L’armée israélienne dominée par les sionistes religieux

Une armée israélienne de plus en plus brutale et au sein de laquelle l’ influence des sionistes religieux est croissante :  voilà ce que la guerre à Gaza a révélé, déplore Assaf David, professeur à l’Université hébraïque de Jérusalem et spécialiste des questions militaires au proche-orient dans une interview à la revue « Orient XXI ».
 
Le proche orient dans la presse internationale,
Par Bruno Philip 
 
Image illustrative d'une femme instructeur de chars de Tsahal lors d'un exercice le 1er janvier 2013. (Caporal Zev Marmorstein / Unité du porte-parole de Tsahal)
Image illustrative d’une femme instructeur de chars de Tsahal lors d’un exercice le 1er janvier 2013. (Caporal Zev Marmorstein / Unité du porte-parole de Tsahal)
 
La guerre à Gaza a sans doute marqué un tournant pour l’armée israélienne, dont les chefs, historiquement, étaient plutôt marqués par l’idéologie laïque du kibboutz. Désormais, les sionistes religieux et les adeptes d’une philosophie nationalo-messianique tiennent le haut du pavé au sein de « Tsahal » alors que l’on vient d’assister à une brutalisation croissante des comportements militaires au cours des deux ans de guerre dans Gaza. C’est ce que constate le spécialiste des questions militaires, l’Israélien Assaf David, par ailleurs professeur à l’université hébraïque de Jérusalem. Le résultat de cette dérive s’est notamment traduit par la « folie destructrice  » qui s’est emparé de l’armée israélienne dans l’enclave à la suite des attaques terroristes menées par le Hamas le 7 octobre 2023.

L’armée, l’objectif prioritaire

Dans une interview réalisé pour la revue « Orient XXI » par le journaliste Sylvain Cypel, lui-même spécialiste d’Israël, M. David affirme que « les sionistes religieux et l’extrême droite sont devenus dominants parmi les officiers de niveau intermédiaire et dans la troupe ». Pourtant, remarque-t-il, jusqu’ à un passé récent, cette mouvance ne disposait pas de relais de cette importance au sein d’une institution « où les haut gradés étaient souvent issus des kibboutz. Mais au fil du temps, les messianistes ont déployé une idéologie, celle portée par ce que l’on appelle aujourd’hui le ‘sionisme religieux’ «  pour laquelle dominer l’armée est  « un objectif prioritaire ». 
 
Le professeur de cette prestigieuse université, dont la tonalité du discours s’inscrit en opposition avec une société juive désormais devenue largement indifférente au malheur palestinien, va même jusqu’à affirmer que « la troupe est majoritairement acquise » à cette idéologie. Assaf David précise que « L’état major se divise en deux parties, une ‘dure’, où les messianiques [ c’est-à-dire ceux qui veulent hâter le retour du messie en Israël et militent pour la création d’un « grand Israël » englobant les territoires occupés] sont déjà fortement représentés » et une autre partie, dite plus « libérale » « Mais ce dernier groupe a déjà perdu la bataille interne : l’élite militaire est entre les mains des nationalistes ethnicistes très ‘faucons’. » 

Le judaisme instrumentalisé

 
Précisant la notion de « messianisme », il tente un parallèle osé : ce dernier  » est « au judaïsme ce que le djihadisme est à l’islam : le judaïsme est instrumentalisé à des fins effroyables. »
 
On savait que le gouvernement de Benjamin Netanyahu était débordé par des franges radicales incarnées par des leaders de l’extrême droite , on n’avait jamais entendu pareil commentaire de la part d’un Israélien allant jusqu’à faire le rapprochement entre une idéologue religieuse juive et les supporters de Ben Laden ou de l’Etat islamique… Surtout de la part d’un homme né dans une colonie religieuse qui a passé des années au sein d’un département d’élite de l’armée israélienne, spécialisée dans le renseignement technologique!
 
Toujours est-il que , selon Assaf David, les chefs de l’armée auraient du, dès le 8 octobre,  tracer les lignes rouges à propos de ce que les soldats devaient faire et ne pas faire. C’est le contraire qui s’est produit. L’épouse du chef d’état major de l’époque, Herzi Halevi, a raconté que, le 7 octobre, son mari lui a dit « on va détruire Gaza ». Et, souligne le chercheur, « Beaucoup de gens ont ensuite jeté de l’huile sur le feu. Résultat : une folie de cruauté, soutenue par l’opinion, s’est emparée de l’armée » ;  outre le fait que « la direction du pays, politique et militaire, a donné le ‘la' »…

« Tsahal, l’armée la plus morale du monde » !

 
Rien d’étonnant alors, que dans un tel contexte, le comportement des soldats de Tsahal durant les combats contre le Hamas ait été influencé par cette dérive idéologique : de simples soldats en ont parfois fait à leur tête sans en référer à leurs supérieurs tandis que les officiers, tout particulièrement ceux faisant partie du courant messianique, se sont livrés à des actes de violence qui ont ruiné l’image jadis tant vantée de « Tsahal, l’armée la plus morale au monde »… Assaf David raconte ainsi que « dès les premiers jours de l’offensive israélienne, son porte-parole, le colonel Daniel Hagari, a déclaré que l’ [objectif] de dommages causés au Hamas était plus importants que la précision des tirs. Et très vite les taux autorisés de ‘victimes colatérales’ palestiniennes ont été augmentés. Pour viser  un seul dirigeant du Hamas, il était permis de tuer 150 ou 200 civils. » Et si certains officiers supérieurs de Tsahal ont par la suite prôné la recherche d’une solution politique, ce fut peine perdue :  » Le gouvernement ne le voulait pas ».
 
Un telle faillite morale est bien entendu la conséquence d’une conjugaison de plusieurs facteurs, notamment sociétaux et politique. Le professeur David résume pour « Orient XXI » les raisons qui ont mené à un tel résultat : « La société israélienne a beaucoup évolué. Les deux faits marquant qui ont pesé sur elle ont été l’absence de solution politique avec les Palestiniens, et la montée en puissance de la religiosité nationaliste. Mis ensemble, ils ont mené à l’acceptation collective d’une déshumanisation des Palestiniens- et à une délégitimation de la gauche. Vous mettez tout ça dans un shaker, vous remuez vigoureusement, et vous arrivez à une armée différente ».