Une sculpture de Samson Kambalu pour décoloniser « Trafalgar square »

Samson Kambalu, Antilope, 2022. Photo: Mondafrique.
Une sculpture montrant le pasteur baptiste John Chilembwe, à l’origine d’un soulèvement raté en 1915 contre le régime colonial britannique au Malawi, a été dévoilée le mercredi 28 septembre sur la célèbre place londonienne Trafalgar Square où elle trônera jusqu’en 2024. 

De notre correspondant au Royaume-Uni.

L’antilope de Samson Kambalu est une reconstitution sculpturale d’une photographie prise en 1914 du prédicateur baptiste et panafricaniste malawite John Chilembwe et du missionnaire européen John Chorley. L’artiste a découvert la photo dans une archive coloniale d’Oxford, montrant deux hommes posant devant une église nouvellement ouverte au Nyasaland, aujourd’hui le Malawi. Porté un chapeau était interdit pour les Africains à l’époque. Samson Kambalu est le 14e artiste à dévoiler une œuvre sur le quatrième socle  de Trafalgar Square.

 

Photo prise en 1914 du prédicateur baptiste et panafricaniste malawite John Chilembwe et du missionnaire européen John Chorley.

L’histoire redimensionnée

Samson Kambalu, Antilope, 2022. Photo: Mondafrique.

Dans Antilope, Chilembwe est plus grand que nature alors que Chorley reste grandeur nature, la figure de 5,5 mètres du prédicateur baptiste et panafricaniste domine le missionnaire européen. En augmentant l’échelle de Chilembwe, Samson l’élève, lui et son histoire, révélant les récits cachés des personnes sous-représentées dans l’histoire de l’Empire britannique en Afrique et au-delà.

M. Kambalu, professeur associé de beaux-arts à l’université d’Oxford. a simplement déclaré lors de l’inauguration : « Je pense que c’est ici que l’on peut dire que l’Empire britannique est devenu l’Empire de l’Antilope. Je pense que le cadeau de Chilembwe au monde a été livré. »

« On a tellement parlé de retirer les monuments. Aujourd’hui, nous en érigeons un nouveau », a déclaré Justine Simons, maire adjointe de Londres chargée de la culture et des industries créatives. « J’espère que cette œuvre d’art nous encouragera tous à réfléchir à la signification du colonialisme pour la Grande-Bretagne d’aujourd’hui. Mais j’espère que le fait d’apprendre notre histoire nous encouragera tous à être plus attentifs à la façon dont nous façonnons la Grande-Bretagne de demain. « 

Samson Kambalu, Antilope, 2022. Détail du visage du prédicateur baptiste et panafricaniste malawite John Chilembwe.

La statue de Chilembwe est le géant d’un homme qui a été tué – et dont l’église a été rasée rasée – un an après que la photo a été prise, pour avoir mené un soulèvement populaire contre la domination britannique. La statue s’appelle « Antilope » en raison du symbolisme du chapeau que porte Chilembwe, à une époque où les Africains n’étaient pas autorisés à en porter en présence de leurs maîtres coloniaux. Samson Kambalu, que l’on ne voit jamais sans un fedora ou un panama, l’a placé haut sur la tête du prédicateur, de sorte que son sommet s’élève en deux pics, comme les cornes d’une antilope.

Il s’agit d’une référence à la tradition des masques Nyau, qui joue un rôle central dans l’œuvre de l’artiste malawite et qui le rapproche du peuple Chewa matrilinéaire dont sa famille est issue. L’antilope, explique-t-il, a toujours représenté l’utérus, mais pas nécessairement au sens biologique du terme. « C’est l’animal le plus généreux de la brousse, imprudemment, stupidement généreux : il donne de la viande à toutes les autres créatures ». Ainsi, contrairement à ce que les passants penseront voir, il ne s’agit pas seulement d’un portrait de deux hommes posés de manière rigide. L’antilope est une sculpture difficile. Elle doit donner à réfléchir, a déclaré l’artiste.

The Jive Talker

D’autres aperçus de la riche mythologie qui sous-tend son œuvre jaillissent de ses mémoires intitulées avec humour The Jive Talker, ou comment obtenir un passeport britannique, qui viennent d’être rééditées avec une nouvelle préface 14 ans après leur publication initiale. The Jive Talker est l’œuvre qui a fait de lui ce qu’il est, tout en le conduisant au bord de l’effondrement mental. Après l’échec de la version cartonnée malgré de bonnes critiques, l’éditeur britannique du livre a annulé le livre de poche, le plongeant dans des difficultés financières  et le désespoir. Il a heureusement été sauvé par l’accueil enthousiaste reçu de son livre en Allemagne.

Le Jive Talker, c’est son père, un médecin qui a connu des temps difficiles mais qui a continué à porter un costume trois pièces et à avoir une bibliothèque bien garnie, tout en prenant l’habitude de réveiller ses huit enfants au milieu de la nuit pour leur faire des conférences de philosophie. Samson, le cinquième enfant, se considérait comme un artiste dès l’âge de sept ans. Il est passé d’une école privée d’élite à l’université du Malawi où, un jour, alors qu’il jouait avec un ballon de volley-ball, il a eu l’idée de le plâtrer avec des pages de la Bible, en hommage détourné à sa mère, fervente catholique. Quatre cents de ses « ballons sacrés », que tout le monde peut taper dans le ballon, deviendront son « cadeau » à la Biennale de Venise en 2015. La tradition africaine du don est un autre élément important de son credo.

Samson travaille avec une variété de médias, dont l’installation spécifique au site, la vidéo, la performance et la littérature. Dans les moments d’inaction sur la route, il a commencé à poster des films d’une minute de lui faisant le clown sur une chaîne alors nouvelle appelée YouTube. Au départ, c’était un moyen de rester en contact avec sa famille, mais ils le distrayaient aussi de sa dépression. « Dans mon imagination, grâce au support magique du cinéma, je me suis retrouvé à marcher sur l’eau, à traverser les murs », écrit-il dans ses mémoires. Il a formulé un manifeste qu’il a appelé son cinéma Nyau. Excentriques et drôles, ses films ont été repérés par un galeriste sud-africain, qui lui a offert une exposition personnelle, ce qui lui a valu d’être invité à la Biennale de Venise. Nombre de ses films – même ceux qui ont été vendus à des collectionneurs – sont toujours disponibles gratuitement en ligne, ce qui souligne son attachement constant au don et à la philosophie anticapitaliste de l’art situationniste, qui n’a pas été sans poser de problèmes.

L’artiste

Samson Kambalu.

Né en 1975 au Malawi, Samson vit et travaille actuellement à Oxford où il est professeur associé de beaux-arts au Ruskin College et fellow au Magdalen College, tous deux à l’université d’Oxford. Samson est également l’auteur de The Jive Talker, or How to Get A British Passport (2008) qui a remporté le National Book Tokens Global Reads Prize en 2010.

Samson Kambalu présente son pré-projet

Les manifestants iraniens ce samedi 15 octobre

Ce samedi, comme chaque samedi depuis le décès de Mahsa (Zhina) Amini et le soulèvement populaire en Iran, une foule d’homme et de femmes se rassemblent sur Trafalgar square en face de la National Gallery, sous le regard désormais du pasteur malawi John Chilembwe. Le pasteur qui porte son chapeau de manière provocante et contemple la statue de George IV sur le socle opposé. Georges V sous le règne duquel l’Empire britannique est devenu puissant. John Chilembwe semble maintenant devenir la figure tutélaire de ces manifestants. Le port fier de son couvre-chef répondant au dévoilement du hijab des manifestantes iraniennes.

« Down with Islamic regime of Iran. No to Gender apartheid ». Manifestations des Iraniens en soutien du soulèvement en Iran à la suite de la mort de Mahsah (Zhina) Amini. Londres, Trafalgar square, 15 octobre 2022. Photo Mondafrique.
Le pasteur John Chilembwe, regarde les manifestants iraniens qui protestent à la suite de la mort de Mahsah (Zhina) Amini. Londres, Trafalgar square, 15 octobre 2022. Photo Mondafrique.
Manifestations des Iraniens en soutien du soulèvement en Iran à la suite de la mort de Mahsah (Zhina) Amini. Londres, Trafalgar square, 15 octobre 2022. Photo Mondafrique.

Le débat sur la statue de la reine Elisabeth II

Pendant ce temps, le débat sur la question de savoir si le socle doit être utilisé pour une statue de la reine Elizabeth II, récemment décédée, se poursuit. Il était généralement admis que le socle – laissé vide lors de la création de Trafalgar Square – était réservé à une statue équestre de la reine après sa mort.

Fin septembre dernier, le député conservateur John Hayes a lancé un appel au Parlement en faveur d’une statue de la Reine, déclarant que la Quatrième Plinthe serait « idéale », sous les cris d’approbation. La Public Statues and Sculpture Association a suggéré de créer un cinquième socle sur le côté nord de la place afin que le programme d’art contemporain puisse se poursuivre.

Cependant, Prue Leith, qui a été à l’origine du projet du quatrième socle (The Fourth Plinth) lorsqu’elle était présidente de la Royal Society of Arts, a déclaré au Guardian:

« Je ne pense pas que le quatrième socle soit assez spécial pour la Reine. Je pense qu’il devrait y avoir une statue pour elle à l’extérieur de l’abbaye de Westminster, là où elle a été couronnée. Il y a une zone gazonnée surélevée qui serait parfaite – on la verrait de tous les côtés. J’en ai discuté à un moment donné, mais j’ai perdu l’énergie nécessaire pour faire campagne. Il a fallu cinq ans et 13 comités pour obtenir le quatrième socle ».

L’antilope devrait rester in situ jusqu’en 2024, suivie de 50 Improntas (850 empreintes) de Teresa Margolles, qui présentera les moulages des visages de 850 personnes transgenres de Londres et du monde entier, sous une forme inspirée des sculptures méso-américaines.

Et encore…

Sur l’histoire de Trafalgar square et des sculptures présentent actuellement sur la place, voir Google Arts & Culture, Trafalgar Square and The Four Plinths.

Voir l’interview de l’artiste par Claire Armitstead dans The Guardian, 26 septembre 2022.

Et l’article de Lee Cheshire, Anti-colonial statue unveiled on London’s Fourth Plinth—while debate continues about giving it to the Queen, The Art Newspaper, 28 septembre 2022.