever et se rallier à toute personne qui aura accompli la volonté d’Allah : détruire Israël.
Massifier le monde musulman par la destruction du seul État juif de la planète est-il un projet qui tient la route ? Pour le savoir, il suffit de se rappeler la ferveur qui a saisi la rue islamique au lendemain du 7 octobre 2023. Les meurtres et tortures infligés à 1200 civils – hommes, femmes et enfants – israéliens ont soulevé l’enthousiasme de centaines de milliers de manifestants – musulmans – partout dans le monde. Tous ont hurlé d’une même voix le même slogan exterminateur : « La Palestine sera libre de la rivière à la mer. »
Le danger iranien tient au fait que l’Iran a choisi d’incarner la promesse millénaire qu’Allah a faite aux musulmans de dominer un jour la planète.
C’est en ces termes que le risque du nucléaire iranien doit être posé. Un risque djihadiste.
Pourquoi les Iraniens négocient-ils ?
Les Iraniens n’ont pas le choix. Les milices financées et armées par l’Iran qui enserraient Israël ont été défaites : le Hezbollah n’est que l’ombre de lui-même, le Hamas est en passe d’être détruit, et la Syrie, qui était la pièce militaire centrale de la pieuvre iranienne au Moyen-Orient, est tombée entre les mains d’Al Qaeda et de son allié turc. Israël a également réussi à détruire les défenses aériennes iraniennes.
Comme l’écrit Michael Oren, « la puissance iranienne n’est aujourd’hui que l’ombre de ce qu’elle était avant octobre 2023. Israël pourrait aujourd’hui frapper les centrales nucléaires iraniennes en toute impunité. »
Au plan économique, le pays est ruiné par l’incurie, la corruption et le sous-investissement dans les infrastructures.
Il n’est donc pas étonnant que l’Iran ait accepté de discuter avec son ennemi américain.
Un accord, même restrictif, sauverait le régime. Les sanctions cesseraient, et les ayatollahs retrouveraient une marge de manœuvre financière qui leur fait défaut aujourd’hui.
Mais quel est l’intérêt de Donald Trump de sauver un régime qui a exporté la terreur partout dans le monde, tenté de détruire Israël et de dominer le monde arabe ?
Trump était supposé le savoir, on ne négocie pas avec le djihad, on le combat.