2000 prisonniers syriens au Liban : une bombe à retardement

Le dossier des prisonniers syriens au Liban refait surface, tout comme celui des détenus islamistes, dont un grand nombre sont incarcérés depuis des années sans procès ni inculpation claire. Cette réalité tragique illustre un modèle flagrant d’injustice politique et judiciaire continue, où des centaines de personnes voient leurs droits humains et juridiques les plus élémentaires bafoués, sous des prétextes tantôt politiques, tantôt procéduraux.

Badih Karhani

Les prisons libanaises regorgent de milliers de détenus, parmi lesquels environ 2 000 Syriens, dont la majorité sont des sympathisants de la révolution syrienne — aujourd’hui reconnue par la communauté internationale comme autorité légitime en Syrie. Pourtant, le traitement que leur réserve l’État libanais reste dicté par des considérations internes, notamment par le Hezbollah, farouchement opposé à cette autorité et ancien allié du régime Assad dans la répression du peuple syrien.

Quant aux détenus islamistes au Liban, beaucoup ont été arrêtés sur de simples soupçons et croupissent en prison depuis des années sans procès. Une situation qui viole de manière flagrante le principe fondamental de présomption d’innocence, transformant les prisons en outils de vengeance politique plutôt qu’en instruments de justice.

Des messages silencieux… mais bien reçus

Récemment, des informations ont fuité concernant le mécontentement des autorités syriennes face à la lenteur libanaise à libérer les détenus syriens. D’éventuelles mesures politiques et économiques contre Beyrouth ont été évoquées. Bien que Damas ait officiellement démenti ces informations, le message, lui, semble bel et bien être passé — comme le dit l’adage : « Il n’y a pas de fumée sans feu. »

Le sort des détenus syriens trouve un écho frappant dans l’affaire Hannibal Kadhafi, enlevé en Syrie sous le régime de Bachar el-Assad et détenu depuis au Liban sans inculpation formelle. Fait absurde : il est évoqué qu’il porterait la responsabilité de la disparition de l’imam Moussa Sadr… en 1978, alors qu’il n’était qu’un nourrisson d’un an !

Les autorités libanaises prêtes à coopérer

Des sources officielles assurent que le dossier des détenus syriens fait l’objet d’un suivi politique, judiciaire et sécuritaire actif, et que le Liban est disposé à coopérer pour leur remise, dans le respect des lois en vigueur. Toutefois, la réalité juridique est accablante : la plupart de ces détenus n’ont jamais été jugés. Par conséquent, il est légalement impossible de les extrader, ce qui constitue une absurdité légale transformée en tragédie humaine — et une honte pour la justice libanaise.

Un responsable de l’administration pénitentiaire a révélé que le comité judiciaire-sécuritaire chargé du dossier a bien finalisé des centaines de dossiers, mais se heurte à cet obstacle juridique majeur : « Aucun détenu ne peut être remis à son pays d’origine sans jugement définitif. » Une règle qui se retourne contre les innocents et les maintient indéfiniment derrière les barreaux.

Appels des familles : sauvez-les d’une injustice double

Face à ce blocage, les familles des détenus syriens n’ont cessé de lancer des appels au président syrien Ahmad Charaa, pour accélérer leur rapatriement et leur jugement dans leur pays. Une revendication humaine et légitime, d’autant plus que la déliquescence de la justice libanaise empêche toute perspective de traitement équitable.

Un ancien détenu récemment libéré a raconté avoir passé deux ans en détention sans procès, avant d’être innocenté. Aucune compensation ne lui a été versée, et aucun responsable n’a été inquiété.

En fin de compte, le dossier des prisonniers ne peut plus être séparé de la crise systémique de la justice libanaise, minée par l’ingérence politique, la paralysie institutionnelle et l’absence d’indépendance. Un pays qui emprisonne des milliers de personnes sans procès, et qui subordonne la justice aux intérêts partisans et confessionnels, est un pays au bord de l’effondrement moral et juridique.

Le plus grave, c’est que l’enjeu dépasse les seuls détenus : il touche à l’image même du Liban en tant qu’État de droit. La réforme de l’institution judiciaire libanaise est devenue une priorité nationale absolue, peut-être même plus urgente que celle du secteur bancaire. Une justice paralysée ne fait que nourrir le chaos.