Une révolution préhistorique : des outils en os découverts en Tanzanie

Une équipe internationale a découvert à Olduvaï, en Tanzanie, des outils en os vieux de 1,5 million d’années, repoussant d’un million d’années l’apparition de cette technique. Cette découverte, publiée dans Nature, révèle des capacités cognitives avancées chez les premiers homininés et éclaire la transition vers les bifaces en pierre.

Des homininés, les premiers représentants de la lignée humaine, façonnaient des outils en os il y a déjà 1,5 million d’années, bien plus tôt qu’on ne le soupçonnait jusqu’ici, selon une étude publiée mercredi dans Nature.

On savait que certains de ces lointains ancêtres, comme les Australopithèques robustes, utilisaient des fragments d’os pour fouiller des termitières ou déterrer des tubercules, à l’instar de nos cousins chimpanzés qui manient encore aujourd’hui des baguettes pour extraire des termites de leur refuge.

Il y a plus de deux millions d’années, les homininés est-africains de la gorge d’Olduvaï, en Tanzanie, un des sites préhistoriques les plus importants au monde, produisaient déjà des outils de pierre rudimentaires. Cependant, jusqu’à présent, aucun exemple de production systématique d’outils en os n’était connu au-delà de 500 000 ans avant notre ère, hormis quelques exemplaires dispersés en Afrique.

La découverte d’une équipe internationale bouleverse ce scénario en faisant reculer l’horloge d’un million d’années. L’étude, dirigée par Ignacio de la Torre de l’Institut espagnol d’Histoire à Madrid, a identifié 27 outils fabriqués à partir de fémurs, tibias et humérus de gros animaux, essentiellement éléphants et hippopotames.

« C’est la première fois qu’on trouve un assemblage de ces outils provenant de la même surface à Olduvaï », précise à l’AFP l’archéologue Francesco d’Errico, de l’Université de Bordeaux, qui a supervisé l’étude avec Angeliki Theodoropoulou, de l’Institut espagnol d’Histoire.

Des « schémas mentaux » avancés

Si un observateur non averti n’y verrait que de simples morceaux d’os, les anthropologues y détectent la trace de capacités cognitives remarquables. Leur fabrication suppose en effet la maîtrise de « schémas mentaux » impliquant la conception d’un objet final, le choix d’un matériau adapté et la stratégie pour s’en procurer.

L’analyse des outils révèle que leurs concepteurs préféraient les fémurs, prélevés sur des carcasses fraîches d’hippopotames, mais aussi d’éléphants, bien plus rares sur le site. Cette rareté suggère que ces os ont été transportés depuis d’autres lieux.

Ces os étaient taillés à l’aide de pierres servant de marteaux pour obtenir des outils de 20 à 40 centimètres de long, pesant parfois plus d’un kilo. « On voit vraiment une volonté de modifier la morphologie de l’os, de produire des outils très lourds et allongés, et même, dans certains cas, de créer une encoche pour faciliter la prise en main », explique Francesco d’Errico.

Une adaptation au manque de silex

Ces outils massifs, dotés d’une extrémité pointue, servaient probablement à la boucherie des grands mammifères. Ils apparaissent à une époque où les outils de pierre de la culture oldowayenne étaient encore très rudimentaires. De plus, « il y a très peu d’outils de grande dimension en pierre sur le site d’Olduvaï », note l’archéologue. La roche locale, un quartz de mauvaise qualité, se prête mal à des opérations brutales de dépeçage.

C’est avec l’émergence de la culture acheuléenne, au même moment, que la taille des pierres en biface apparaît, permettant de mieux trancher la chair et racler les peaux. « L’hypothèse de l’étude est que cette technique de taille des os à Olduvaï soit une invention originale, dans un moment de transition vers les bifaces », poursuit Francesco d’Errico.

Une autre possibilité est que cette tradition ait persisté mais que ces outils osseux n’aient pas encore été identifiés ailleurs. La technique aurait ainsi « disparu » pendant un million d’années avant de réapparaître plus tard, notamment dans la région de l’actuelle Rome, où le manque de silex a conduit à la taille d’os d’éléphants en forme de biface.

L’utilisation des os accompagne l’évolution de la lignée humaine, passant du taillage de fémurs d’éléphants il y a 1,5 million d’années à la fabrication d’objets beaucoup plus sophistiqués, comme les aiguilles munies d’un chas, inventées en Chine et en Sibérie et arrivées en Europe seulement à partir de -26 000 ans. Mais cela, comme le souligne l’archéologue, est une « très longue histoire ».

Avec AFP