« Simin Zetwal », du Ken Loach façon Ile Maurice

Projeté en première mondiale au Festival international du film de Varsovie l’an dernier, le film de David Constantin sera en compétition au Festival du cinéma africain de Khourigba, au Festival vues d’Afrique de Montréal, au Festival cinémas d’Afrique d’Angers et de Lausanne ainsi qu’au Festival Africajarc de Cajarc. 

Vel MOONIEN  (Corresp Ile Maurice)

C’est un film dans la même veine que ceux du réalisateur britannique Ken Loach. Mettant en relief les réalités sociales complexes de l’île Maurice, « Simin Zetwal » – qui signifie « Le chemin des étoiles » en créole mauricien – est bien parti pour la gloire. Tournée dans la langue maternelle des Mauriciens qui est quasiment similaire à celle des Haïtiens, cette production franco-mauricienne de 90 minutes relate les aventures quasi-mystiques nocturnes de Ronaldo, Bolom et Ajeya.  

Le premier est un jeune paumé d’une cité ouvrière qui a des envies d’ailleurs comme la majorité des jeunes Mauriciens ces temps-ci. Il est à la recherche de Bolom, son vieux père taciturne. Il est aidé dans sa tâche par Ajeya, une ouvrière expatriée indienne qui fuit sa condition d’esclave moderne dans l’usine textile où elle travaille. Avec « Simin Zetwal », le réalisateur mauricien David Constantin démontre sa passion pour le cinéma d’auteur, huit ans après « Lombraz Kann », son premier film. 

Projeté en première mondiale au Festival international du film de Varsovie l’an dernier, « Simin Zetwal » a obtenu le Prix du meilleur montage aux Journées cinématographiques de Carthage. Il s’est aussi vu attribuer deux prix, dont celui de la critique, au Festival du film africain de Louxor. Au Festival panafricain du cinéma et de la télévision (Fespaco) de Ouagadougou, le jury lui a décerné une Mention spéciale. Et ce n’est pas fini : il sera en compétition en Afrique et en Europe. 

Le film sera notamment présenté au Festival du cinéma africain de Khourigba, au Maroc ; au Festival vues d’Afrique, à Montréal, au Canada ; au Festival cinémas d’Afrique, à Angers, en France ; au Festival cinémas d’Afrique, à Lausanne, en Suisse ; et au Festival Africajarc, à Cajarc, en France. « C’est vrai que le film démarre fort ! […] Être sélectionné est déjà une immense récompense », se réjouit David Constantin, un ancien élève de l’École nationale supérieure de l’audiovisuel.  

« David Constantin m’avait parlé de son idée de départ, à savoir un road movie à l’intérieur de Maurice et à la rencontre de deux personnes qui n’auraient jamais dû se rencontrer. Cette idée m’avait beaucoup plu. Simin Zetwal n’est pas une histoire d’amour, ce n’est pas totalement un road movie, ce n’est pas une comédie, ce n’est pas un drame : c’est tout ce qu’il n’est pas qui m’a plu… », confie le coproducteur réunionnais Fred Eyriey.  

« Il y a quelques années, j’avais travaillé avec Alain Gordon-Gentil sur son film sur Brel. Grâce à lui, j’ai été invitée à Maurice […] J’ai vu Lonbraz Kann, que j’ai adoré, […]. Quand David, plusieurs années plus tard, a fait appel à moi pour monter Simin Zetwal, je n’ai pas hésité cinq minutes », déclare Nadia Ben Rachid. La monteuse franco-tunisienne a remporté le César du meilleur montage pour « Timbuktu » en 2015 et a été invitée à être membre de l’Académie des Oscars la même année.  

« Simin Zetwal » est porté par Edeen Bugheloo, Jérôme Boulle et Sharonne Gah Roussety. Le premier tient le rôle principal, Ronaldo alors que la seconde est à sa première participation dans un long-métrage. Elle a dû apprendre l’hindi pour pouvoir incarner Ajeya. Le troisième, qui n’est pas un inconnu des planches de théâtre, a déjà joué dans « Lombraz Kann ». Ce féru de théâtre campe le rôle Bolom, un vieil ouvrier tourmenté et bourru qui brille par son incompatibilité d’humeur avec son fils. 

Jérôme Boulle est aussi connu sur la place pour avoir eu plusieurs vies. Il a tour à tour été footballeur, enseignant, journaliste, travailleur social, député du MMM, maire de Port-Louis, président-adjoint de l’Assemblée nationale, consultant, secrétaire de rédaction et rédacteur en chef adjoint de L’Express-Dimanche avant d’être directeur de l’Express de Madagascar. Tout en prêtant ses services à un groupe de presse mauricien, il a trouvé du temps pour jouer sous la direction de David Constantin.  

Sans le soutien financier de la Région Réunion, du Centre national du cinéma et de l’image animée, du Fonds Clap-ACP, de l’Organisation internationale de la Francophonie et de TV5 Monde, « Simin Zetwal » n’aurait pas vu le jour. « Dans tous les pays du monde, le cinéma d’auteur est aidé par des financements publics. Ce n’est pas encore tout à fait le cas à l’île Maurice. Il y a un financement embryonnaire qui a été mis en place, mais… » déplore David Constantin.  

À ses yeux, le cinéma d’auteur « n’est pas un bien rentable, c’est un bien culturel ». « La définition que j’aime bien entre le cinéma de divertissement et le cinéma d’auteur, c’est que le premier montre le monde autour de nous alors que le second est un cinéma plus intime qui regarde à l’intérieur des gens. Quand vous regardez à l’intérieur des gens, vous regardez ce qu’ils vivent. J’ai toujours cru dans cette qualité du cinéma d’être un outil de réflexion », fait-il ressortir.  

L’écriture de « Simin Zetwal », révèle-t-il, lui a pris six ans. « Ce n’est pas 8 heures à 17 heures tous les jours. Ce sont des moments où vous laissez le truc maturer, envoyer des dossiers à droite et à gauche pour des financements. On vous dit non. On attend six mois à un an et on renvoie les dossiers. C’est un processus très long. Vous êtes assez seuls. Vous prenez des coups en pleine gueule », déclare David Constantin.  

« Quelquefois, l’on vous dit que c’est caricatural, c’est naïf… Qu’ils ne comprennent pas, que cela ne marchera jamais, que les personnages sont faibles. […] Ce qui est naïf pour vous ne l’est pas forcément. […] Il y a une chose assez emblématique : dans une situation de conflits à Maurice, ça ne se règle pas en descendant dans la rue. Il y a très peu de manifestations où les citoyens cassent partout. En France, un conflit social se règle dans la rue comme on le voit en ce moment. Ce sont deux philosophies, deux manières de voir les choses », dit-il.  

« Quand vous écrivez un scénario qui se déroule à Maurice et que vous le faites lire à un Français, il ne comprend pas cette manière d’être des Mauriciens. Il ne comprend pas pourquoi le mec qui a perdu son boulot ne se révolte pas. Non, à Maurice, on ne se révolte pas de la même façon comme quelqu’un l’aurait fait en France. Nous n’avons pas la même culture. Il faut aussi pouvoir se mettre à la place de l’autre, avoir cette lecture-là », lance David Constantin.   

Vel MOONIEN 

Lien pour la bande-annonce : https://youtu.be/1JyXPP_eWcQ 

Photo : Vel MOONIEN