Wakaliwood, le studio ougandais qui réinvente le cinéma d’action

Dans un bidonville de Kampala, un studio de fortune bouscule toutes les normes du cinéma. Avec des budgets dérisoires mais une créativité débordante, Wakaliwood s’est imposé comme un phénomène mondial, prouvant que la passion et l’ingéniosité peuvent surpasser les moyens financiers.

 

À première vue, Wakaliga, un quartier populaire de Kampala, n’a rien d’un haut lieu du septième art. Pourtant, c’est ici qu’est né Wakaliwood, un studio de films d’action ultra-fauchés, fondé en 2005 par Isaac Nabwana, cinéaste autodidacte. Sans grands moyens mais avec une imagination sans limite, Wakaliwood a su capter l’attention des amateurs de cinéma du monde entier, imposant son style unique, entre action survoltée, humour décalé et effets spéciaux faits maison.

L’essence de Wakaliwood repose sur une approche artisanale et décomplexée du cinéma. Ici, pas de gros studios ni de CGI sophistiqués. Tout est bricolé sur place : les armes sont taillées dans du bois et du métal de récupération, les explosions sont simulées avec de la farine, et les caméras elles-mêmes sont souvent montées à partir de pièces détachées. Mais loin d’être un handicap, cette approche radicale donne aux films de Wakaliwood une identité visuelle et narrative unique, où chaque plan respire l’énergie et la débrouillardise.

C’est Who Killed Captain Alex?, sorti en 2010, qui a propulsé Wakaliwood sur le devant de la scène. Ce film d’action délirant, réalisé avec un budget de 200 dollars, est devenu viral sur internet grâce à son esthétique improbable et son rythme effréné. Mélange explosif de kung-fu, de fusillades exagérées et de répliques cultes, il incarne parfaitement l’esprit Wakaliwood : faire beaucoup avec très peu, et surtout s’amuser.

Mais ce qui distingue Wakaliwood, c’est avant tout son ingéniosité. Là où d’autres voient des limites, Isaac Nabwana voit des opportunités. Il détourne les contraintes budgétaires pour créer un cinéma où l’exagération devient un style, où l’absence de moyens se transforme en force créative. Cette philosophie do-it-yourself est devenue l’ADN du studio, séduisant des milliers de spectateurs à travers le monde.

Wakaliwood, c’est aussi une aventure humaine et collective. Les acteurs, techniciens et figurants sont des habitants de Wakaliga, un quartier où le cinéma a apporté un souffle d’espoir et une opportunité de s’exprimer. Des jeunes, qui n’auraient jamais imaginé jouer dans un film, se retrouvent à incarner des héros d’action, découvrant un univers qui leur était jusque-là inaccessible.

Le succès international du studio doit beaucoup à Alan Hofmanis, un programmateur de festivals new-yorkais tombé sous le charme de Who Killed Captain Alex?. Fasciné par l’audace du projet, il quitte tout pour s’installer en Ouganda et aider Isaac Nabwana à faire connaître son travail. Grâce à lui, Wakaliwood commence à tourner dans les festivals internationaux, attirant l’attention des médias et du public hors d’Afrique.

Très vite, la fièvre Wakaliwood gagne le monde entier. Bad Black, sorti en 2016, remporte le Prix du public au « Fantastic Fest » au Texas. Ce film, qui mêle action et satire sociale, met en scène une femme issue des bas-fonds de Kampala devenant une impitoyable justicière. Avec ses fusillades absurdes, son doublage explosif et son énergie brute, il confirme l’identité unique du studio.

Mais au-delà du buzz, Wakaliwood incarne une révolution du cinéma africain. À mille lieues des standards formatés, il propose une alternative authentique, inspirée des réalités locales et affranchie des règles de l’industrie classique. Isaac Nabwana ne cherche pas à imiter Hollywood, il invente son propre Hollywood.

Et l’impact dépasse largement le cadre du divertissement. Wakaliwood prouve qu’il est possible de faire du cinéma avec peu de moyens mais beaucoup de passion.

Avec l’essor du numérique et des plateformes de streaming, l’avenir du studio semble prometteur. Ses films continuent d’attirer des fans à travers le monde, et Isaac Nabwana explore de nouvelles collaborations internationales. Son rêve ultime ? Tourner un film avec un budget plus conséquent, sans perdre l’essence même de Wakaliwood : un cinéma libre, spontané, et fait avec le cœur.

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Nicolas Beau
Ancien du Monde, de Libération et du Canard Enchainé, Nicolas Beau a été directeur de la rédaction de Bakchich. Il est professeur associé à l'Institut Maghreb (Paris 8) et l'auteur de plusieurs livres: "Les beurgeois de la République" (Le Seuil) "La maison Pasqua"(Plon), "BHL, une imposture française" (Les Arènes), "Le vilain petit Qatar" (Fayard avec Jacques Marie Bourget), "La régente de Carthage" (La Découverte, avec Catherine Graciet) et "Notre ami Ben Ali" (La Découverte, avec Jean Pierre Tuquoi)