
Cinq mois après l’arrivée au pouvoir du duo Aoun-Salam, l’élan d’espoir s’est mué en désillusion. Désarmement au point mort, reconstruction paralysée, diplomatie floue : le Liban s’enlise, pendant que la Syrie, elle, reconstruit.
Paroles fortes, résultats faibles. À Beyrouth, l’espoir né de la double nomination de Joseph Aoun à la présidence de la République et de Nawaf Salam à la tête du gouvernement s’estompe jour après jour. Leurs discours promettaient fermeté et souveraineté. Mais cinq mois après leur arrivée aux commandes de l’État, c’est le vide qui règne. Le Hezbollah n’a toujours pas été désarmé, la reconstruction n’a pas commencé, les investisseurs fuient, les alliances diplomatiques s’embrouillent, et la Syrie, pourtant exsangue après une décennie de guerre, semble prendre une longueur d’avance.
L’autorité de l’État? Parlons en!
Lors de son investiture en janvier 2025, Joseph Aoun, ancien chef de l’armée, avait prononcé des mots qui avaient fait vibrer une partie du pays : « 2025 sera l’année du monopole des armes par l’État ». Le slogan avait la clarté d’un commandement militaire. Avec Nawaf Salam, juriste respecté et ancien ambassadeur, le duo semblait incarner un renouveau institutionnel. Mais à l’enthousiasme a succédé la confusion.
Aujourd’hui, ni l’armée ni le gouvernement n’ont défini de feuille de route claire sur la question du désarmement du Hezbollah. Le dialogue « national » censé poser les bases d’une stratégie de défense intégrée reste sans calendrier ni mécanisme de contrôle. Certes, des opérations de démantèlement ont été menées au Sud, « 80 % des arsenaux auraient été neutralisés entre Tyr et Marjayoun », selon une source militaire citée par Al-Akhbar, mais la force armée du Hezbollah reste intacte ailleurs, notamment dans la Békaa et la banlieue sud de Beyrouth.
Reconstruction, un mot vide
La reconstruction du Liban, après la guerre de 2023-2024 entre Israël et le Hezbollah, devait être une priorité. Or, elle est à l’arrêt.
La Banque mondiale estime les besoins entre 11 et 14 milliards de dollars, mais aucun plan de financement international n’a été activé. Le Qatar, la France, les États-Unis ou encore la Banque européenne d’investissement ont fait savoir, à mots couverts, qu’ils ne bougeraient pas tant que la question du Hezbollah ne serait pas réglée.
« L’aide viendra quand les armes seront posées. Pas avant », a résumé un diplomate occidental cité par le media francophone libanais L’Orient-Le Jour (mai 2025). Or, au lieu de donner des gages de transparence, le pouvoir libanais a nommé Ali Hamiyé, proche du Hezbollah et ancien ministre des Travaux publics, comme conseiller présidentiel pour la reconstruction. Une décision prise le 3 juin 2025, le même jour que la visite à Beyrouth du vice-ministre iranien des Affaires étrangères Abbas Araghchi.
La nomination d’Ali Hamiyé a provoqué une onde de choc chez les observateurs internationaux. L’homme, affilié au Hezbollah, est vu comme un relais direct de Téhéran. En le plaçant au cœur du processus de reconstruction, Joseph Aoun donne un signal pour le moins ambigu.
Au même moment, Abbas Araghchi annonçait publiquement que l’Iran était prêt à envoyer ses entreprises pour participer à la reconstruction du Liban. Cette collusion entre calendrier politique et discours diplomatique a ravivé les soupçons sur une orientalisation du processus de relance, perçue comme un affront par les bailleurs occidentaux.
Morgan Ortagus évincée : un signal politique
Autre changement dans le paysage régional : Morgan Ortagus, adjointe de l’émissaire spécial américain Steve Witkoff et figure du dossier libanais, a été écartée. Connue pour sa posture ferme vis-à-vis du Hezbollah, elle aurait déplu à Washington par son ton jugé cassant, notamment lors d’une conférence à Doha en mai où elle a affirmé que le FMI n’était « qu’une option parmi d’autres ».
Son départ est vu comme un recul de l’approche pro-israélienne de Washington, au moment où l’administration Trump cherche à rééquilibrer son image au Moyen-Orient. Pour Israël, c’est une mauvaise nouvelle : « La voix la plus claire contre le Hezbollah dans l’administration américaine vient d’être éteinte », résumait le quotidien Yediot Aharonot.
Quelle issue possible ?
Trois scénarios émergent à court terme :
1- Le maintien du statu quo, avec un Liban suspendu à un fragile équilibre, incapable de se redresser, vivant sous perfusion d’aides humanitaires.
2- Un basculement vers l’Est, où les sociétés iraniennes, chinoises ou russes comblent le vide laissé par les bailleurs occidentaux, au prix d’une perte de souveraineté stratégique.
3 – Une rupture politique intérieure, non violente, portée par une pression populaire massive ou une dynamique institutionnelle, qui imposerait un désarmement progressif du Hezbollah. Un tel scénario ouvrirait potentiellement la voie à une reconstruction encadrée par des garanties internationales. Mais le Liban reste un terreau peu favorable aux bouleversements brusques : toute tentative de passage en force serait vouée à l’échec et risquerait de plonger le pays dans le chaos. Quant à Israël, resterait-il spectateur de cette inaction prolongée ? Rien n’est moins sûr. L’État hébreu continue d’agir en acteur dominant : frappes ciblées quasi quotidiennes, survols permanents du territoire libanais par des drones, collecte de renseignements en continu.
Pour l’heure, rien ne semble indiquer que le gouvernement ait choisi une direction claire. Le double langage persiste. Les armes du Hezbollah sont à la fois tolérées et contestées. Les appels à l’aide étrangère cohabitent avec des signaux d’alignement sur l’Axe de la Résistance.
Le Liban, en ce milieu d’année 2025, traverse une période charnière mais sans cap. Le désenchantement est palpable : un président militaire qui n’emploie pas son autorité, un Premier ministre discret, une reconstruction en suspens, une diplomatie brouillonne, et un Hezbollah plus enraciné que jamais. Pire encore : à Damas, on bâtit ; à Beyrouth, on discourt.
« Avancer à reculons, pour ne pas dire reculer », lâche un Libanais amer. Le mot est juste : le Liban ne stagne pas, il glisse.
Dans ce climat d’incertitude, le président Joseph Aoun exaspère de plus en plus. Multipliant les déplacements à l’étranger, les poignées de main protocolaires, les promesses vagues et les séances photo soigneusement mises en scène, il donne l’image d’un chef d’État plus préoccupé par son image que par l’action. Son épouse, omniprésente, semble s’être donné pour mission de faire du protocole un défilé : jamais deux fois la même tenue, toujours tout sourire face aux caméras, comme si le Liban s’était miraculeusement transformé en principauté huppée. Dans un pays qui sort à peine d’une guerre, sans vraiment en être sorti, et où des millions de Libanais ont vu leurs épargnes disparaître, cette mise en scène permanente commence à choquer.
Taxe, réseau et racket d’État
Et comme si le tableau n’était pas assez sombre, l’Internet libanais s’effondre à intervalles réguliers, provoquant colère et soupçons. À croire que ces coupures chroniques sont orchestrées. Depuis que le projet Starlink d’Elon Musk a été évoqué dans les cercles gouvernementaux comme une solution miracle, certains y voient déjà une nouvelle « manne céleste » à exploiter. Un prétexte rêvé pour que les mêmes réseaux opaques s’enrichissent encore, à coups de commissions, d’exclusivités douteuses et d’abonnements hors de prix.
Dans le même esprit, une nouvelle taxe sur le carburant a été annoncée, officiellement pour financer les salaires de l’armée et des officiers à la retraite. Mais là encore, c’est le peuple qui paie. Plutôt que de récupérer les revenus illicites engrangés par le Hezbollah, le pouvoir choisit la voie la plus facile, et la plus injuste : faire les poches d’une population déjà exsangue. Les Libanais n’ont pas fini de trinquer !