Le destin brisé des femmes en Iran

Avant la révolution islamique, les femmes iraniennes avaient conquis de nombreux droits, souvent en avance sur le reste du monde musulman. Mais ces progrès restaient fragiles et inégalement partagés. Retour sur une histoire faite d’élan, de régression et de résistance. 

Belinda Ibrahim, Ici Beyrouth

Dans les années 1960 et 1970, l’Iran se transforme en profondeur. Le régime du Shah, dans une volonté de moderniser le pays, lance une série de réformes connues sous le nom de «Révolution blanche». Les femmes sont au cœur de ces changements: elles obtiennent le droit de vote en 1963, peuvent accéder aux études supérieures, entrer dans la fonction publique et s’affranchir de nombreuses contraintes légales.

Dans les grandes villes comme Téhéran, Ispahan ou Chiraz, on voit des femmes sans voile dans la rue, au volant de leur voiture, dans les universités, à la télévision ou même au Parlement. Certaines deviennent juges, diplomates ou ministres. L’image de la femme iranienne moderne, éduquée et active s’impose alors comme un symbole de progrès.

Mais cette modernité, aussi réelle soit-elle, ne touche pas toute la population. Dans les zones rurales et les villes plus conservatrices, les mentalités traditionnelles restent profondément ancrées. Le poids de la religion, du patriarcat et des inégalités économiques rend l’accès aux droits bien plus difficile. Beaucoup de familles continuent de marier leurs filles à un très jeune âge, à leur interdire l’école ou le travail et à exercer un contrôle strict sur leur liberté.

De plus, ces réformes sont souvent perçues comme imposées d’en haut, sans véritable dialogue avec la société. Elles manquent d’ancrage populaire, ce qui les rend fragiles. Pour certaines, la modernité du Shah semble davantage une façade politique qu’un changement réellement partagé par tous.

Lorsque la révolution islamique éclate en 1979, de nombreuses femmes se mobilisent. Elles espèrent un changement en profondeur, plus de justice sociale, la fin de la corruption et une société plus égalitaire. Ces femmes viennent de tous les milieux: étudiantes, intellectuelles, religieuses, militantes de gauche ou de droite. Elles marchent aux côtés des hommes pour faire tomber un régime qu’elles jugent oppressif et inégalitaire.

Mais une fois le Shah renversé, l’espoir fait place à une autre réalité. Très vite, le nouveau pouvoir islamique commence à restreindre leurs droits. Le port du voile devient obligatoire dans les institutions, puis dans tous les lieux publics. Le nouveau régime impose une séparation stricte entre hommes et femmes à l’école, au travail, dans les transports.

Le droit familial est entièrement modifié: les femmes perdent des droits en matière de divorce, de garde des enfants, et leur témoignage en justice ne vaut plus celui d’un homme. L’accès à certains métiers leur est interdit. En peu de temps, elles sont reléguées à la sphère domestique, exclues des postes de décision et soumises à de nouvelles règles qui limitent leur liberté de mouvement, de parole et de pensée.

Le 8 mars 1979, pour la Journée internationale des droits des femmes, des milliers d’Iraniennes manifestent contre le port obligatoire du voile. Elles scandent: «La liberté n’est ni orientale ni occidentale, elle est universelle». Cette manifestation, pourtant pacifique, est réprimée. C’est un tournant: les femmes comprennent que leurs espoirs de révolution égalitaire ne seront pas exaucés. Beaucoup se sentent trahies. Celles qui avaient contribué à renverser la monarchie se retrouvent muselées.hUn combat jamais éteint

Quarante ans plus tard, les femmes iraniennes sont toujours debout. Malgré les interdits, malgré la censure, elles continuent de lutter, jour après jour. Elles étudient, travaillent, écrivent, enseignent, élèvent leurs filles dans l’idée que les choses peuvent changer. Elles utilisent les réseaux sociaux, les arts, les universités comme lieux de résistance.

En 2022, la mort de Mahsa Amini, arrêtée par la police des mœurs parce que ses cheveux dépassaient de son voile, provoque une immense vague de colère. Le slogan «Femme, Vie, Liberté» devient le mot d’ordre d’une génération. Partout dans le pays, des jeunes filles brûlent leur voile, manifestent, prennent la parole, défient les lois.

Ces gestes ne sont pas nouveaux. Ils s’inscrivent dans une longue histoire de luttes féminines, commencée bien avant 1979. Les mères et les grands-mères de ces jeunes femmes avaient connu des libertés que la révolution islamique leur a retirées. Cette mémoire se transmet, alimente le courage et l’endurance des plus jeunes.

Même face à la violence, aux arrestations, à la prison ou à la mort, les femmes iraniennes restent au premier rang de la contestation. Elles ne réclament pas des privilèges, mais l’égalité. Elles ne veulent pas renverser la société, mais y prendre leur juste place.

Encadré: Le saviez-vous ?

Farrokhroo Parsa fut la première femme ministre en Iran, en 1968, nommée à l’Éducation. Elle se battait pour la scolarisation des filles. Après la révolution, elle fut arrêtée, jugée par le nouveau régime islamique et exécutée en 1980. Elle est devenue un symbole de la régression violente que les femmes ont subie.

Le destin des femmes iraniennes est profondément lié à celui de leur pays. Elles ont été les premières à bénéficier des avancées, les premières à en être privées, et aujourd’hui, elles sont les premières à se lever pour réclamer la liberté. Leur combat, enraciné dans le passé, continue de dessiner l’avenir.